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«Je serai en rémission jusqu’à la fin de mes jours»

Texte: Sarah Braun

Le rendez-vous est pris pour vendredi 14h30, entretien téléphonique avec Marie de Noailles, addictologue. Sa voix est douce, claire et posée. Elle murmure – son fils fait la sieste – et s’excuse, car sa nounou lui a fait défaut: «il risque de se réveiller pendant notre conversation». La sérénité que cette frêle et blonde quadra dégage est incroyable. Marie est fille du duc et de la duchesse de Noailles. Est-on mieux protégée quand on vient d’une bonne famille? Aucune règle à cela. Quinze années durant, elle s’est battue contre ses démons. Ils ne sont pas loin, d’ailleurs, prêts à refaire surface à la moindre défaillance. Elle le sait. L’accepte. Avant de soigner les addictions, elle en a elle-même souffert: l’alcool, les drogues. Elle raconte sa longue remontée des enfers dans un livre, Addict, paru chez Grasset à l’occasion de la rentrée littéraire. Rencontre.

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Pourquoi avoir écrit ce livre?

J’y songeais depuis longtemps, mais je n’étais pas prête. Raconter ma vie me dérangeait moins que de risquer de sombrer dans le pathos. À la suite d’interview parue dans la presse sur mon histoire, j’ai été contactée par plusieurs maisons d’édition. La rencontre avec Emilie Lanez, chez Grasset, m’a convaincue. Nous avons noué, elle et moi, une relation assez exclusive, elle a su mettre les bons mots sur mon histoire, comprendre là où je voulais aller. Elle m’a aidée à faire le tri, choisir les anecdotes.

Alors que vous évoquez des événements particulièrement violents comme votre viol (commis par deux policiers suite à un contrôle, ndlr), le ton est lisse, froid, presque chirurgical. Aucun éclat de voix. Pourquoi avoir fait ce choix?

En réalité, je n’ai pas vécu cet événement à la hauteur de sa gravité. J’avais un tel manque de respect pour moi-même que je suis vite passée à autre chose. J’ai eu un véritable choc lorsqu’une amie, psychologue, m’a dit que c’était passible de 20 ans d’incarcération.

Cette pudeur est-elle liée à votre éducation? 

En premier lieu, je voulais que les gens puissent s’identifier, se reconnaître dans mon histoire, dans ma voix d’enfant. J’ai basculé à l’âge de 15 ans. Je voulais préserver mes proches, ne pas les exposer. Mes enfants, surtout. Je me suis demandé quel regard les parents de leurs camarades de classe allaient poser sur eux, en apprenant que leur mère était une ex-addict. J’en ai beaucoup parlé à ma famille avant de me lancer. Ma mère, qui est décédée d’un cancer pendant l’écriture du manuscrit, et qui a une place prépondérante dans le livre, m’avait encouragée à le faire. Pourtant c’est elle qui en a sans doute le plus souffert, socialement parlant. Mon mari, lui, m’a demandé de ne pas être cité.

Je ne pouvais pas faire abstraction de mes origines. Le décalage entre «Marie la déglinguée» et le côté aristo, vieille famille française a fortement plu, aussi. Moi je voulais parler du rétablissement plus que de l’addiction, de ce qu’il y a après. Comment l’on passe de l’ombre à la lumière.

Votre mère est décédée pendant l’écriture d’Addict. Elle vous a toujours soutenue, cure après cure, jusqu’à celle de la dernière chance. Que voudriez-vous lui dire?

A mon retour à Paris, après ma cure en Angleterre, en suivant la méthode Minnesota – j’étais abstinente depuis déjà deux ans et demi – je lui ai demandé pardon. Cela fait partie du processus. J’ai tout énuméré et pour cela je lui ai demandé pardon. Elle m’a répondu que ça n’était rien, qu’à présent j’étais là et que l’on pouvait compter sur moi. Qu’elle était fière de moi. Elle ne m’a jamais dit qu’elle m’aimait, mais je l’ai toujours su. Aujourd’hui, je voudrais la remercier. Et qu’elle me guide, si un jour j’ai aussi des soucis avec mes enfants.

Rien ne vous prédisposait à devenir alcoolique et droguée. Comment en êtes-vous arrivée là?

On n’a pas besoin de raison. Des gens comme moi, il en existe des millions. Je n’étais pas l’enfant la plus heureuse ni la plus sûre d’elle, mais je ne manquais de rien, et surtout pas d’amour. C’est une histoire de mauvais choix. Je n’ai pas décidé d’être comme ça, de vouloir tout foutre en l’air et de faire du mal aux gens qui m’aiment.

Votre cure de désintox, vous a amenée à entreprendre des études pour devenir addictologue. Est-on un meilleur médecin quand on a été soi-même accro?

Je connais beaucoup de grands médecins qui ne l’ont pas été. Mais est-ce qu’on est meilleur en étant passé par là? Peut-être. Je vous dis ça avec beaucoup d’humilité, mais on est certainement plus dans l’empathie.

Déjoue-t-on mieux les subterfuges?

Pas forcément.

Avez-vous vous-même menti?

Oh oui. Quand on est accro, on devient une personne que l’on n’est pas. J’étais très lucide sur mes mensonges. Je n’ai pas volé le sac de grands-mères dans la rue, mais j’aurais pu. On va toujours plus loin, on s’enfonce toujours de plus en plus. Et les rechutes sont pires.

Avez-vous rechuté depuis?

Oui. À la mort de ma mère, on m’a prescrit des médicaments. Je suis retournée dans une relation avec un produit qui n’était pas saine. En plus des drogues et de l’alcool, je sais à présent que je dois également être vigilante avec la pharmacopée. Le piège, souvent, est que l’on arrête un produit pour en reprendre un autre. Nombreux sont les addicts, comme moi, à être poly-dépendants.

Quelle est l’addiction la plus difficile à soigner?

La nourriture. Sans hésitation. La drogue, l’alcool, vous n’êtes pas obligés d’en consommer au quotidien. En revanche, on doit manger pour vivre. Les personnes souffrant d’addictions alimentaires devront toute leur vie se contrôler. On est par exemple obligé de les faire arrêter les sucres, la farine blanche… car ces produits engendrent des compulsions.

Nourriture, alcool, sexe, drogues… sommes-nous finalement tous addicts?

Depuis la nuit des temps, c’est intrinsèque à la nature humaine de vouloir se faire plaisir. On aime les habitudes, ces petits rituels. Qui n’aime pas s’enivrer et la sensation délicieuse que cela procure? Mais à long terme, on s’abime la santé, car on a trop facilement tendance à abuser des bonnes choses. Regardez aux États-Unis, la nourriture tue à grands coups de malbouffe.

En guérit-on complètement?

Non, je sais que je serai en rémission jusqu’à la fin de mes jours. Le monde scientifique ne sait actuellement pas guérir les addictions. Il y a bien eu quelques tentatives, malheureusement toutes infructueuses.

Avez-vous peur de sombrer à nouveau?

Oui. Mais j’y pense rarement. J’ai une vie normale d’une adulte de 41 ans. Je m’amuse même mieux aujourd’hui, sans boire, que durant mes 10 années d’alcoolisme. Je ne me sens pas exclue parce que je ne bois pas. Au contraire! Je fais désormais davantage partie du monde des vivants.

Le regard des gens a-t-il changé depuis la publication de votre livre?

Mes proches ont été bouleversés. Beaucoup ne savaient pas, n’avaient pas idée des bas-fonds dans lesquels je suis tombée. Mon frère en tête. J’ai appris à vivre avec. Aujourd’hui j’accepte mes deux facettes. Et, surtout, je m’en fiche.