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Brux-ELLES, la capitale belge à découvrir à travers ses femmes iconiques

Par Claire de la Vallée

À quelques heures du Grand-Duché (que ce soit en empruntant l’autoroute E411 où il y a forcément des travaux ou le train avec ses arrêts dans des bleds improbables), Bruxelles est familière pour beaucoup de Luxembourgeois. Aussi, je vous épargne la Grand-Place, l’Atomium, le Palais royal et les restos de la rue des Bouchers, pour aller vers des terrains moins balisés. Partons à la découverte de Bruxelles au féminin

FEMMES D’HISTOIRE

Impossible d’évoquer Bruxelles sans penser à sa Sainte patronne, Gudule (un prénom tombé totalement en désuétude, allez savoir pourquoi !). Née à la fin du VIIe siècle, Gudule était la fille d’un comte du Brabant. Elle a été élevée dans une atmosphère de piété et de soumission à Dieu. Selon la légende, elle allait chaque matin à l’église du Saint-Sauveur, à deux lieues de sa maison et portait une lanterne que le diable éteignait afin qu’elle s’égare. Un ange lui était alors envoyé pour rallumer la lanterne… Elle est morte en 714. Trois siècles plus tard, ses reliques ont été transférées à l’église Saint-Michel, déjà patron de Bruxelles. L’église collégiale a repris les deux noms pour devenir cathédrale Saints-Michel- et-Gudule de Bruxelles. L’édifice gothique tel qu’on le connaît aujourd’hui date du XIIIe siècle, avec une grande fenêtre en ogive qui occupe la façade et typique du style brabançon.

L’histoire de Bruxelles compte un nombre impressionnant de personnalités féminines à l’influence considérable, dans tous les domaines. Une bonne manière de les appréhender peut se faire à travers les noms de rues, avenues, places et…tunnel ! Car oui, on donne des noms aux tunnels. Ainsi, le plus long tunnel routier de Belgique (2,5 km, moins que le plus long du Luxembourg, sur l’autoroute du nord avec ses 3 km), qui relie le centre-ville à la basilique de Koekelberg a pris le nom « tunnel Annie Cordy » à sa réouverture après d’importants travaux. Il s’agissait à la fois d’effacer le nom du roi Léopold II, figure du colonialisme belge de triste mémoire dont le tunnel portait le nom, et d’exprimer un mouvement de féminisation de l’espace public.

Lors d’une consultation populaire, le nom de la chanteuse populaire, décédée en 2020, a été choisi sur une liste de quatorze personnalités féminines. La plasticienne Charlotte Beaudry signe la fresque représentant, tout au long du tunnel, des silhouettes et les portraits de trente jeunes Bruxelloises.

La réalisatrice Chantal Akerman a quant à elle réalisé une trentaine de films au cours de sa carrière dont Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles. La ville de Bruxelles n’a pas rebaptisé le quai du Commerce, mais a donné à son allée centrale – il faut parfois se contenter de peu – le nom de la réalisatrice. Non loin de là, une fresque à l’effigie du personnage principal du film a été peinte sur une façade, par l’artiste espagnole Alba Fabre Sacristán.

On croise d’autres noms de femmes, moins connues sans doute, au gré des rues des 19 communes bruxelloises. L’occasion de faire un peu d’histoire et de mettre en avant celles qui ont su dépasser les barrières mentales de leur époque et apporter du progrès social, scientifique, politique ou culturel… La rue Marie Popelin, entre le Botanique et la gare du Nord, rend hommage à l’une des premières féministes belges. Née à Schaerbeek en 1846, elle suit, à 37 ans, des études de droit à l’ULB. Diplôme en poche, on lui refuse de prêter le serment d’avocat… parce qu’elle est une femme. La lecture des arguments de l’époque serait risible si les termes ne résonnaient pas encore dans certaines bouches : « la nature particulière de la femme, la faiblesse relative de sa constitution, […] l’éducation qu’elle doit à ses enfants, la direction de son ménage, la placent dans des conditions peu conciliables avec les devoirs de la profession d’avocat ». « L’affaire Popelin » fut le point de départ de son implication dans la cause féminine et de la fondation de la « Ligue belge du droit des femmes ».

« JEANNEKE PIS, PETITE SŒUR DU FAMEUX MANNEKEN PIS, BAISSE SA CULOTTE AU BOUT DE L’IMPASSE DE LA FIDÉLITÉ DEPUIS 1985 »

La drève Anna Boch, artère qui coupe le site de Tour et Taxis, met en avant une autre figure. Fille de Victor Boch, un des fondateurs de la faïencerie Royal Boch (et donc petite-fille de « notre » Jean-François Boch), Anna est surtout connue comme artiste et comme mécène. Dans son hôtel particulier d’inspiration art nouveau, elle invite des musiciens et des peintres. Anna Boch est la seule personne à qui Vincent Van Gogh a vendu une œuvre de son vivant.

