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Aralunaires 2021 : Jusqu’à éclater les basses !

Texte : Lou Horvat
Photos : Fabien Silvestre Suzor & Johan Poezevara

Ceux qui ne connaissent pas les Aralunaires n’ont jamais décollé de leur canapé ces dix dernières années. Classé au patrimoine immatériel des festivals de musique les plus pointus du plat pays, les Aralunaires c’est chaque année autant de kiffe que de kilomètres parcourus à pied dans les rues de la petite ville, chef-lieu de la province belge de Luxembourg. Pourtant, cette année, l’ambiance virus aura eu raison des ballades de concert en concert dans le cœur de ville, pour nous plonger dans le parc du campus Arlon Environnement, branche « environnement » de l’ULiège, histoire de feinter quelques infortunes des restrictions covid… Et sincèrement, en toute objectivité, c’était de loin, la meilleure idée de la rentrée que de s’y rendre. Pour ceux qui « avaient poney » en même temps, pas de panique, vous n’aurez qu’à y aller l’an prochain… En attendant, on vous résume l’affaire qu’a été cette 12e édition « hors-série ».

ARA QUOI ?

Les Aralunaires à l’origine c’est un festival à taille humaine, mêlant les genres, projets, et groupes, au cœur de la ville d’Arlon, dans des lieux dédiées et insolites. Un festival forgé sur un line-up international dit de « défrichage » d’artistes souvent aux personnalités uniques, que le public est invité à découvrir – ou pour les aficionados « redécouvrir » – dans des lieux tout aussi singuliers : piscine, église, synagogue, shop, palais, musée, maison, bar, place, rue, caserne, aérodrome… Au pourtour d’un espace transfrontalier, le Festival Les Aralunaires s’est imposé depuis 2009 comme un rendez-vous incontournable de la scène alternative locale, mais bien plus, il est devenu au fil de ses douze ans d’existence, et à la force d’une qualité de programmation rare dans le coin – même au sein des meilleurs salles abonnées aux musiques actuelles –, un événement majeur dans le paysage culturel du centre de la « Große Région ».

2020 ACHOPPÉE…

Prévue à l’origine entre le 29 avril et le dimanche 3 mai 2020, autour d’une trentaine d’artistes, la 12e édition des Aralunaires a connu bien des déconvenues. Annulée, puis reportée au vu de l’incertitude du contexte et des nombreux impacts de cette pandémie sur l’agenda culturel, les Aralunaires 2020 aura annoncé deux fourchettes de dates différentes avant de se résigner à restreindre ses ambitions pour s’installer sur une rentrée 2021 mouvementée.

Résolument décidé à respecter ses valeurs de soutien à la scène musicale, en maintenant au programme de l’édition 2021 un maximum de ceux qui comme le festival, ont dû s’arrêter sur le bord de la route. Les programmateurs et coordinateurs du festival se sont donc pliés en quatre, enfermés chez eux, pour concocter à leur public une édition 2021 à laquelle s’est greffées nouveautés, idées originales et belles surprises, tout en tenant la promesse à son public d’un report de pass et d’une édition clairement loin d’être un sauvetage mais plutôt un événement festif et joyeux en cette fin de crise – « fin », à priori… –.

Alors, avec l’absence de Michel Cloup, Hervé, Jok’Air, Mezerg, Sessa, MadMadMad, ou encore Carlton Jumel Smith, ou encore Los Bitchos et Zénobia, en last minute, même si l’on note quelques désistements de mai 2020 à septembre 2021, les nouvelles lignes tracées par le festival auront tout de même permise une programmation internationale de qualité AOP, un bon millésime, en somme.

ENFIN ! 2021 !

