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The Limiñanas : «On n’a jamais couru après le succès»

Itw : Thibaut André & Carl Neyroud
Texte : Thibaut André
Image : DR

 

The Limiñanas, c’est un duo français composé de Marie et Lionel, venant du sud-ouest de la France (Cabestany, près de Perpignan) et évoluant dans les eaux savoureuses du psyché garage. Avec six albums à leur actif, dont le petit dernier « Shadow People » sorti cette année, ils seront de passage à la Kulturfabrik d’Esch-sur-Alzette le 20 novembre prochain. Lionel nous en livre un peu plus sur ce groupe qui monte qui monte.

C’est cool de vous voir enfin au Luxembourg. Vous êtes déjà venus ici ? Vous connaissez un peu le pays et son public rock ?

Non, je ne connais pas du tout le pays en fait. Je pense qu’on a dû y passer en tournée mais on ne s’est jamais arrêté.

Ça fait près de dix ans que vous existez. D’un groupe totalement underground évoluant dans le psyché garage, on vous retrouve maintenant sur les plateaux de télévision et à l’affiche de grands festivals. Quels sont selon toi les facteurs de succès d’un groupe comme The Limiñanas ? 

Très sincèrement, dans notre cas, c’est particulier. On n’a jamais couru après le succès en fait. C’est assez curieux parce que ça nous est tombé dessus. C’est très agréable d’avoir de plus en plus de monde aux concerts, de plus en plus d’audience. C’est un retour super positif, une très belle énergie. C’est constructif aussi de savoir qu’il y a autant de réactions positives de la part des gens soir après soir. En gros, on a toujours travaillé de manière un peu autiste en enregistrant pour nous d’abord. On a un petit studio qui ressemble plus à un atelier qu’à un studio. On y bosse quotidiennement. On produit de la musique pour nous deux avant tout. On habite au fin fond du sud de la France dans un petit village dont on ne sort que pour aller faire des concerts. C’est une situation un peu particulière. Toute l’histoire du groupe n’est qu’un concours de circonstances, une suite d’événements et de rencontres année après année. On avait fait le deuil du groupe traditionnel et de l’idée de continuer à jouer dans des groupes tels qu’on en avait depuis le lycée. Personnellement, j’étais un peu lassé des splits continuels pour les raisons habituelles : lassitude, boulot, rencontres amoureuses ou autres… J’avais cette espèce de frustration en moi qui n’était pas spécialement handicapante mais qui me trottait dans le coin de la tête : le fait de ne jamais arriver au-delà du deuxième ou troisième disque. A un moment donné, Marie et moi, on s’est mis à enregistrer des démos. En travaillant avec Pascal Comelade (NDLR : pianiste et compositeur français), je me suis aperçu qu’on pouvait produire un album sans forcément avoir un groupe qui répète dans une pièce et qui enregistre ensemble. On pouvait construire un disque comme on construirait un film avec des interventions, des invités, etc. Alors on a commencé à bidouiller des morceaux en se disant : « Tiens, sur la face A, j’aimerais bien que ce soit ma copine Muriel qui chante et, sur la face B, ça pourrait être toi, Marie, ou la voisine. »  On a commencé à bosser comme ça. Le groupe, c’est ça en fait. C’est de la musique qu’on produit à deux sur laquelle on fait intervenir des gens ou pas du tout.

Alors que vous formez un duo, Marie et toi, vous êtes une joyeuse bande sur scène avec six ou sept musiciens au total si je ne m’abuse. Comment conciliez-vous les agendas, les répétitions et l’espace musical de chacun dans cette formule un peu « big band » ?

En fait, c’est un vieux fantasme. Ce sont des exemples de groupes, sans prétention aucune de notre part, tels que le Bel Canto Orchestra de Pascal Comelade et les Bad Seeds de Nick Cave, c.à.d. l’idée d’avoir une sorte de troupe de musiciens qui sont « interchangeables » même si ce mot n’est pas cool pour eux. Mais si jamais un bout vient à manquer pendant une période, on peut toujours faire intervenir d’autres gens, ce qui fait que le groupe est toujours vivant. C’est très très compliqué de maintenir en place un groupe live de ce type parce qu’on doit gérer les disponibilités de chacun. Il y a surtout le réarrangement des albums pour la scène, ce qui nous demande vachement plus de boulot que les albums eux-mêmes finalement. Mais c’est un truc que j’adore faire. C’est pas du tout un problème en soi.

