Regarder la vidéo en entier
Accéder directement au site
BOLD Magazine BOLD Magazine

Charles Coulombeau : la cuisine au musée et l’art à table

Par Fabien Rodrigues / Photos : Roza Sayfullaeva

On ne l’arrête plus ! Coup d’envoi en ce début juin pour le chef étoilé très en vue Charles Coulombeau, qui prend enfin en main, de manière effective, le pôle gastronomique du Centre Pompidou-Metz. Une arrivée très attendue et une double ouverture, avec le restaurant gastronomique Yozora et la Brasserie Umé. Avec une actualité aussi chaude et des envies de nouvelle étoile, entre art de haut vol et grande gastronomie, il était difficile de ne pas l’inviter en couverture de ce Bold estival…

Bonjour, chef ! À quelques minutes de ton premier service « officiel » au Centre Pompidou-Metz, comment te sens-tu ?

Franchement, je suis serein et en pleine forme. On avait annoncé le 5 juin, on y est, on ouvre. On a travaillé d’arrache-pied avec mon épouse Roxane et nos équipes, en bonne intelligence avec le musée, on s’est rodés avec plusieurs repas tests et on est prêts !

Ça sent bon tout ça… Peux-tu nous faire une petite biographie rapide, ton parcours en résumé ?

Je suis né en Normandie et j’ai été formé au lycée hôtelier de Biarritz. À 16 ans, j’obtiens une première place au Relais de la Poste à Magescq, deux étoiles, puis dans une autre institution prestigieuse au Pays basque, chez les Frères Ibarboure eux-mêmes étoilés, pendant deux ans. S’en suivent trois ans chez un trois étoiles, Michel Guérard aux Prés d’Eugénie, puis à la Maison Lameloise, un autre trois étoiles, en Bourgogne cette fois. Je passe ensuite par l’Angleterre dans un Relais et Château du West Sussex, où je reste finalement quatre ans. Puis, après avoir passé quelques mois au Japon pour me perfectionner et découvrir le pays, je pose mes valises à Nancy avec Roxane où l’on rachète le restaurant La Maison dans le Parc et où l’on obtient une première étoile huit mois après notre arrivée…

Comment s’est déroulée la réalisation de ce nouveau projet gastronomique, dans l’institution culturelle à l’envergure internationale qu’est le Centre Pompidou-Metz ?

Au mois d’août 2023, j’ai été approché par la direction du musée, qui cherchait un chef pour reprendre le restaurant, anciennement La Voile Blanche, resté fermé suite à la pandémie. Il fallait tout reprendre à zéro, revoir entièrement le concept, prendre en considération la « double salle »… Clairement, tout cela allait demander beaucoup de travail, mais j’ai vraiment vu les possibilités et on a travaillé main dans la main avec le Centre Pompidou pour trouver le concept qui pourrait satisfaire tout le monde. Depuis la signature en janvier, il ne s’est pas passé une semaine sans que l’on se voie et que l’on avance ensemble… Maintenant, c’est parti pour une concession de six ans.

©Jacqueline Trichard

Cette double salle est à l’origine de ton projet, qui comprend un restaurant gastronomique, Yozora, mais aussi une brasserie franco-japonaise, Umé. Tu peux nous en dire plus sur ces deux entités ?

Tout à fait ! Lors de la présentation du projet et de ma première visite, ce découpage m’a paru d’abord compliqué. J’ai tout de suite eu un coup de foudre pour cette petite bulle géniale dans laquelle on ouvre Yozora, un restaurant gastronomique de 24 couverts inspiré de la tradition japonaise de l’omakase. Le nom, qui signifie « le ciel nocturne » en japonais, évoque la magie et la poésie des nuits étoilées… Il faut dire que lorsque le Centre Pompidou-Metz m’a approché, j’étais en fait en train de déposer un dossier au Japon pour y ouvrir un restaurant identique ou presque. Il a fallu faire un choix et j’ai, au final, transposé ce que j’avais préparé pour ce restaurant à l’autre bout du globe pour concevoir Yozora. Mais il y avait aussi cette grande salle avec bien plus de couverts, avec sa grande terrasse idéalement placée sous la canopée du musée : il fallait en faire une brasserie accessible et efficace, pour les visiteurs du musée, mais aussi pour tout le monde. Nous avons donc développé le concept Umé en parallèle, une brasserie contemporaine franco-japonaise.

