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5 questions qui vont bien à Boris Charmatz

Par Fabien Rodrigues / Photo : ©Marc Domage

Incontournable figure de proue internationale de la danse contemporaine, Boris Charmatz n’est pas seulement le directeur artistique de l’iconique Tanztheater Wuppertal Pina Bausch ou encore le premier « artiste complice » du Festival d’Avignon lors de cette 78e édition, il est aussi un chorégraphe engagé, invité par le Grand Théâtre à présenter, du 4 au 6 octobre prochain, une Liberté Cathédrale qui promet un grand moment de danse. L’occasion était trop belle pour ne pas s’incruster dans son agenda de rentrée bien fourni et de discuter un peu avec lui…

Bonjour Boris, vous sortez d’une saison très dense, notamment en Avignon où vous étiez « artiste complice » du 78e festival cet été. Quelles en sont vos impressions à chaud ?

Il faut dire que c’est un statut nouveau, j’ai inauguré le rôle ! Il n’y avait pas vraiment de feuille de route, mais plutôt une implication active, du premier au dernier jour du festival, avec peu d’heures de sommeil… Beaucoup de rencontres aussi – avec des chercheurs, des frères dominicains… – donc beaucoup de choses en marge de la présentation de mes propres projets, avec notamment Forever, hommage immersif au célèbre Café Muller de Pina Bausch ou encore Liberté Cathédrale au stade de Bagatelle, qui vient au Luxembourg début octobre. C’est en tout cas un grand plaisir ressenti de pouvoir montrer une sorte d’instantané de « là où l’on en est » après ma première année de programmation entre le Tanztheater Wuppertal et la structure française Terrain ; et pas seulement une pièce comme objet unique. Cela m’a aussi donné envie d’ouvrir des portes pour des pièces futures !

Et puis c’est aussi un honneur, une fois de plus, non seulement par mon histoire avec le festival débutée en 2011 lorsque j’ai été artiste associé pour la première fois, mais aussi par le fait que la compagnie de Pina Bausch n’y était plus présente depuis seize ans ! Une belle manière de montrer qu’il se passe vraiment quelque chose à Wuppertal et que nous y mêlons, comme en Avignon, le passé, le présent et le futur.

Pouvez-vous nous parler de Liberté Cathédrale justement, qui est présenté de manière spectaculaire et différente sur chaque nouvelle scène ? Que peut attendre le public luxembourgeois ?

Effectivement, nous avons créé Liberté Cathédrale dans une église brutaliste à Wuppertal. Au Théâtre du Châtelet à Paris ou encore à l’Opéra de Lille, la scène était tout à fait différente, puis ce stade en Avignon… Le Grand Théâtre de Luxembourg est magnifique et l’équipe technique, que je commence à bien connaître, est très forte, on a donc concocté une version vraiment spéciale pour le Grand-Duché, une installation particulière avec un public qui sera en partie sur scène… Les danseurs et moi-même, on adore venir se produire au Luxembourg, il y a une sorte d’alchimie et une volonté de ma part d’inscrire le Tanztheater dans son voisinage géographique. De plus, on est toujours très bien accueillis !

« Pluie » ou « tempête » de gestes : vos créations sont souvent annoncées avec intensité : comment abordez-vous Liberté Cathédrale hors de son cadre de création ?

J’avais très peur de présenter cette pièce dans les théâtres après l’avoir créée dans une église, mais au final elle prend presque tout son sens et s’épanouit pleinement dans les théâtres, puisque ceux-ci sont quelque part nos églises à nous… Il y a une verticalité qui est vraiment là, on voit très bien la « cage de scène » et cette sorte de ping-pong symbolique entre église et théâtre qui se passe très bien jusqu’à présent – et je pense que cela va être très fort d’être au Luxembourg, notamment avec la proximité du public, autour de nous. On aurait pu penser que l’église est loin, mais elle ne l’est finalement pas, car de nombreux éléments de ce cadre de création voyagent avec nous… Et puis l’église a fait entièrement partie du processus de création de la pièce, pendant lequel je me suis beaucoup documenté, notamment sur les violences pédophiles, et ai beaucoup écouté de musique d’orgues – comme un fanatique parfois !

©Ursula Kaufmann

Vous mettez d’ailleurs très en avant cette volonté transfrontalière depuis votre arrivée à Wuppertal en 2022. D’où vient ce tropisme ?

Il vient en grande partie du fait que l’on développe un travail commun entre le Tanztheater en Rhénanie du Nord et Terrain, qui est un projet d’expérimentations chorégraphiques sans murs fixes, un lieu aux fondations itinérantes mais très actif dans les Hauts de France. Le Luxembourg se trouve pile ou presque entre les deux, ce qui tombe plutôt bien ! C’est une approche locale qui fait partie de mon équilibre, car je suis évidemment ravi aussi que l’on puisse se produire à travers le monde, à Taipei ou en Australie par exemple cette année. Cet ancrage, qui se fait un peu le long de la ligne du charbon, jusqu’à Manchester même, m’enthousiasme beaucoup – à la fois dans la possibilité de montrer le travail de Pina et le mien.

Outre la géographie, c’est aussi l’Histoire de l’Europe qui résonne dans cette dynamique ?

Absolument ! L’Europe est née avec la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, avec les accords de Schengen au Luxembourg, avec des collaborations entre les différentes communautés et c’est quelque chose qui me touche en tant que citoyen. Je vois malheureusement que c’est un grand projet aujourd’hui menacé, notamment par les populismes. Je suis français, j’ai vu les résultats des dernières élections européennes… Mais aussi par la guerre à nos frontières. En réaction, j’ai vraiment envie qu’avec la compagnie du Tanztheater, qui est très internationale avec des talents venus des quatre coins de la planète, on puisse, développer un projet culturel européen, particulièrement entre la France et l’Allemagne – mais pas que – et d’endosser ce rôle de passerelle qui fait partie de mon identité. Dans ce sens, il y a Arte bien sûr, mais je trouve qu’il y a encore bien trop peu de projets de la sorte, malgré de nombreux discours sur la culture européenne. C’est ma volonté artistique mais aussi politique ! 

Merci Boris !

Liberté Cathédrale, c’est au Grand Théâtre du 4 au 6 octobre ; infos et tickets sur le site de l’institution.

Cette interview est également à retrouver dans le Bold Magazine #87, à lire en ligne ici!

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