“Ce qui cloche chez l’humain c’est… l’humain”
Cyril Durr habite près de Thionville, c’est là qu’il a découvert Bold en début d’année. Ça tombe bien, son premier roman est sorti peu de temps après. Nous l’avons lu (et aimé) et rencontré l’auteur pour échanger avec lui sur l’écriture, l’autisme et le Luxembourg.
Le Sang des Héros, publié chez Nestiveqnen Éditions le 21 mars (19€), conte l’histoire d’une équipe de jeunes « suprahumains », ces êtres possédant des super-pouvoirs et qui ont changé le monde, obligé d’effectuer un service militaire pour maîtriser leurs dons. Cinq d’entre eux nouent une solide amitié et un drame les oblige à partir en quête de justice. Leur périple va les mener à un terrifiant secret qui pourrait bien modifier le monde une seconde fois.
Simpliste en apparence mais nettement plus complexe dans le roman, le récit de presque 300 pages se lit avec une fluidité extraordinaire. Chaque chapitre livre le point de vue d’un personnage différent (en apparence « gentil ou méchant ») et permet de mieux le développer et se rendre compte que tout est loin d’être si manichéen, bien au contraire. C’est l’une des forces du récit, avec pas mal de surprises et d’originalité, malgré quelques séquences un peu plus convenues et des enchaînements parfois trop rapides. Un choix de l’auteur qui a préféré structurer son texte ainsi pour garder un bon rythme. On ne peut guère lui reprocher, tant il est vrai que Le Sang des Héros se dévore quasiment d’une traite.
« L’idée de départ était d’essayer de rendre compte de ce qui se passerait si, dans la réalité, de telles capacités apparaissaient »
Cyril Durr est, entre autres, correcteur de bandes dessinées américaines pour Dargaud (via sa filiale Urban Comics, qui publie notamment les aventures de Batman, Superman, etc.). Il est aussi le fondateur d’UMAC, site consacré aux comics et à la pop culture depuis plus de dix ans. Enfin, en 2016, il avait scénarisé une bande dessinée parodique sur les héros de comics (The Gutter, disponible chez Nats Éditions), un domaine qu’il maîtrise donc très bien. Des références aux comics, il y en a, volontairement ou non, dans le roman de Cyril. Les X-Men? Ne dîtes pas ça à l’auteur, ça risque de l’énerver ! Celui-ci insiste sur le fait que son histoire est avant tout dramatique et qu’il n’y a pas de super-héros costumés dans son univers. « L’idée de départ était d’essayer de rendre compte de ce qui se passerait si, dans la réalité, de telles capacités apparaissaient », confie le Mosellan de 45 ans. « Je pense que se confectionner un costume pour aller patrouiller dans les rues à la recherche de méchants serait vraiment la dernière des idées à venir à l’esprit des gens. C’était aussi un prétexte pour livrer une vision assez pessimiste de notre société actuelle, avec ses excès, ses dérives. La thématique des super-pouvoirs sert un peu d’emballage « sexy » pour rappeler que ce qui cloche chez l’humain c’est… l’humain. Augmenter ses capacités ne change rien à l’affaire. » Les lecteurs fin connaisseurs de comics constateront également des noms de protagonistes aux mêmes consonances que de célèbres artistes (dessinateurs et scénaristes).
Autre point fort de l’ouvrage : un personnage autiste et cinéphile, très attachant et justement croqué. Blitz (son prénom) est un puissant télépathe mais qui « possède l’innocence d’un enfant » souligne l’écrivain qui apporte une intéressante justification pour sa conception : « Son autisme en fait aussi un personnage hors-le-monde, le seul peut-être à se rendre compte de ses non-sens et imperfections. Le drame, c’est qu’il souffre aussi de ne pas en faire totalement partie. Et comme bien des gens qui souffrent, il se sert de l’art. Par contre, lui ne cherche pas à mettre la réalité à distance, mais à la comprendre. Blitz finit par être manipulé par l’art, parce que je ne voulais pas donner non plus une image d’une dualité art/Bien d’un côté, réel/Mal de l’autre. L’art fait partie du système, il peut-être magnifique, une planche de salut, mais il peut aussi pervertir et tromper. J’aimais aussi cette idée de type amoureux du cinéma mais qui ne peut rien ressentir réellement, pour qui chaque film est une énigme. C’est assez horrible au final. »
Un spin-off et un roman se déroulant en Moselle en cours d’écriture
Le Sang des Héros décrit un univers riche et crédible, non dénué de quelques passages philosophiques et mathématiques qui ont nécessités quelques recherches. « De la première Maison Blanche confédérée, à Montgomery (Alabama), à des livres de vulgarisation scientifique », explique Cyril. « J’aime que mes récits soient ancrés dans le réel, qu’il y ait un fond, même s’il reste discret, sur lequel repose l’intrigue. Parfois, c’était plus basique, comme mesurer la largeur d’un étang sur Google Earth ! J’ai essayé de soigner chaque détail pour rendre le récit vraisemblable. » Des anecdotes qui en disent long sur le perfectionnisme de l’auteur, grand admirateur de Stephen King, dont il a repris la recette idéal pour son roman : « il faut que les protagonistes soient crédibles, épais, vivants, que le lecteur puisse être touché par ce qu’ils vivent. C’est ce que fait King et son habileté dans la construction des personnages ; c’est un point central de l’efficacité narrative d’un roman. » La méthode s’avère efficace et fonctionne bien dans Le Sang des Héros. « Une suite n’est pas prévue mais un récit qui se passe dans le même univers et dévoile la vie d’un des personnages secondaires qui n’est que cité dans ce roman-ci » est en cours d’écriture nous confie l’auteur.
Mais avant cela, le prochain roman de Cyril « devrait se situer dans une petite ville de Moselle où se déroulent d’étranges évènements en rapport avec… les livres ». Attaché à la région, il connaît bien le Luxembourg aussi puisqu’il y a travaillé à l’aube des années 2000. « J’y vais assez rarement mais j’aime surtout ce que l’on appelle la « petite Suisse luxembourgeoise, vers Echternach. C’est un endroit assez fascinant et sauvage, avec de superbes paysages. Je préfère ça au vacarme des villes. » Chez lui, au calme, Cyril suit une routine bien établie : « sport tôt le matin, puis travail de correction (pour différents éditeurs) et suivant mes possibilités, trois à quatre heures d’écriture en fin de journée ». Une organisation qu’il a tenu durant un an et demi pour rédiger Le Sang des Héros.