© visit.brussels – Jean-Paul Remy

Pendant la Première Guerre mondiale, deux infirmières, Edith Cavell et Gabrielle Petit, ont contribué à l’effort de guerre au prix de leur vie. Elles ont aidé des centaines de soldats alliés à passer de la Belgique occupée vers les Pays-Bas, neutres, distribué la presse clandestine ou transmis des lettres aux soldats internés. Accusées d’espionnage, elles ont été toutes les deux fusillées. Un hôpital et la rue où il se situe à Uccle portent aujourd’hui le nom d’Edith Cavell. Une statue de Gabrielle Petit trône, elle, sur la place Saint-Jean, entre le Sablon et la Grand-Place. On reste dans les environs de cette dernière pour faire connaissance avec une statue de 50 cm. Je ne parle pas du célèbre Manneken Pis, mais de sa sœur Jeanneke Pis qui baisse sa culotte au bout de l’impasse de la Fidélité. Elle a été sculptée en 1985 à l’initiative de l’artiste Denis Adrien Debouvrie par soucis de parité (la statue du chien, Zinneke Pis, a rejoint cette famille de joyeux pisseurs en 1998 au coin de la rue des Chartreux).

Avant de s’intéresser à des femmes plus contemporaines, on citera encore quelques bruxelloises célèbres qui n’ont pas eu droit à leur nom de rue. Sur la façade du 48, rue Keyenveld à Ixelles, on apprend que c’est là qu’est née Audrey Hepburn, en 1929. Elle y a vécu jusqu’à ses 5 ans, âge auquel sa famille quitta la Belgique. Un petit buste en bronze de l’actrice iconique de Breakfast at Tiffany’s se trouve dans un square qui porte son nom. Loin du grand écran, mais aussi généreuse de cœur, Sœur Emmanuelle (née Madeleine Cinquin), connue pour son action dans les bidonvilles du Caire, a vu le jour le 16 novembre 1908 à Bruxelles, d’un père français et d’une mère belge, commerçants en confection de lingerie fine.

FEMMES DE COMBAT

Après ces pionnières du féminisme, passons à celles qui continuent aujourd’hui à mettre en valeur le travail des femmes, à se battre pour les rendre plus visibles et à dénoncer les mécanismes patriarcaux et masculinistes. L’artiste Mélina Ghorafi est de celles-là. Depuis 2018, elle rassemble les objets, livres et artefacts autour de la fétichisation des représentations des corps de femmes. Elle a inventé le mot de Musogynie, le musée de la misogynie et trimballe sa collection au gré d’événements, de festivals, de rendez-vous associatifs ou de lieux alternatifs.

Elle propose des visites guidées où sont pointés les clichés sexistes et l’esthétisation de la violence faite aux femmes dans les artefacts des cultures populaires occidentales. Un calendrier de routier par-ci, un décapsuleur à gros seins, un cendrier comme des jambes ouvertes, le cul de Fanny pour les joueurs de pétanque et des tas de livres toutes époques confondues. C’est assez édifiant ! Le travail de Mélina Ghorafi a notamment été présenté dans le cadre du Fame (acronyme pour Festival where arts meet empowerment), un festival d’arts de la scène qui expose le travail de femmes et minorités de genre et qui se tient chaque été depuis 2022, à la rentrée. On y applaudit des productions nées en Belgique ou à l’international dans les domaines du théâtre, de la danse ou de la musique, à travers spectacles, concerts, conférences, discussions, ateliers, balades et films.

« L’ARTISTE MÉLINA GHORAFI A INVENTÉ LE MOT DE MUSOGYNIE, LE MUSÉE DE LA MISOGYNIE ET TRIMBALLE SA COLLECTION AU GRÉ D’ÉVÉNEMENTS ASSOCIATIFS ET DE FESTIVALS »

Au mois de mai, cette fois, se tient le festival La Belle Hip Hop, qui promeut les femmes dans les arts urbains, dans une dimension multiculturelle et inclusive. Plusieurs concerts au Botanique, une soirée de battles de danse, des ateliers de peinture murale sont annoncés. On peut d’ailleurs voir la fresque réalisée en 2021 près de la gare du Midi, à la suite d’échanges avec les femmes du quartier : ressentis, inquiétudes, espoirs et questionnements mis en peinture par les artistes. On peut encore citer le très politique collectif féministe « Les sous-entendu.e.s » qui promeut la visibilité des femmes et de leur travail, qu’il soit politique, artistique, culturel ou social.

Le collectif se positionne aussi en porte-voix et en lanceuses d’alerte dans le cadre des violences sexistes et sexuelles. Outre les manifestations et actions qui ont lieu tout au long de l’année, leur festival se tient en octobre.