Dans les contraintes actuelles, livrées sans papier cadeau de la part des autorités Wallonnes, imposant un accueil maximum de 400 personnes en extérieur – sans covid check, détail de confort –, les Aralunaires ont profité de l’occasion pour réinventer leur modèle, autant que leur structure. Dans l’impossibilité d’inviter ses assidus mélomanes dans le fond d’un vieux magasin, ou de les loger dans une piscine, pendant qu’un groupe joue près des plongeoirs, cette année, il fallait songer à un lieu unique, dehors, et transportant quand même, le symbole d’un patrimoine arlonais subtil et sublime. Alors, c’est dans le fabuleux jardin du parc de l’ULiège que cette édition très spéciale, s’est déroulée dans le respect de toutes les normes sanitaires en vigueur, pour rassurer quand même…

« Au cœur de l’Université de Liège à Arlon, l’équipe a concocté un festival à la fois urbain et en pleine verdure, dans un lieu couvert mais ouvert sur le parc, à la capacité limitée, dans l’esprit des Aralunaires », lit-on sur le site officiel. Et c’est vrai ! Mieux qu’une promesse de campagne, les Aralunaires ont fait ce qu’ils ont dit : proposer une version inédite du festival, tout en gardant l’essence de ce qui le constitue depuis plus d’une décennie. C’est donc là, entre les vieux arbres de cet éco-parc – enfin quel parc naturel ne l’est pas ? –, et non loin de l’escalier du 19e siècle séparant l’université de l’Église du Sacré-Cœur, spot emblématique du festival, que cette édition post-covid s’est posée. Et il y avait tout un symbole là-dedans, l’université de Liège à Arlon ayant accueilli sur cinq ans, plus de dix concerts…  

ALLÉGÉE MAIS JUBILATOIRE

Le cadre installé, dans la lignée de ce que propose le festival depuis sa création en 2009, Les Aralunaires ont donc mis à l’honneur les artistes et les labels indépendants, les projets émergents et les expériences sensorielles originales, tout en maintenant à l’affiche un maximum des artistes qui, comme Les Aralunaires, s’étaient retrouvés au chômage technique l’année dernière.

Le line-up aura été aussi international qu’hétéroclite, du jazz avant-gardiste au garage rock, en passant par l’électro orientale, ou la pop belge. Une programmation de caractère, élaborée pour tous les publics, afin que chacun y trouve un souvenir à raconter, ou à garder secret…

Acid Arab, Le Villejuif Underground, Dj Marcelle, Takeshi’s Cashew, Yīn Yīn, Yôkaï, Noah Vanden Abeele, Bryan’s Magic Tears, ECHT!, Nikitch & Kuna Maze, Pierres, Saudade, DkA, Hugo Freegow, Milk TV, Kuston Beater, Augustin Fievet et le Ouistiti Disco Club, se sont ainsi enjaillés sur la grande scène enracinée sous le bâtiment principal, type Poudlard, de l’université.

EN IMMERSION

On a vécu les Aralunaires de l’intérieur, à la source même de tous les heureux moments comme les moins joyeux. Et ça a été un gros rythme, agrémenté de plusieurs gifles musicales, pas mal de marrades, quelques bières écoulées, des bornes à écraser le sol, pour peu de temps au pieu. On a eu l’occasion de s’y retrouver, à fond, de nombreuses heures sur place, quasi H24 dans l’esprit, et ça a été furieusement dur, mais franchement bon.

Dans cette 12e vague que nous ont servi les Aralunaires, force est de parler de l’immense travail d’adaptation de l’équipe autant que de son abnégation à coute que coute, faire résonner la musique dans ce fin fond de bout de Belgique, et surtout, redonner vie, le temps de 5 jours, à une Arlon qui parait si morne habituellement, pour y avoir tourné en rond un samedi matin entier.