L’articulation entre les deux espaces s’est-elle faite naturellement ?

Pas vraiment, mais on est finalement très contents du résultat. Au début, nous avons beaucoup réfléchi avec l’architecte du musée, le célèbre Shigeru Ban, pour créer un accès direct à Yozoru le soir – le restaurant gastronomique n’étant pas ouvert pour le déjeuner. Mais aucune idée ne fonctionnait, j’ai donc décidé de faire beaucoup plus simple : les clients passent par la Brasserie Umé, dressée pour le lendemain, ce qui permet aussi de leur montrer qu’ils peuvent revenir en journée pour un repas différent. Umé nous permet aussi d’organiser des événements de plus grande envergure, car on peut y accueillir jusqu’à 200 personnes quand tout est grand ouvert. On y réalisera les dîners de vernissage par exemple, ainsi que des événements relatifs à la saison du musée. Et puis la terrasse se suffit à elle-même, pas besoin d’en dire beaucoup plus avec cette vue plutôt dingue – on espère juste que la ville aura bientôt fini ses travaux au marteau piqueur en bas !

Tu peux nous raconter ce qu’il se passe dans les assiettes ?

Du côté de la brasserie, on a vraiment cherché à conjuguer saveur, bons produits et efficacité pour un public ciblé. Les plats ont un petit côté bouchon du coup, mais avec ma patte et mes inspirations japonaises et panasiatiques, bien sûr. Sur cette première carte, tu vas pouvoir trouver par exemple des œufs mimosas marinés à la betterave et garnis d’une mousse au miso et anchois, une rémoulade de daïkon avec un bavarois chèvre, un gel de jaune d’œuf et des graines de moutarde pickles et ce qui s’annonce déjà comme un best-seller : un okonomiyaki à la citronnelle et au fuseau lorrain ! L’okonomiyaki est une galette de chou typique de la street food nippone et que l’on sert avec une sauce et du katsubochi, c’est-à-dire des flocons de bonite séchée, avec trois accompagnements… Un système de commandes par internet facilite quant à lui le service.

Pour Yozora, l’optique est totalement différente : nous nous sommes vraiment inspirés de l’omakase et des grands dîners japonais en une multitude de petits services, c’est pourquoi nos deux menus dégustation sont en 12 et 16 services. Il ne faut pas avoir peur, certains services sont une seule bouchée ! Avec la sensibilité et les cuissons japonaises que j’aime. Une fois de plus, et comme à La Maison dans le Parc, les beaux produits y sont aussi importants que les recettes et j’ai mis un point d’honneur à stimuler au maximum notre réseau d’artisans de confiance pour avoir des produits de qualité et les plus locaux – Lorrains – possibles. Pour rendre hommage à leur savoir-faire de l’ombre, on a d’ailleurs créé un petit fascicule qui les présente et que l’on offre aux clients en fin de dîner : Mickaël Recchione pour la truite et l’omble chevalier dans les Vosges, les incontournables Frères Marchand de Nancy pour le fromage ou encore Xavier Lallement et son incroyable bœuf Wagyu lorrain pour ne citer qu’eux… Certains aiment utiliser des termes un peu « marketing » comme RSE ou approche durable ; j’appelle ça simplement du bon sens paysan !

Tout semble être étudié au millimètre chez Yozora…

Absolument, c’est un des aspects du travail sur lequel j’aime aussi beaucoup me concentrer, passer du temps et obtenir exactement ce que je veux. Pour la vaisselle et certains éléments de décoration, nous avons travaillé avec une céramiste nancéienne talentueuse, Céline Blaudez, qui estampille chaque création avec le nom Yozora ; pour le service, nous proposons par exemple un coffret de couteaux faits ad hoc pour l’endroit et qui permet à chacune et chacun de choisir son outil de découpe ; nous avons aussi un superbe chariot où l’on va exposer les ingrédients à l’état brut pour stimuler aussi la vue et le savoir ! J’aime vraiment cet équilibre entre une ambiancé épurée, minimaliste, et un souci du détail sur chaque élément présenté à la clientèle, de leur arrivée à leur départ, en passant évidemment par tout ce qui va leur être servi.

Et côté cuisine, tu as fait venir un peu de monde de Nancy ? Comment vont s’organiser vos semaines entre La Maison dans le parc et le Centre Pompidou-Metz ?

