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QUAND LUCAS INTERROGE LE CAPITALISME

Texte: Raphaël Ferber
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Cristina Lucas est visiblement une fourmi. Elle cherche, se documente, rassemble les infos historiques ou scientifiques, les hiérarchise… Un boulot minutieux, de longue haleine, dont on mesure la dimension sitôt notre regard posé sur l’une de ses œuvres ou installations. Depuis ce week-end, l’artiste espagnole de 43 ans présente son expo Trading Transcendence au Mudam. Elle s’intéresse depuis plusieurs années à l’influence du système capitaliste sur notre rapport au monde et aux autres, au rapport à ce monde supposé pur et à la façon dont ces concepts vont se retrouver dans notre existence pour voir ce qu’il en reste.

Son installation vidéo Philosophical Capitalism (2014-2016) témoigne à elle seule de la volonté de l’artiste de monter un projet très riche tout en le voulant accessible : diffusée sur une dizaine d’écrans géants, cette galerie de portraits porte sur autant de thèmes (l’art, la beauté, la peur, la vérité, la douleur…) sur lesquels on s’interroge tous. Au travers d’une soixantaine d’interviews réalisées auprès d’acteurs de ces secteurs économiques (dont cinq au Luxembourg avec le juriste Marc Elvinger, l’horloger Robert Goeres, l’architecte Georges Reuter-Meertens, le journaliste Jean-Lou Siweck et l’homme politique David Wagner), l’idée est de rendre compte que ces diverses notions se définissent toujours selon une exigence de rentabilité, quand bien même d’importantes questions existentielles sont en jeu. Que représente la beauté pour une clinique de chirurgie esthétique ? Et la vérité pour une étude de notaire ? Ce n’est pas une critique acerbe que nous sert Cristina Lucas, plutôt une invitation à s’interroger sur le fonctionnement de notre société et la manière dont certains concepts se dissolvent dans cette vision capitaliste.

Des interrogations que véhiculent trois autres projets produits pour le Mudam, à commencer par sa série de tableaux Monochromes constitués de logos d’entreprises qui se superposent. L’artiste joue sur la couleur en utilisant les codes du marketing pour mieux mettre en lumière la valeur véhiculée par chacune d’elle et donc la perception qu’on en a. L’énergie, c’est le rouge, le vert, la nature, etc. De loin, ces tableaux, qui ont nécessité un gros travail de recherche et de classification des logos, semblent débarrassés des enjeux commerciaux…

Troisième projet, Elemental Order, cette grande colonne en LED de classification périodique des éléments chimiques « connectée au monde », et basée sur celle du chimiste russe Dmitri Mendeleïev (1869). En indiquant la cotation en bourse de chaque élément chimique disponible sur les marchés financiers, en convertissant toutes les devises en euros et les unités de mesure en kilos, bref, en transformant une réalité scientifique en une réalité économique, Cristina Lucas souligne la capacité du capitalisme à attribuer une valeur marchande à absolument tout sur cette planète. Un énorme boulot de recherche encore une fois (en collaboration avec des spécialistes de premier plan). Et une dernière interrogation sur notre conception du temps linéaire qui permet notamment le développement de l’activité mercantile : nous voilà au milieu de 360 horloges, affichant toutes 4 minutes de plus que la précédente. 24 heures pour faire le tour du monde et remettre en question le fonctionnement de tout un système.