AU CŒUR DU REACTEUR DONC

Noah Vanden Abeele et Augustin Fievet lancent les Aralunaires dans un rythme néoclassique apprécié du public, venu relativement en masse – environ 180 personnes quand même –, malgré le côté élitiste que revêt leur musique de nos jours. Et ce, à tort, tant leur prestation relève du divin dans l’ambiance chaleureuse du parc, devenu jardin d’Éden pour quelques heures. Aussi, même si cela aura été un drôle de pari que de commencer par deux artistes d’une branche musicale dénigrée par la faune festivalière, les deux pointures, d’un type de live qui se regarde plutôt assis, n’ont clairement pas eu à souffrir d’une quelconque indifférence, bien au contraire.

Yôkaï, Echt! Et Nikitch & Kuna Maze ont eu la lourde tâche d’occuper la scène du jeudi pluvieux, deuxième jour de festival. Néanmoins, comme il n’y a pas de hasard, on passe entre les gouttes, et voilà les trois concerts s’imbriquer avec brio dans la suite de la programmation, comme une douce montée en puissance. L’élite d’un jazz nouveau et flamboyant que sont ces « pointures » de musicien – bien obligé de reprendre le mot à nouveau –, régalent. Il est d’ailleurs rare de voir un régisseur tortiller du cul devant un groupe, et pourtant… Tout en restant attentif à ses réglages, celui à lunette danse timidement derrière sa machine. Echt! malgré une très bonne présta’ ne connait pas de rappelle, le public est bien sage, mais de l’oreille d’une petite souris glissée dans la fosse, on entend quand même sa satisfaction. Quant à Yôkaï, on s’accorde sur une note correcte pour cette fois, sans faire péter l’applaudimètre, et sur le dommage d’avoir une si belle identité visuelle et de ne pas en profiter sur scène. Mais quand-même, la musique est bonne, alors, on pardonne tout.

MÉMORABLE WEEKEND 

Le vendredi, sa monte clairement dans les décibels. Comme la veille, dans ce lieu immense, la foule de spectateur parait modeste et pourtant, entre les concerts le bar est plein à craquer, il y a la queue aux toilettes, et plus de banc où s’assoir, n’est-ce pas là le signe d’une jauge qui commence à saturer ? Évidemment, et sans surprise, le rock indé à l’honneur ce soir-là fait des heureux. Milk TV jeune groupe post-punk chauffe comme il faut le début de public rassemblé, et derrière c’est l’euphorie… 

Takeshi’s Cashew envoi tout le monde dans un autre monde, entre psyché et downtempo, au son d’une sorte de didjeridoo bricolé à base d’une vieille plomberie et de guitares dites « surf »… Avec tout ça, il profite du premier franc rappel de l’édition number 12 des Aralunaires, succès tout à fait mérité. 

Après la parade installations et désinstallation, Yīn Yīn finit la soirée dans une incroyable explosion de saveur musicales, comme dans un cinq étoiles au bord de la mer. C’est clairement la gifle du moment, et l’excitation du public confirme les étoiles occupant nos yeux. Ces derniers embrumés plus tard de boissons, on se retrouve chuchotant le « Dis̄ kô Dis̄ kô » de Yīn Yīn, tube intemporel qui occupe depuis notre playlist perso’. 

Samedi, c’est samedi, comme on dit. Et logiquement, le rendez-vous a été gravé en lettre d’or dans les agendas. Ça commence avec un Pierres en short tout terrain, quoi qu’il arrive, même sous seulement 18° au soleil, faisant le taff en bon show man devant ses amis et sa famille, chez lui quoi. Un Pierres au max du max, pour faire bouger un public qui n’a pas mangé son 4h, mais garde un sourire aux lèvres tout du long, tant le type est drôle et transmet une vive bonne humeur. 

Les mecs de Saudade rôdent pendant ce temps autour de la scène, sur-chauds avant de prendre possession de la scène à leur tour. Mais bon, si leur enthousiasme est louable, leur musique trip hop décharnée berce comme une belle comptine, sans faire pour autant planer. Saudade à la belle musique, lance un mood trop posé pour le public des Aralunaires, qui sous le soleil arrivé tardivement, s’apprêtait à danser.

