Asaf Avidan, la beauté de la morsure
Il a failli mourir sous les crocs d’un chien-loup et la crise de la quarantaine a ouvert d’autres plaies: Asaf Avidan, à la voix venue d’ailleurs, panse une nouvelle fois ses blessures avec un album magnétique.
Essoré par le rythme des tournées – “la scène donne de l’énergie mais la routine valise-bus-hôtel-balance est infernale”, comme il le résume – le musicien à la coupe d’iroquois dandy s’était offert une pause d’un an et demi. Pour faire le point sur sa musique et sur son existence. Une vie qui a donc failli lui échapper quand un chien-loup – format mastodonte, adopté à l’âge adulte alors qu’il aurait fallu le prendre plus jeune – s’est retourné contre lui pour voir qui était le mâle dominant.
“Il avait attaqué un chat chez moi, je lui ai enlevé sa proie et, de sang-froid, il a essayé de me tuer. J’ai mis du temps à m’en remettre, entre les docteurs et les physiothérapeutes, j’avais une oreille et une main en lambeaux, entre autres, et mon entourage pensait que je ne pourrais plus jouer”, conte-t-il posément, totalement rétabli aujourd’hui. L’histoire ne s’arrête pas là. Quelques temps plus tard, une meute de loups – “je ne me doutais pas que ces animaux entreraient autant dans ma vie (rires)” – a causé la mort d’un de ses chevaux dans la propriété de Toscane où il vit quand il n’est pas à Tel-Aviv.
Des Fugees à Billie Eilish
Evidemment, l’Israëlien en a fait une chanson, “Lost horse”, sur son nouvel opus intitulé “Anagnorisis”, comme le terme emprunté à Aristote pour désigner le moment où l’on découvre quelque chose sur soi (vendredi chez Play Two). Ce morceau n’évoque pas seulement ce “Cheval perdu” mais transcende l’idée de perte, des ruptures amoureuses aux “versions de soi plus jeunes”, gommées par l’âge et les désillusions.
Asaf Avidan est coutumier du fait: se remettre en selle avec un album après des épisodes chaotiques de sa vie, comme la chimiothérapie après un cancer détecté à 21 ans, ou sa parenthèse polyamour, avec deux femmes, refermée dans l’amertume et évoquée dans son précédent album, “The study on falling”. Mais cette fois, la remise en question du passage aux 40 ans l’a amené à “tuer” ses “pères” d’inspiration, Leonard Cohen ou Bob Dylan. Pour élargir son champ musical, il a ressorti les disques des Fugees ou The Roots, qu’il écoutait plus jeune, et disséqué des productions qui ne sont “pas (sa) tasse de thé” comme chez Billie Eilish ou Kanye West.
Clip de Wim Wenders
Résultat, “Anagnorisis” est riche et profond. Comme d’habitude, Avidan ne cache pas les modèles auxquels il se frotte, comme Thom Yorke (leader de Radiohead) pour “No words”, Nick Cave pour “Wildfire” ou David Bowie pour “Earth Odyssey”. Et en parlant de maîtres, il a obtenu une belle signature pour la vidéo du morceau-titre de l’album: le cinéaste Wim Wenders. Le clip fait la part belle à une danseuse-chorégraphe (la réputée Bobbi Jene Smith), qu’on retrouve d’ailleurs avec son compagnon dans le petit film de “Lost horse”.
Le réalisateur des “Ailes du désir” est un fan d’Avidan. “Je connais tous ses disques, et sa voix me donne la chair de poule à chaque fois. En fait, c’est un tout, c’est sa voix et ses textes, c’est un vrai chanteur-compositeur. Si vous ne connaissez pas cet homme, allez juste vérifier sur YouTube”, confiait l’auteur de “Paris, Texas” au Guardian en 2018. Et Avidan de résumer dans un grand sourire leur collaboration: “C’est un gentleman, très généreux, il a fait comme si c’était naturel de faire ce clip comme je le voulais.”