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«Je voulais juste décrire un malaise»

Texte: Sarah Braun

Une vallée des anges mâtinée de sidérurgie. Une bande de jeunes. Quelques bouteilles. Des soirées s’égrènent. Dans Jeunesse Maelstrom, Brice Reiter nous plonge dans les méandres d’une jeunesse un peu paumée. Jeunesse Maelstrom est son premier roman, auto-édité, pour être présenté au concours de la Plume francophone sur Amazon, est sorti début juin. Nous l’avons rencontré.

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Brice, peux-tu commencer par te présenter?
Je suis originaire de la région Lorraine. Je suis né à Thionville mais j’ai grandi dans ce petit et attendrissant village au doux nom de Basse-Ham. J’ai traîné mes souliers d’adolescent un peu discret entre Thionville et Yutz pour ensuite, dès le lycée, vagabonder un peu partout dans la Grande Région. J’ai étudié à Thionville donc, dans l’établissement public Hélène Boucher. J’ai obtenu mon bac avec un in extremis 10 sur 20. La philosophie m’a sauvé la mise. J’avais choisi la filière scientifique. Aujourd’hui encore, je considère ce choix comme l’une des plus grosses erreurs de ma vie. J’étais juste bon pour écrire et je ne faisais que lire. Aujourd’hui, je vis à Londres. Ca va faire maintenant trois ans.

A la base, tu t’es expatrié pour faire de la musique. Comment en es-tu arrivé à l’écriture?
La musique est le métronome de ma vie alors que l’écriture est ma catharsis ou mon pharmakon, je ne sais pas trop. C’est mon remède et mon poison. J’ai toujours aimé les mots. Mon premier acte d’écriture, c’était à l’école primaire. Un concours de poésie. C’était un haïku sur une horloge cherchant le sens du temps. Au collège, j’adorais les écrits d’invention, c’était mon péché mignon. En fait, j’ai vraiment commencé à écrire de manière intense à partir de la seconde, au lycée, quand j’ai rejoint l’équipe du blog Street Art et le magazine de musique 90BPM. Je couvrais des évènements artistiques d’abord et j’ai voyagé dans de nombreuses villes françaises pour parler d’art urbain et faire des reportages d’expositions. J’étais affilié à la rubrique Grime/Rap anglais. C’était à l’époque de l’émergence du 2-step et des débuts du grime. On m’avait filé cette opportunité car, lors du premier salon Customania à Lille (NDLR : un festival d’art urbain et de customisation d’objets pour lequel il était en reportage), j’avais fini dans ce bar au bord d’un canal où jouaient des beatmakers anglais. Ils jouaient du 2-step mélangé à des sonorités garage, dancehall et hip hop. C’était du grime. Ce style de musique m’avait rendu complètement fou. Du coup, j’ai tout appris à propos de ce genre. Puis j’ai fini par chroniquer le premier album de Wiley, Plan B, Dizzee Rascal, etc.

“Cette nouvelle société de l’image
et cette mise en avant de soi sur Internet, ça me révoltait”

Plus tard, de la première à la terminale, je me suis mis à écrire principalement dans la partie commentaires des blogs, sous un pseudonyme. Je rédigeais de longues critiques pour dire aux gens à quel point leur égocentrisme était pernicieux. Je ne me l’explique toujours pas aujourd’hui, mais c’était comme une drogue. Je rentrais des cours et je me mettais sur Internet. Je passais tous les blogs en revue et quand il y avait un article avec une photo trop narcissique, j’écrivais quelque chose. Ce n’était jamais injurieux, toujours argumenté. Je lisais beaucoup de Guy Debord, Roland Barthes, Sartre et Baudrillard…Tous ces auteurs influençaient mon jugement à l’égard de cette nouvelle société de l’image et de cette mise en avant de soi sur Internet. Ca me révoltait. Lorsque mon pseudonyme a été découvert, j’ai tout arrêté : d’écrire et de lire avant de m’y remettre vers ma deuxième année à l’université. Je me suis intéressé à la sémiologie, la linguistique, l’écriture de scénario, de documentaire, à des nouveaux styles d’écritures comme l’écriture spontanée, l’écriture minimaliste, etc. J’expérimentais beaucoup. J’écrivais partout, sur des serviettes au restaurant, sur les tables des amphithéâtres, sur mes cours. J’ai commencé ce premier roman un soir de juin 2015. Je ne savais pas que j’écrivais un roman. J’écrivais seulement ce texte comme on raconte une histoire à un ami.

La musique, ça marche toujours bien?
Je ne sais pas trop. Quand je découvre un artiste inconnu qui me semble bon, je me sens le besoin de faire quelque chose avec lui. A Londres, il y a des artistes talentueux à tous les coins de rues. C’est très excitant. Mais je pense que la principale difficulté pour un artiste ou un label est de trouver le bon écosystème entre développer le projet, le promouvoir et faire de l’argent. Un label gère des artistes et pour gérer les différentes étapes d’un projet musical, il y a différentes ressources à actionner (promo, marketing, mastering, direction artistique, vente, etc..), donc ça demande un peu d’argent, du temps et des moyens. C’est toujours un pari, un risque… Mais tant qu’il y a de la passion et de la patience, il y a des résultats.