Je vous ai vus sur scène lors du festival Fuzz Club à Eindhoven (Pays-Bas) fin août 2018. J’ai été frappé par le jeu de batterie de Marie, très proche de celui de Maureen Tucker du Velvet Underground (1965-1970). A la fois simple et efficace, lourd et hypnotique, nimbé d’ambiances éthérées, voire de dissonances, est-ce que c’est une de vos influences majeures ?

Oui, bien sûr ! Le Velvet Underground fait partie des groupes qu’on écoute depuis qu’on est des gosses et qu’on continue d’écouter. Mais il n’y a pas que ça. Il y aussi des groupes comme les Cramps, par exemple, qui ont utilisé ce type de batterie sans cymbales et sans artifices. La raison pour laquelle Marie a décidé de travailler la batterie de cette manière, c’est qu’on s’est aperçu que le fait de supprimer les cymbales et le charleston libérait de la place pour tout un tas de fréquences. On pouvait dès lors travailler le mix du live comme du disque avec des interventions précises, y compris les petits instruments. Dans le spectre sonore, le fait de ne travailler qu’avec des batteries primitives uniquement sur des peaux et des toms, ça nous permet de faire entrer dans le mix une intervention de ukulele ou de bouzouki par exemple à un moment précis. Il y a deux raisons en fait : la partie primitive du beat comme dans les Cramps ou même les Stooges, où on travaille beaucoup sur le tryptique gros tom – caisse claire – grosse caisse et, ensuite, l’idée de libérer le spectre pour faire intervenir tout un tas d’instruments qui va du ukulele au xylophone en passant par le bouzouki.

Vous reprenez le titre « Russian Roulette » des sulfureux Lords of the New Church sur scène. C’est assez inattendu mais très plaisant. D’où vous vient l’idée ?

On a fait un album avec Pascal Comelade qui s’intitule « Traité de guitares triolectiques (à l’usage des portugaises ensablées) ». Pour la promo de cet album, on a tourné avec Pascal. Il avait intégré « Russian Roulette » depuis très longtemps dans son répertoire. Alors, on a travaillé le titre une première fois pour le jouer avec Pascal. Et comme Marie et moi, on est des vieux fans des Lords qu’on a vus à Montpellier quand on était des mômes, on a toujours adoré cette chanson. Une fois la tournée avec Pascal terminée, on a continué à jouer le titre sur scène mais en version chantée alors que Pascal en faisait une version instrumentale. Après, l’idée d’intervenir sur ce titre avec d’autres instruments est liée au travail de Beck sur l’album de Charlotte Gainsbourg et évidemment au travail de Pascal qui a toujours utilisé et détourné des instruments pour en faire des choses plus « noise » et plus expérimentales. Inconsciemment, on s’est mis à bricoler des trucs. Au cours d’un voyage, on a ramené une basse marocaine qu’on utilise tout le temps pour faire des drones (NDLR : technique musicale qui consiste à créer une nappe sonore permanente à caractère hypnotique). On utilise des bouzoukis en studio. On n’hésite pas à utiliser ce type d’instruments.

Si tu devais jouer d’un instrument autre que la guitare, quel serait-il ?

Après la guitare, l’instrument que je préfère, c’est la basse. J’adore. Il y a plein de pistes qu’on a enregistrées avec les Limiñanas sur base de lignes de basse. Par exemple, j’adore les basses telles qu’elles sont jouées dans la période fin 60 de Gainsbourg ou dans des tas de B.O. de films. Dans la guitare, ce qui m’intéresse le plus, c’est le travail du son clair avec la réverb et de la fuzz (NDLR : une une forme de distorsion apparue dans les années 60, particulièrement prisée par le mouvement psyché) telle qu’on peut la trouver dans les B.O. d’Ennio Morricone comme « Il était une fois dans l’Ouest » par exemple. C’est un truc qu’on a beaucoup regardé et écouté. Après, l’idée n’est pas forcément de rendre hommage. C’est juste inconscient. On a appris à jouer de la guitare et de la batterie en écoutant ces trucs-là et on ne sait pas vraiment jouer autrement.

J’écoute votre album « Shadow People » régulièrement depuis sa sortie. A chaque écoute, je ne peux m’empêcher de penser à un road movie et à des références cinématographiques. Avez-vous déjà été approchés pour la bande-son d’un film ? C’est le genre de projet qui pourrait vous intéresser ?

