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City trip : Gand te reverrai-je ?

Texte : Sebastien Vecrin

Les frites, les gaufres, les bières, les disquaires, les concerts : si tu es chaud, en moins de trois heures, on peut être à Gand. Et tu as de la chance, je connais la ville comme ma poche. 

Des cochons et des strings 

Gand de toilettes, Gand te reverrai-je, boîtes à Gand, Gand va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse : ne cherche pas, avec mes potes, nous avons déjà tenté tous les jeux de mots douteux sur ma métropole préférée, le plus souvent accoudés à un comptoir en train de rendre chèvre un bar tender flamand qui n’en demandait pas tant. Gand, la cité la plus culturelle du plat pays est considérée comme le trésor le mieux caché de Flandre. On est encore loin des hordes de touristes en selfie devant le Manneken-Pis à Bruxelles ou de la file d’attente pour entrer au Musée de la Mode d’Anvers (qui ré-ouvre en septembre). Wim Delvoye, l’artiste qui tatoue des cochons vivants et expose des machines à caca, y habite dans un château. Murielle Scherre, la styliste derrière la marque de lingerie La Fille d’O y a son shop. Les frères Dewaele de 2 Many DJ’s et Soulwax, pareil, des Gantois. D’ailleurs, tu les croises souvent en train de digger au Music Mania, le record store le plus emblématique du centre.

Pas mon favori (je vais y revenir plus loin), mais hyper bien achalandé et hyper bien placé, à côté du Vooruit, le centre culturel le plus chouette du globe, situé dans une Ballroom du début du XXe siècle, avec une terrasse sympa, un café art-déco, trois salles de concert et une programmation à se damner. J’y ai vu tellement de fabuleux groupes, les yeux dans le vague avec une Duvel dans chaque main. Mais ne nous égarons pas, on dirait un sale gosse dans un magasin de jouets. Si je connais si bien Gand, c’est parce qu’il y a 15 ans mes parents m’ont offert un séjour à Ostende. Une grande plage venteuse et des restos moules frites qui ferment à 21 heures, j’ai vite compris que papa et maman n’avaient pas trop compris ce qui faisait vibrer le fiston. J’ai pris le taureau par les cornes et selon ma théorie « quand y’a un disquaire cool, y’a forcément la culture cool qui en découle », j’ai googlisé le record shop le plus proche. C’était à Gand, y’en avait quatre et ça a sauvé mon weekend. Depuis, j’y retourne cinq fois par an, toujours avec le même sourire. Seul mon banquier fait la gueule.

Bons baisers de Gand 

Je vais te filer ma routine (parce que je t’aime bien et parce que je suis payé pour), la même depuis plus d’une décennie. Je prends mes quartiers au Pillows Grand Hotel Reylof. Rien qu’avec le nom, tu sais que tu vas devoir allonger un petit billet pour une chambre, mais le spot est agréable avec un spa, une petite piscine avec des moulures au plafond et un barman en smoking qui m’envoie du « voici votre Triple Karmeliet monsieur Sébastien ». Oui, moi aussi, quand je me relis, je me dis que je me suis vraiment embourgeoisé. Bref, passons. Réveil, piscine, hammam, je quitte l’hôtel à 10h30. Je passe devant le Château des Comtes, je traverse les canaux, je bifurque au Beffroi, je contourne l’Abbaye Saint Pierre. Toutes ces vielles pierres majestueuses font partie du Patrimoine mondial de l’UNESCO. Imagine Bruges, les bons baisers en moins (vanne cinéphile), mais avec des vrais trucs à faire. C’est magnifique et je ne m’en lasse pas.

Je prends mon petit-déjeuner au Wasbar : bagels, pancakes et granola maison, le tout au milieu de bobos qui font leur lessive dans les machines à laver installées un peu partout autour des tables. Ne me jugez pas, j’adore ce lieu. Ensuite, je passe par la Werregarenstraatje, la ruelle aux graffitis bien cachée. Ici les street artists vident leurs bombes aérosol en toute légalité, un peu comme chez nous aux anciens abattoirs à Hollerich. De toute façon, Gand est graffitis friendly, en témoignent les nombreuses fresques de ROA, le peintre muraliste local internationalement reconnu. Il est fan d’animaux géants et je suis certain que tu as déjà shooté son lapin sur Hackney Road ou son hérisson à Shoreditch à Londres.

La Werregarenstraatje, une étape incontournable

Church of Ra

Premier pit stop, ZoeZoe Records. Petit, pointu, joli, on y trouve de belles plaques, mais sans platine d’écoute et ça, ça pose problème. Ensuite, direction Consouling, mon disquaire number one. L’échoppe coche toutes les cases : sélection pointue et éclairée de musique très sombre, des livres, des t-shirts, des hoodies, un coin bar, des show case et leur propre label Consouling Records, avec en tête de gondole le groupe Amenra. Je me souviens parfaitement de la première fois où j’ai pénétré dans ce sanctuaire. Un grand mur de skeuds avec une esthétique dark, occulte et ésotérique, j’étais subjugué, mais perdu. Je ne connaissais aucun de ces labels ni aucun de ces artistes. J’ai alpagué le grand gaillard tout de noir vêtu derrière son comptoir et, un peu confus, je lui ai timidement lancé : « Salut, je croyais m’y connaitre en musique, j’ai même une très belle collection de vinyles, mais là, chez toi, je ne comprends rien ». 