“L’habitude nous entraîne vers l’ennui mais elle apporte aussi
quelque chose qui nous rassure : le connu, le confort et la sécurité”

Revenons à Jeunesse Maelstrom. Tu y dépeins une jeunesse un peu paumée, qui ne rend pas vraiment service à la région. Pourquoi avoir pris ce parti pris de la noirceur?
Mon idée n’a jamais été de dénigrer ma région. En fait, c’est un constat. On a tous connu ou on connait tous une bande de jeunes un peu perdu, un peu ennuyé, qui traîne, qui se drogue et qui font n’importe quoi pour fuir la monotonie du quotidien. Je voulais juste décrire un malaise. L’histoire ne prend ni parti pour la jeunesse ou quelqu’un d’autre, il donne juste une idée de pourquoi les choses finissent comme cela et à quoi cela est dû. Quand j’ai écrit le dernier chapitre du livre, je me suis juste dit : il faut que ce soit pédagogique, non pas moraliste. Jusqu’à présent, il est assez intéressant de voir comment le livre est réceptionné et compris. J’ai eu des retours très intéressants et parfois le décodage par les lecteurs va même au delà de ce que j’aurais pu pensé.

Ton livre raconte «l’inertie de l’habitude». Peux-tu m’expliquer?
J’ai emprunté ce terme à Oscar Wilde, il l’utilisait pour décrire la fidélité. Dans mon livre, l’inertie de l’habitude est aussi une image. Je vois dans l’habitude quelque chose de subversif, de sédatif. L’habitude nous entraîne vers l’ennui mais elle apporte aussi quelque chose qui nous rassure : le connu, le confort et la sécurité. Et l’humain, en général, s’y sent bien car l’inconnu l’effraie. Du coup, la routine se définit pour moi comme une inertie de l’habitude car c’est un état inerte qui t’emporte à toujours effectuer la même chose. Dans mon livre, tu as cette bande de potes qui, chaque weekend, effectue la même chose, les mêmes rituels. C’est leur inertie de l’habitude. Ils le savent. Ils s’en plaignent mais ne font rien. Ils essaient pourtant, parfois, de sortir ça avec l’alcool ou la drogue, pour voir les choses différemment. Ils s’en extasient mais reviennent toujours à ce tourbillon, à ce tourner-en-rond quotidien. C’est l’image.

L’histoire est-elle autobiographique? Jusqu’à quel point?
Il y a des éléments autobiographiques. Dans chaque chapitre même. Mais tout est extrêmement romancé. Il est difficile d’expliquer à mes proches aujourd’hui la part de réel et de fiction, mais tout est tiré de petits détails liés à mon adolescence et d’épisodes vécus. Après ça reste une histoire et ce que l’on comprend lors du dernier chapitre ne s’est, bien heureusement, jamais passé !

“Ce sera une trilogie mais il n’y aura que des liens indirects
entre les différentes histoires”

Pourquoi avoir fait le choix de t’auto-éditer?
J’avais besoin de passer à quelque chose d’autre. Ce roman me pesait. Lorsque j’ai terminé son écriture, en novembre 2015, j’avais seulement besoin de le relire. Ca a été un exercice gargantuesque. J’avais écrit les différents chapitres sur différents supports. Tout était mélangé. Il y avait des incohérences et des anomalies par rapport à l’idée globale de l’histoire. Au final, je voulais juste le publier et ce concours sur Amazon (Les Plumes Francophones) a déclenché le lancement. Mais ce choix n’empêche en rien sa récupération par une maison d’édition. Je pense d’ailleurs, très bientôt, envoyer quelques exemplaires à différents éditeurs.

Jeunesse Maelstrom est le premier tome d’une trilogie. A quand la suite?
J’ai commencé la suite ainsi que trois autres livres. Ce sera une trilogie mais il n’y aura que des liens indirects entre les différentes histoires. Un élément du premier livre va influencer l’histoire de l’autre. Il y aura des croisements et probablement l’apparition de certaines personnages du premier roman dans le deuxième et troisième mais ça ne sera pas une suite à proprement parlé. Sinon, d’ici la sortie du deuxième tome, j’espère finir mon recueil de poésie illustrée. Je relis énormément de Dylan Thomas en ce moment et je m’efforce d’écrire une poésie par jour. J’en ai déjà une trentaine, le reste devrait suivre assez rapidement. Puis, j’avance sur différents projets comme le scénario d’un film – c’est mon projet un peu fou -, un livre composé des différentes nouvelles de mon personnage James Du Candel (que j’avais posté sur mon ancien blog) et quelques autres trucs comme des concours littéraires. Ca fait beaucoup de choses, mais j’ai besoin de faire sortir tout ça de ma tête !

Jeunesse Maelstrom, Brice Reiter, disponible sur amazon.

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