«Ça fait 15 ans que tout le monde me copie»
Photos: Charles Caratini
Coupe de champagne à la main, l’artiste français Julien Marinetti prend la pose derrière Popy l’ourson, aux côtés de Michel Miltgen, galeriste au Grand Duché.
Il est arrivé à l’Hôtel Le Place d’Armes et a commandé direct un Lagavulin 16 ans d’âge. Un peu au hasard et un peu surpris, visiblement, qu’on le lui serve vraiment. «C’est rare d’en trouver !» Une entrée remarquée pour Julien Marinetti, rendu célèbre par son non moins célèbre bouledogue «Doggy John», qui a trôné un peu partout dans l’hôtel jusqu’à mardi, aux côtés de «Bâ» le panda, «Bob» le pingouin et «Popy» l’ourson.
On vous connaît beaucoup pour Doggy John, ce bouledogue que vous avez sculpté presqu’à l’infini ! D’où vient ce goût pour le bouledogue ?
Julien Marinetti : Je n’ai pas un goût particulier pour lui. Mon travail consiste à partir de ce postulat : il n’y a plus rien à inventer dans l’art. Du pire classicisme à Marcel Duchamp qui accrochait un bidet au mur en 1910, il n’y avait plus rien à inventer à l’exception de la synergie entre le monde de la sculpture et le monde de la peinture. J’ai réalisé des pièces qui symbolisent cette synergie. Je me sers du support sculptural pour en faire une œuvre totale. C’est une composition, pas un habillage. Si on regarde la pièce (il pointe du doigt une de ses oeuvres), on oublie que c’est un panda. C’est très impressionniste, il faut reculer pour voir ce que c’est. C’est ce qui est complètement nouveau. Et après, ça fait 15 ans que tout le monde me copie. Beaucoup se sont mis à faire leurs trucs en plastique, leurs crocodiles merdiques et à peindre par dessus. Mais pour faire ça, il faut être à la fois sculpteur et peintre. Moi, je suis peintre. Je ne suis pas un graffeur, un tagueur. Ces sculptures, je les ai faites moi-même sans effectuer un scanning, sans robot qui sculpte du plastique… Je suis un pur beaux-arts.
Ces sculptures ne représentent rien d’autre que des supports, pour vous ?
Ben… Bien sûr que si, si on analyse bien, il y a une régression psychanalytique. Le chien, c’est le petit animal qui regarde l’être humain d’en dessous, mais c’est lui le plus fort. L’ours, c’est la petite enfance, le panda c’est pareil… Le pingouin, c’est lié au réchauffement climatique. J’avais sorti cette histoire à la Cop 21 et on m’avait dit que c’était drôle. Ils sont ensuite partis à la Cop 22…
Très bien, mais toute votre histoire a commencé à partir de Doggy John!
En effet, c’est une histoire de fou. J’avais un pote qui avait un bouledogue. Il me l’avait prêté car il partait en vacances. J’ai d’abord fait sa tête et ensuite, j’ai eu envie de le sculpter entièrement. L’idée, et c’est la grande difficulté, c’est que quand on réalise une sculpture, il ne faut pas chercher une réalité absolue, mais l’existence. Si on regarde de près, ce n’est pas vraiment un bouledogue. Comme l’idée était novatrice, ça a fait un buzz dans le monde entier. J’en ai fait un pour Obama il y a des années. Et ça ne faiblit pas.
On vous commande de plus en plus des grandes pièces, de presque 3 mètres, comme on peut en voir à New York, à Londres, à Singapour…
Oui c’est incroyable, alors qu’il paraît que c’est la crise (il rit). Mais en même temps, ce n’est pas excessif pour des pièces uniques en bronze conçues par quelqu’un qui est connu depuis des années. Celle derrière vous (une pièce de 40 cm, ndlr), ça tourne autour de 13 000 euros. Certains essaieraient de vendre ça 50 000 euros. Mais il est question de respect du public. Il y a des gens qui n’ont pas d’argent et qui économisent deux ans pour m’acheter une œuvre. C’est devenu une espèce d’objet culte chez eux. C’est une drôle d’idée, mais c’est bien. C’est comme d’être ici, c’est une drôle d’idée !
Ici, au Luxembourg ?
Mais oui, c’est un petit hôtel, je trouve ça drôle ! C’est une gageure, mais j’aime bien les trucs un peu décalés. Je ne peux pas être toujours à Londres, dans la plus grosse galerie, dans les quartiers ultra chics, ou sur South Central Park à New York…
Quels messages faites-vous passer ?
Aucun. Ça (il montre du doigt une autre sculpture, ndlr), c’était l’enlèvement des Sabines d’après de Nicolas Poussin. Toutes les grandes idées se font de manière hasardeuse et commencent tout doucement. L’impact a été immédiat et j’ai été copié, copié, copié…
Et ça vous fait quoi, d’être tant copié ?
Je suis content.
Vraiment ?
La seule chose qui m’ennuie est que jamais personne, ou très peu, ont eu le courage et l’honnêteté de dire que c’est parce qu’ils m’ont observé pendant des années (qu’ils ont pu créer leur propre œuvre). En même temps, que ce soit aux États-Unis, en Angleterre ou à Singapour, beaucoup estime que je suis le chef de file du syncrétisme de l’art, de ce télescopage entre peinture, sculpture, gravure, polychromie, colorfield… Mais je m’en fous et je n’ai rien contre personne. Je continue à en vendre toujours plus que tout le monde. Les gens ne sont pas idiots, ils reconnaissent tout de suite mon travail.
Julien Marinetti, «un volcan en éruption» pour Michel Miltgen
Organisateur de cette expo qui a duré moins d’une semaine à l’hôtel Le Place d’Armes, Michel Miltgen, galeriste au Luxembourg, a l’œil qui brille quand on lui parle de l’artiste français, « maître » du pop-art. Pourquoi il l’aime tant ? « Déjà, pour la composition des couleurs. Il a le don de bien les mélanger, de bien les juxtaposer. Ses sculptures, j’adore ! » répond le galeriste, qui a pu assister à tout le processus de création d’une de ses œuvres. « On aurait dit un volcan en éruption. Les idées émergeaient sans arrêt. Il a ce don de bien restituer l’animal, son attitude, à l’image de la raideur du pingouin. Il n’a pas comme seul don de peindre. Beaucoup croient que ses pièces sont en résine, mais elles sont toutes uniques, en bronze. Julien, c’est un workaholic. Il ne sait rien faire d’autre que son art. Il a une énorme connaissance de l’évolution de l’art dans l’histoire de l’humanité. On est devenu ami dès le début il y a 8, 9 ans. C’est quelqu’un d’authentique à 100% »