En fait, on a pratiquement terminé de bosser sur le projet d’un petit film indépendant d’un mec qui s’appelle Kirk Lake, écrivain anglais de polars et réalisateur de films. Ce film s’appelle « The World We Knew ». C’est un tout petit budget. Là, en ce moment, on est en train de travailler sur la B.O. d’un film qui s’appelle « Le Bel Eté ». Donc, ça commence effectivement. Pour nous, c’est un apprentissage nouveau parce que le travail sur base de l’image, on n’a jamais eu vraiment l’occasion de le faire. C’est vraiment une autre manière d’aborder la musique et ça m’intéresse beaucoup. Jusqu’à présent, les films étaient plutôt dans nos tronches et ce qu’il y a de cinématographique dans ce qu’on fait vient de là. Maintenant, avec l’âge, j’ai l’impression qu’on consomme plus de films qu’on écoute de musiques, en tout cas de musiques nouvelles. On a un grosse collection de vinyles mais ce qu’on écoute au quotidien, ça ne change pas réellement de ce qu’on écoutait quand on avait dix-sept ou dix-huit ans. On aime toujours la musique primitive américaine et les B.O. de films italiens. De temps en temps, on découvre des choses comme Sleaford Mods ou les J.C. Satan qu’on adore. Mais globalement, les influences cinématographiques des 60’s ont toujours été là. Sauf que là, travailler sur l’image, c’est tout nouveau pour nous et j’espère qu’on en fera d’autres. Moi, j’adore ça.

 On retrouve du beau monde sur votre dernier album tels que Bertrand Belin, Emmanuelle Seigner, Peter Hook (Joy Division et New Order) et Anton Newcombe (The Brian Jonestown Massacre). A propos de ce dernier, comment êtes-vous entrés en contact et comment avez-vous atterri dans son studio de Berlin pour l’enregistrement de votre dernier opus « Shadow People » ?

C’est Anton qui nous a contactés en fait. C’est un gros amateur de réseaux sociaux au contraire de nous. Ca a donc pris un certain temps avant qu’on comprenne qu’il voulait nous contacter. Le label Because a sorti un double CD avec nos quatre albums américains qui s ‘appelle « Down Underground », et quelqu’un lui a filé ou il est tombé dessus. Il a ensuite dit qu’il voulait nous rencontrer et bosser avec nous. Quand on l’a su, on lui a immédiatement écrit. Dans un premier temps, il nous a invités à faire sa première partie au Trianon à Paris où il nous a laissé tout son backline. C’est quelqu’un qui, depuis le début, a été hypergénéreux et cool avec nous. Ensuite, on a travaillé sur cette reprise des Kinks qui est sortie sur Mojo Magazine. Puis, il nous a dit que ce serait quand même sympa qu’on bosse ensemble. Je lui ai dit que, avec Marie, on avait maquetté les trois quarts de notre prochain album et qu’on pouvait venir le finir chez lui à Berlin. Et c’est ce qu’on a fait. On a pris l’avion avant Noël 2017, on a atterri à Belin et on a bossé pendant quatre ou cinq jours pour finir le disque et peut-être deux ou trois jours de plus pour le mix. C’est quelqu’un qui bosse très très vite. Il bosse comme nous et comme Pascal Comelade. Il garde la plupart du temps les premières prises, les premiers jets, ce qui fait qu’il y a toujours un côté spontané. C’est entre l’artisanat et la vie. Il y a un truc que j’adore chez Anton : il adore les feedbacks et les larsens, et Il enregistre la guitare très très fort.

Quelle sera la suite donnée à « Shadow People » ?

On est sur plein de trucs en même temps. On est en train de travailler sur ces B.O. dans l’immédiat. On va bientôt se remettre à enregistrer aussi. On a très envie de travailler avec Laurent Garnier et lui aussi. Donc, je pense que la suite sera certainement un disque avec Laurent si ça se fait. Il a envie d’aller vers un format d’album avec moins de chansons et des thèmes plus longs qu’on puisse développer, un peu comme on le fait sur scène. On va peut-être se diriger vers quelque chose d’un peu plus kraut en fait (NDLR : genre musical très orienté vers la musique électronique ayant émergé à la fin des années 60 en Allemagne de l’Ouest).  C’est ce qu’on a en tête mais on n’en sait rien. On verra.

Un voeu à formuler pour 2019 et au-delà ?

Je n’ai rien de spécial. J’espère juste qu’on va pouvoir continuer à travailler de la même manière en fait. Et il n’y a aucune raison que ça change.

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