FEMMES DE GOÛT

Depuis qu’Isabelle Arpin, la cheffe la plus capée de Bruxelles a quitté la ville pour une nouvelle table dans le Château de Leignon au cœur de Condroz, la haute gastronomie reste très masculine dans la capitale. Ce qui n’empêche pas quelques femmes d’assurer aux fourneaux. Ainsi, Alice Pollet est à la tête de Brut, une élégante maison de maître près de la place Flagey. Elle y propose une cuisine créative, très végétale, inspirée des produits locaux et de ses voyages, notamment au Brésil. La philosophie du lieu est de sublimer la nature avec des plats aux influences mondiales : on salive à l’idée de la tartelette de burrata et baba ganoush, garnie d’abricots confits et d’aubergines marinées ou de la pluma ibérique rôtie, servie avec une sauce teriyaki et des girolles frites.

Circuits on ne peut plus courts chez La Smala qui allie un maraîchage en permaculture à Anderlecht dirigé par Zofia Zaniewski et un restaurant dans le bas de Saint-Gilles tenu par Anaïs Verrijdt. En cuisine, Arth Alvarez crée de jolies assiettes avec les légumes du champ et d’autres produits locaux : oignon en tempura et mayo à l’ail des ours, panais confit à la spiruline…

La Smala : Arth ALVAREZ + Anaïs VERRIJDT © visit.brussels – Gilles Delaisse

Saisonnalité aussi au menu de Groseille, la table de la cheffe Camille Cosnefroy, avec l’équipe de Chez Copain, leur autre adresse de Scharebeek. Sa formation artistique transparaît dans des assiettes créatives : topinambours rôtis agrémentés d’une crème de gorgonzola gourmande, crudo de bar à l’aguachile ou moules à la sauce tomate et chair à saucisse au fenouil. Des petits plats de partage dans une déco canon à l’ambiance vintage.

Groseille : Camille COSNEFROY © visit.brussels – Gilles Delaisse

La cuisine mexicaine est souvent réduite à des clichés : maïs et haricots, tacos et tequila. La General (il n’y a pas de faute, mais un jeu de mot avec l’adresse, rue Général Patton) vient balayer tout ça. Amandine Darmstaedter a travaillé pendant des années dans les meilleures cuisines du Mexique. Elle apporte ici sa vision de la cantina, à mi-chemin entre le bar et le restaurant, avec des tableaux colorés, des tables rapprochées, des plats épicés et sexys qu’on partage dans la bonne humeur…

Après le Mexique, embarquons pour la Méditerranée au Kitchen 151. La cheffe Simona El-Harar a grandi en Israël dans une famille marocaine. Sa cuisine s’inspire de traditions transmises de génération en génération au sein des familles tout en les modernisant. Murs vert émeraude, objets chinés et un tableau avec des suggestions levantines très street food : poulet shawarma, riz aux herbes et zestes de citron, baba ganoush, chou-fleur au zaatar, sans oublier un labneh maison.

Kitchen 151 : Simona EL-HARAR © visit.brussels – Gilles Delaisse

Place au sucré avec la pâtissière Anaïs Gaudemer chez Cokoa. Architecte paysagiste de formation, elle a été rattrapée par sa passion pour les métiers de bouche, tombée dans la marmite d’un père cuisinier et d’une mère qui a exercé le métier de traiteur. Elle crée de délicates pâtisseries où les yeux se régalent avant le palais : des classiques comme des cookies, des macarons ou des cakes, basés sur des saveurs rassurantes de l’enfance, mais aussi des entremets plus audacieux qui intègrent des fleurs, une façon de renouer avec le paysagisme. Parfois celles-ci sont disposées de manière décorative sur les gâteaux, parfois, ce sont des hydrolats, infusions et autres huiles essentielles qui entrent dans les recettes.

COKOA Anaïs GAUDEMER © visit.brussels – Gilles Delaisse

L’hermine est l’un des symboles de la Bretagne, région d’où vient Anna Le Saux, fondatrice de la pâtisserie qui porte le nom de la bestiole blanche. Elle y propose des gâteaux simples et gourmands comme des millefeuilles, des financiers à la noisette ou des tartes aux fruits frais, sans oublier le kouign-amann ou le far bretons. La pâtissière prône le naturel et exclut tous les additifs, colorants artificiels ou gélatines animales.

Hermine Pâtisserie : Anna LE SAUX © visit.brussels – Gilles Delaisse

Dernier coup de coeur pour Daphné de Crombrugghe, la fondatrice de la Vinaigrerie Ste Odile. Cette ancienne cadre de gestion a été forcée de se réorienter quand une maladie de la rétine risquait de la rendre aveugle. Elle découvre l’univers du vinaigre balsamique à Modène. Guidée par le livre de fermentation du Noma, elle mène diverses expérimentations, puis se forme en France auprès d’une des rares vinaigreries traditionnelles. Désormais, elle réalise des vinaigres artisanaux fabriqués à partir de divers alcools locaux comme des bières Lambic et Kriek. À tester d’urgence…

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