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Eddy de Pretto : « J’ai envie d’assumer la personne que je suis »

Interview : Mathieu Rosan
Photos : ©Marie Schuller

Après le succès de Cure, Eddy de Pretto était de retour l’année dernière avec un second opus intitulé À tous les bâtards. Avec des textes toujours parfaitement ciselés et une musicalité encore plus affirmée, le kid de Créteil poursuit sa quête identitaire à travers un album plus solaire et apaisé. À la convergence de différents univers musicaux, l’auteur et interprète français se met à nu et s’affirme comme l’un des artistes les plus talentueux de la scène francophone. Interview. 

Ton album s’intitule À tous les bâtards. Il est justement dédié à tous les gens considérés comme bizarres, les « freaks », comme tu aimes à les appeler. Qu’est-ce qui t’a donné envie de leur rendre hommage en musique ?

À travers toutes les histoires de cet album et du premier d’ailleurs, je parle de moi ; le chelou, le bizarre, l’étrange, le bâtard, le pédé, le moche… C’était un peu des attributs que j’entendais lorsque j’étais plus jeune et jusqu’à mon premier album. Du coup, c’était quelque chose d’important pour moi de pouvoir en faire une force en le réappropriant de manière positive. Retourner le sens de ces mots-là afin d’en faire une lettre personnelle et ainsi, avancer de la manière la plus positive possible. Il y a ici l’idée de se tourner davantage vers l’autre, notamment depuis le premier album où je me posais la question de savoir si j’étais normal ou non ; suis-je comme tout le monde ? Est-ce que je dois mettre un masque ? Suis-je différent ? Suite à Cure, beaucoup de gens m’ont envoyé des remerciements et des preuves d’amour afin de me rappeler que j’étais loin d’être le seul dans cette situation. Et forcément, dans mon deuxième album, j’ai eu cette envie de me tourner davantage vers ceux qui, comme moi, ne cochent pas toutes les cases. Surtout que la subjectivité vis-à-vis de la bizarrerie est très malléable selon moi. On est tous le chelou d’un autre finalement. 

L’album est beaucoup plus solaire que le précédent. Tant dans les compositions que dans l’écriture des titres. On te sent plus épanoui et apaisé. Qu’est-ce qui a changé depuis Cure ?

J’ai grandi, je crois (sourire). Même si certains doutes persistent, les sujets ont évolué avec moi finalement. Je raconte ma vie avec un autre regard. Trois années ont passé depuis Cure, mais je continue d’évoquer des sujets de manière frontale. Pour moi, le challenge de cet album était de ramener plus de musicalité, de mélodie et un peu plus de voix à mes textes tout en restant dans ce que j’aime ; le verbe vif et direct ! Ma volonté était de trouver le meilleur moyen de lier la musicalité et la brutalité de certains mots.   

Il y a aussi un côté plus assumé dans ce que tu racontes. Comment tu l’expliques ? Cure t’as permis de t’assumer un peu plus ?

À mort (rires) ! Lorsqu’il y a énormément de personnes qui te disent « merci d’être qui tu es » forcément, ça te fait du bien, ça t’aide à avancer et surtout, ça te donne envie de pousser ce que tu fais encore plus loin. Cela te donne la permission de croire en ce que tu es. 

Le chant prend également plus de place dans tes sons…

Oui c’est vrai. Je suis mes envies. Dans mon premier album, j’avais davantage envie de scander les choses de manière un peu plus dense, un peu plus vive. Il y a beaucoup de choses qui se bousculaient dans ma tête. Les idées arrivaient sans vraiment de cadre sur le papier. Pour À tous les bâtards, j’ai le sentiment d’avoir muri dans ma manière de partager ce que je ressens. Les mots viennent aussi plus facilement et ça m’a permis d’élaguer mon écriture. Il y a aussi une question de confiance en moi. Je ne pense pas que dans le premier album j’aurai pu faire des envolées vocales comme ici. Le but était de prendre des risques que je n’avais pas pris auparavant. Refaire le même album avec des sujets un peu différents, cela ne m’intéressait pas. Je voulais aussi me challenger tant vocalement que musicalement et donc l’album a pris une autre tournure que le précédent. 