Alors, si l’après-midi aura été plus intimiste, d’avance, on sait que la soirée va envoyer du bois, on attend quelques DJs dont les boss que sont Acid Arab. Et même avant l’attendu bordel que cela va provoquer, le drapeau – une couverture de survie qui scintille – culminant au-dessus de la tente de scène est déjà flingué, comme le symbole d’une tempête prévisible. 

L’entre deux parties de cette longue journée est d’abord marquée par les « DJs Aralunaires », un duo entre les programmateurs du festival Sebastien Cuvelier et Khalid Bartholomé qui s’embarquent à combler le vide entre les concerts de l’après-midi et du soir dans une formule très appréciable. 

Après cette pré-pré-chauffe avant les plébiscités Acid Arab, DkA se pose en premier sur scène pour convaincre quelques teufeurs isolés. Entre lui et le public, une douve de vide. En même temps, il est 20h30, et quand même, là-dedans nagent plusieurs quidams s’essayant à égaler les danseurs du film Climax (Gaspar Noé). 

Ensuite, Hugo freegow démarre en refroidissant un peu l’ambiance après la chaufferie DkA en fin de set. Mais le type est un diesel. Devant la scène une centaine de personne, La foule amassée au bar commence à avoir envie de danser et sa transite de plus belle… Ragga, rap, techno, électronique, tout y passe avant qu’Acid Arab ne viennent bousculer l’entière foule logée devant la scène cette fois, pour profiter des tessitures orientales de la techno du duo parisien en grande forme.

HAPPY ENDING

Le dimanche, tout le monde a les yeux qui piquent, il est 10h30, le Ouistiti Disco Club engraine une cinquantaine de gosses dans une boom survoltée. Un créneau pour engloutir un plat et c’est reparti. 

Kuston Beater était venu tôt faire quelques essais – dit-on balance pour un DJ ? –, du coup, on a l’impression qu’il aura mixé trois heures durant, sans que cela ne nous gêne vraiment. Le luxembourgeois a de la bouteille et son style pourrait tenir en haleine tout type d’écoutant pendant une après-midi entière… 

Mais, encore. Car il y a là un énorme « mais », DJ Marcelle est arrivée. Et après s’être frayé un chemin entre les fans désireux d’un selfie, les journalistes un poil insistants, la voilà posséder les platines telle la matrone et reine des Aralunaires. Car clairement, il faut le dire, si tous les autres ont eu leur heure de gloire, Marcelle était attendue comme une déesse, et quand on voit ce qu’elle fait avec des platines on comprend que la foule se soit prêté au rituel. C’était tout simplement exquis et d’un génial assez introuvable dans ce registre. Elle aura été jusqu’à faire cramer la basse, littéralement, pour que se retrouve sur les réseaux sociaux des commentaires ironisant l’évènement, tel que « RIP le Subwoofer ». Marcelle à Arlon, un après-midi ensoleillé de septembre, les pieds dans l’herbe grasse, bières locales dans le tarin, c’était carrément marquant.

En clôture, les teams du Bryan’s Magic Tears et du Villejuif Underground auront su mettre à l’aise leur auditoire, un peu en descente après les émotions de l’après-midi. Autre symbole fort d’une édition de qualité, finir sur les poulains du label Born Bad Records, connu pour son intransigeance dans la qualité des groupes qu’il signe, et son nez pour les trouvailles indé rock qui savent convaincre les plus pointilleux amoureux du genre. De même, les Aralunaires a, lui aussi, ces adages, qu’il ne perdra définitivement jamais, même quand il se réinvente à l’improviste pour faire vivre Arlon, quoi qu’il arrive, et à jamais ressusciter la ville natale ou d’attache, d’une équipe au cœur gros.


Retrouvez ici les lives tournés sur place : 

YĪN YĪNhttps://fb.watch/81LXvPKOcp/
Milk TVhttps://fb.watch/81LZ3aihDN/
Augustin Fievethttps://fb.watch/81L_725OCh/