Le gars en question s’appelle Mike Keirsbilck et il m’a conté, avec beaucoup de bienveillance, l’histoire de son label et de ses potes qui gravitent autour de la scène belge ambient, drone et post-rock. J’étais fasciné. Je voulais en être et Mike était en train de me donner les clefs pour assoir ma légitimité. Je me souviens avoir écouté deux dizaines de fois un disque avec une longue plage musicale de 14 minutes avec très peu de variations harmoniques. Ce jour-là, j’ai acheté TriMuerti issu d’une collaboration entre les artistes Barts, RM74 et Treha Sektori, un EP mélancolique et, pour l’époque, très compliqué pour mes oreilles. Aujourd’hui, j’ai plus de 60 disques uniquement de ce label, j’ai assisté à plus de 20 concerts de leur écurie et quand je rentre chez Consouling, Mike me tape un high five avec un grand sourire. 

La manie de la musique 

Je sais, c’est beau, mais comme disent les Québécois, pas l’temps de niaiser. Suis-moi, mais avant d’aller chez Music Mania, on va d’abord siroter un cappuccino au Bidon, un bar qui combine café, pâtisseries et bicyclettes de bonnes factures. Le cadre (de vélo) séduit les trentenaires qui font attention à la planète et à leur look. Si tu es gentil, le barista te dessinera même un motif de vélo dans ta mousse de lait. 

Alors, Music Mania, pour un vinyle addict, c’est une institution depuis 1969. Le plus ancien disquaire du pays propose une sélection inégalée, tous styles confondus (jazz, blues, folk, disco, synth wave, rap, electro, rock, afro-funk) qui réjouit les collectionneurs et les DJs de tous âges. Le samedi, le shop fourmille de passionnés et de mélomanes qui virevoltent entre les rayons. Cette communion autour du son réchauffe le cœur. Une fois que mon flycase de disques est bien rempli et que, la boule au ventre, la petite voix de mon banquier commence à tourner en boucle dans ma tête « Seb, arrête de pécho autant de skeuds, tu ne vas même pas tous les écouter et tu es déjà dans le rouge », je me dirige vers le rooftop du Vooruit, le bâtiment juste à côté, pour une trappiste et un en-cas. Au soleil, je contemple mes nouveaux trésors avec un soupçon de culpabilité que, généralement, je décide de noyer fissa dans une seconde trappiste.

“Le meilleur temple de la techno de la galaxie, juste devant le Berghain à Berlin”

Sebastien vecrin

Il reste un disquaire sur ma liste, Vynilla, dans le quartier étudiant. La boutique propose un éventail non conventionnel de pièces rares. C’est le plus compliqué : pas de platine d’écoute, des prix calqués sur les quotes élevées de Discogs et un patron pince sans rire que tu as toujours l’impression de déranger. Sauf que le bougre connait la musique alors, rien que pour ça, j’ai beaucoup d’amour pour lui… et quelques euros aussi. 

Il est 18h, j’ai 500 balles de skeud dans ma besace et je rêve d’une gaufre devant les canaux, en plein centre. La jeunesse locale commence à sécher des IPA sur le bord du canal, les touristes te font coucou sur leurs bateaux et les Flamands dansent sans rien dire (vanne Jacques Brel) et vont dîner au resto. Devant ce spectacle de carte postale, j’opte pour une gaufre chocolat chantilly.

Les Flamandes dansent sans rien dire 

Retour à mon hôtel de bourges, puis piscine sauna et douche pour me faire BG. Une fois sur mon 31, passage obligatoire au Hot Club de Gent. Un peu compliqué à trouver, tu pénètres dans le spot via une ruelle toute étriquée qui hume l’underground à plein nez. Le bistro éclairé à la bougie propose des concerts de jazz intimistes et une sélection de bières belges pas piquée des verres (vanne bof). Je ne comprends rien au jazz, mais rien que pour l’ambiance, je fais semblant. Ensuite, passage obligé par Vlasmarkt, une place où tu vas trouver une kyrielle de bars. Y’en a forcément un ou deux à ton goût.

Moi, c’est direct net j’appuie sur la gâchette le Kinky Star. Un rade sombre tout en longueur avec des concerts au fond qui sent la pisse et la pils. Au menu : musique gothique, indus et expérimentale, l’occasion rêvée de payer une tournée à mes nouveaux potes keupons qui n’ont pas pris de douche depuis le premier confinement. Santé les frérots et no futur ! Enfin moi, j’ai quand même un futur proche, celui d’aller à la soirée du label aufnahme + wiedergabe au Kompass. Les esthètes du boum boum s’accordent tous à définir ce club comme le meilleur temple de la techno de la galaxie (juste devant le Berghain à Berlin).

Ce soir-là, je suis listé par SΛRIN, avec qui j’avais mixé au De Gudde Wëllen. Ensemble, nous avions refait le monde en backstage autour de quelques shots bien trop forts. Perdu dans cette zone industrielle des faubourgs de Gand, le line up s’annonce prometteur : The Horrorist, Philipp Strobel, le boss du label et SΛRIN, mon nouveau meilleur ami. Les bonhommes vont envoyer de la new-wave teintée de beats ravageurs all night long. Je n’ai plus 20 ans, mais dans ce hangar désaffecté brut, haut de plafond, en béton, avec cette faune qui se déhanche sur un sound system parfaitement réglé, je réfléchi à deux choses : la vie n’est pas si chienne et, demain, j’aurai une gueule de bois d’anthologie. 

Gand, je t’aime !