Le Magazine
Bold 62
Le rap est-il vraiment en train de devenir ce que le rock était à une époque ? C’est en tout cas ce que pense Roméo Elvis, pour qui ce mouvement n’est définitivement plus une « sous-culture ». Partant de ce postulat, chez Bold, nous prenons autant de plaisir à traîner du côté du Grand Théâtre pour un opéra en quatre actes qu’à balancer un bon vieux pogo à un concert de hip-hop à la Rockhal. Très attachés au fait de diversifier au maximum les univers artistiques que nous présentons dans chaque édition, nous considérons que la richesse créative n’a pas de frontières.
Apparu que dans les 90s, le rap francophone est parvenu avec le temps à se faire une place dans le cœur du public malgré la quasi-indifférence des médias qui n’y voyaient alors qu’une vulgaire mode. Sa popularité a ainsi continué de grandir durant les 20s jusqu’à devenir, en 2017, le genre musical le plus écouté. Comme pour tous les mouvements musicaux et artistiques en général, certaines années lui ont été plus prolifiques. Parmi celles-ci, comment ne pas évoquer 1996 ? Si des groupes comme NTM ou IAM représentaient alors parfaitement l’aspect contestataire du rap, un certain Doc Gynéco faisait voler en éclats leurs postures de méchants garçons avec des punchlines dont lui-seul avait le secret : « Viens voir le docteur, non n’aie pas peur », « Même Daphné me fait craquer, ce n’est qu’un dessin mais je veux l’animer ». Une année durant laquelle il sort Première consultation,
un album qui se vend à un million d’exemplaires et qui devient la matrice d’un rap qui veut vendre et plaire au plus grand nombre. « Classez-moi dans la variet’ », chantait-il alors. Les prémices du rap que l’on connaît aujourd’hui étaient nées.
Trop souvent assimilé à une forme de « sous-culture » au prétexte de textes jugés violents, sexistes ou encore dénués d’intérêt stylistique, il est important de préciser que Jul et autres hérésies musicales n’ont pas le monopole et qu’il existe, comme ailleurs, des œuvres dont on pourrait se passer. Prenons l’exemple de l’opéra . Souvent considéré comme « élitiste », certains textes classiques sont pourtant d’une incroyable candeur. Pour ce qui est de la misogynie, on est d’accord pour dire que lorsque Seth Gheko compare les femmes dépourvues de jambes à des limaces, il exagère légèrement. Mais, ici encore, on peut mentionner un grand nombre de livrets d’opéra qui pourraient être jugés misogynes en 2020. Dans Cosi fan tutte, on parle de l’inconstance féminine ; dans Carmen, l’héroïne est brutalement tuée ; dans Madame Butterfly, elle se donne la mort ; dans certaines versions de Barbe-Bleue elles servent de repas. Bref, dans la plupart des opéras, les femmes sont, au mieux, maltraitées, au pire, sacrifiées. De quoi faire passer Sale pute d’Orelsan pour une chanson dans Dora l’exploratrice…
Finalement, tout est une question d’époque. Il faut s’y faire, le rap est devenu la nouvelle variété et si l’on part du principe qu’il n’y a pas réellement de « sous-culture », on peut imaginer qu’il existe seulement des personnes pas assez enclines à l’éclectisme. Après, comme le disait MC Solaar : « Quand on est petit, on peut se contenter de peu ».
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