Justement, dans cet album tu poursuis ton introspection autobiographique. Est-elle terminée selon toi ?

Bien sûr que non (rires) ! Toute ma vie j’aurai des choses à dire. J’espère en tout cas !

« Je ne pourrai jamais rayer la question de la masculinité »

Eddy de pretto

Tu évoques beaucoup ta vie d’avant. Malgré le succès et toutes les choses positives qui te sont arrivées, tu continues d’évoquer avec beaucoup de nostalgie et de douceur la ville qui t’a vu grandir. Il y a des choses qui te manquent dans cette vie d’avant ? 

Ce que j’aime c’est de voir comment les choses évoluent. Voir comment le regard des gens peut changer sur toi. Je pourrais parler 20 fois de la virilité je ne sais pas si ça vendrait encore, mais en tout cas, le regard sur la déconstruction masculine n’est surement pas le même aujourd’hui qu’en 2017. Mon regard sur ma vie d’avant ? J’aime l’idée de poser un regard tendre sur ce la ville et les personnes qui m’ont vu grandir. Celle qui a vu toutes mes plus grosses dépressions de gosse et qu’aujourd’hui, je peux rendre sexy et poétique. Finalement ma vie d’avant c’est surtout une chambre qui n’a pas bougé depuis que je suis parti de chez ma mère. Tout est resté figé, et donc pour moi, c’est hyper poétique de me confronter à cela. C’est pour cela que j’ai voulu en faire une chanson avec Créteil Soleil

Souvent tu évoques le fait que l’écriture ne soit pas quelque chose de naturel et de simple pour toi. Est-ce que ça a été la même chose pour À tous les bâtards ? 

Oui carrément ! Je ne suis toujours pas très à l’aise quand je dois me mettre à écrire et me raconter. 

Pourtant, comme on l’évoquait précédemment, il y a certaines choses sur lesquelles tu as gagné en confiance… 

Oui totalement ! Là où j’ai le plus confiance, ç’est dans le fait de pouvoir défendre encore un peu plus mes idées. Je n’ai plus à faire semblant pour faire plaisir. Je n’ai plus besoin de mettre le masque que je pouvais avoir auparavant. Tout cela a bien évolué et ça me fait beaucoup de bien de pouvoir être entièrement moi-même. Désormais j’ai envie d’assumer la personne que je suis. Avec mes tares, mes stigmates, et toutes ces choses qui font partie de moi. Je trouve ça beau que l’on puisse désormais mettre en avant nos particularités et qu’elles soient plus vues comme quelque chose de négatif, mais au contraire comme quelque chose qui nous rend uniques. Il y a vraiment quelque chose qui est lié à la confiance que j’ai pu accumuler après mon premier album, mais c’est également lié à une époque qui a évolué et qui me convient terriblement. Enfin, pour revenir à l’écriture, c’est toujours quelque chose de compliqué pour moi. Même si j’ai l’impression de pouvoir dire plus facilement les choses et de les assumer, c’est un exercice qui reste douloureux. Il existe toujours la crainte du mot manqué et celle de ne pas parvenir à trouver la poésie qui me plait et qui me transporte. 

Lors de notre précédente rencontre, tu évoquais les questionnements sur ton enfance. C’est encore le cas aujourd’hui ? 

Je dirai que non ! En revanche il y a beaucoup sentiments différents qui continuent de se bousculer et il y a évidemment d’autres angoisses qui arrivent (rires). 

Quels types d’angoisses justement ?

Tu sais les sujets évoluent avec le temps et je pense que je ne répondrai jamais totalement à ma virilité personnelle. Jamais je ne pourrai tracer un trait là-dessus et rayer la question de la masculinité chez moi. C’est un questionnement que j’aurai toute ma vie. Même si les dernières années m’ont aidé à avancer et que j’ai pu débloquer certaines angoisses, il en restera toujours.