Effectivement, une bonne partie de la cuisine ici a été formée dans celle de Nancy, notamment mon chef exécutif pour Yozora et Umé, Antoine Morque, qui est de Nancy, qui travaille très bien avec moi depuis quatre ans – second depuis un an – et pour qui j’ai vu une évolution toute naturelle à Metz. C’était important pour moi de commencer ce projet important avec des gens qui me connaissent, qui me respectent et qui savent pourquoi je suis là… Les nouveaux sont aussi venus passer une semaine avec moi à Nancy pour ce faire. Et puis à Metz, on a décidé d’avoir une équipe inclusive, avec des professionnels en situation de handicap – un aspect que nous allons continuer à stimuler.

Pour l’ouverture, nous sommes ici à fond avec Roxane afin de mettre en place les deux restaurants comme il faut, jusqu’à la mi-juin au moins, puis nous viendrons chacun une fois par semaine minimum – ce sera le vendredi dans mon cas. Ma seconde et mon chef adjoint de Nancy, Lou et Baptiste, viendront, eux aussi, un jour par semaine, de façon à rayonner d’une certaine unité. Il ne faut pas oublier que nous sommes indépendants, nous n’avons pas d’investisseurs : c’est Roxane et moi, point. On a mis nos économies dans ce nouveau défi et cela nous enthousiasme au possible, ce qui ne nous empêche pas de nous rappeler au quotidien que nous avons bien grandi : entre La Maison dans le Parc, le foodtruck Izakaya et notre nouvelle équipe messine, nous arrivons presque à 70 collaborateurs !

Comment se portent vos enseignes nancéiennes, d’ailleurs ?

Ça va très bien ! Le restaurant tourne à merveille et nous avons confirmé notre étoile en mars dernier. Le foodtruck est un carton aussi, notamment en cette saison où il est très demandé pour des événements. J’ai décidé de le déplacer plus qu’avant : d’une rotation permanente dans les mêmes endroits, on est passé à une rotation mensuelle avec de nouveaux lieux chaque mois. Ceux-ci ne manquent pas à Nancy et ses environs, et cela permet aussi de montrer ses possibilités événementielles à encore plus de monde…

Ici à Metz, tes restaurants vont être évidemment entourés d’art au quotidien, c’est quelque chose qui te plait ?

Ah oui, tout à fait ! On a par exemple réalisé le vernissage de Katharina Grosse la semaine dernière, c’était super de pouvoir la rencontrer, de parler de son art, de lui faire gouter ma cuisine… J’attends un ruissèlement, une verticalité entre l’art et ma cuisine ; que les artistes et leur public puissent percer ma cuisine, rentrer dedans, avoir leur retour. J’avais aussi beaucoup aimé créer un dessert inspiré par l’œuvre de Yayoi Kusama il y a quelque temps… L’installation s’est faite de manière vraiment positive et je vois que l’on va réussir à travailler ensemble. Côté horaires, on s’est aussi alignés sur le jour de fermeture du musée, nous sommes donc fermés le lundi et le mardi, mais nous sommes ouverts le dimanche soir chez Yozora, ce qui peut être vraiment intéressant.

Des projets en particulier pour cet été et des envies, au-delà de cet ambitieux lancement ?

Évidemment, ça va bien bouger ici ! À Nancy, on organise un dîner 4 mains avec un chef que tu dois bien connaître, Ryôdô Kajiwara, le 11 août. D’autres 4 mains arrivent ensuite à la rentrée. Avec Izakaya, on a 3 nuits assez dingues qui se dessinent au Zénith de Nancy pour les concerts de Deep purple, Alice Cooper et Scorpions – le gérant du truck est un musicien en plus, il est aux anges ! Je serai, quant à moi, au Luxembourg le 3 juillet prochain pour un dîner « Nuit Blanche » de bienfaisance en faveur de la Fondation Cancer Luxembourg. Et puis pour finir, je dirais qu’on ne va pas se cacher : ce qu’on cherche avec Yozoru, c’est l’étoile à Pompidou !

On ne peut que te le souhaiter… Merci, chef !

Ce format est également à retrouver dans le nouveau Bold Magazine #86, à lire en ligne ici!

Un concentré de news culture, de bons plans lifestyle, de reviews et d’exclus en une newsletter BOLD chaque mercredi ? C’est en un clic avec ce lien !