Regarder la vidéo en entier
Accéder directement au site
BOLD Magazine BOLD Magazine

La Madeleine de Jean Touitou (A.P.C.)

Texte: Sarah Braun

Crédit photo: ©Ben Toms

Depuis 25 ans, A.P.C. cristallise toutes les amours de son charismatique créateur, Jean Touitou. A.P.C. s’est fait l’écho de ses passions, à commencer par la musique. S’il est entré dans la mode, par hasard, c’est la musique qui a donné l’impulsion de ses premières collections. A présent, c’est la littérature qui lui donne matière à créer. De son affection pour les livres sont nées cinq robes, dont chacune rend hommage à une héroïne. Nous avons évoqué avec lui ces muses, et avons parlé non pas de mode, mais de style et d’élégance. Des hommes et des femmes, également. Rencontre avec un créateur minimaliste en quête d’absolu.

 A.P.C. – et la mode d’une façon plus générale – est d’ordinaire davantage liée à la musique. Pourquoi avoir laissé parler la littérature dans la collection des cinq robes « A.P.C. par Jean Touitou»?

C’est souvent la littérature qui me guide quand j’essaye de donner un sens à mes collections, une fois qu’elles ont vu le jour. C’est un exercice de théorisation a posteriori. Je cherche dans les livres comme dans un jeu de loto. La musique ne contient pas la même richesse de personnages de situations.  Enfin, je suis assez inculte.  Il y a certainement des ballets ou des opéras qui en disent autant que les romans. La littérature me permet de donner une vie aux habits. Et j’ai souvent besoin de cela quand je parle en public de notre travail.  C’est un exercice très difficile de parler sans le soutien des livres.

C’est tout un mythe que vous avez construit autour de cette collection. Est-ce un rêve qui s’incarne?

Non. J’essaye de ne pas avoir de rêves. C’est frustrant les rêves. Je préfère le réel. J’ai eu cette envie de robes d’une manière soudaine. Ce n’était pas un projet depuis longtemps inassouvi. C’était une envie soudaine. Je me suis enfermé dans une pièce avec du tissu, des ciseaux et un dummy.

A la manière de D’Ormesson dans Je Dirai malgré tout que cette vie fut belle, qu’est-ce que votre moi profond dirait à votre surmoi en regardant votre parcours?

 Je préférerais une approche philosophiquement plus épicurienne de la mort.  Une sorte de dédain un peu snob du truc – la mort – ((((((bien que dispositif d’Épicure soit discutable en cas d’agonie douloureuse)))))). Je ne me vois pas dans la posture de celui qui regarde sa maison enfin construite (ceci n’est pas une métaphore) et qui dit «pas mal non?» Je préférerais toujours avoir un chantier en route. Donc je n’approuve pas l’idée de cet auteur. L’idée d’un bilan ne me concernera pas.

Racontez-nous votre histoire avec chacune des héroïnes que vous avez choisies?

C’est trop intime. Je ne peux le faire et vous prie de bien vouloir m’en excuser.

D’où vient votre amour pour la coupe en biais?

C’est un mystère. C’est un plaisir semblable à celui d’esquiver un coup à la boxe, en inclinant la tête de quelques degrés. C’est comme tordre le réel, lui faire dire autre chose. C’est de l’architecture, c’est comme construire un pont.

Quel est votre tour de force pour faire de ces robes très minimalistes des écrins pour le corps féminin? Le sexy est-il toujours une obsession pour vous?

La femme est porteuse de beauté universelle. Le tour de force est là. Un rien, tant qu’il est bien coupé, peut habiller une femme.  Il n’y a pas à créer. Il suffit d’observer et de cueillir.

Cette collection est directement liée à votre amour de la littérature. 

 A posteriori, oui.

Les vêtements ont-ils vocation à être des costumes?

 Bien sûr.

 Revenons à votre collection Printemps/Été 2016, préférez-vous créer pour l’homme ou la femme?

L’homme c’est très compliqué à faire. Les vêtements sont des signifiés aussi délicats que de la nitroglycérine. Manipulation périlleuse. Quoi de pire qu’un modeux. Et quoi de pire qu’un homme habillé par la doxa de sa classe sociale. Sinon… homme ou femme – je ne sais pas répondre à cette question

Un homme et une femme que vous aimeriez habiller?

Delphine Seyrig. Dans son appartement de Bruxelles. Ah… (dans Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce 1080 Bruxelles, par Chantal Ackerman)