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Bold 65

Putain, ça faisait longtemps, trois piges exactement que je n’avais pas pondu d’édito.
Et je ne sais même pas si dans Bold on peut dire putain, ni piges d’ailleurs… même si je pige dans ce magazine depuis désormais un petit bout de temps. Vous me pardonnerez cette mauvaise vanne, mais si vous vous souvenez un peu de moi, c’était l’essence même de ma marque de fabrique : des blagues relous noyées entre mes complaintes nocturnes et mon syndrome de Peter Pan, le tout relevé par un soupçon d’irrévérence. Moi, c’est Sébastien, et de 2008 à 2018 j’étais rédacteur en chef de feu Luxuriant. J’en retiens une décennie de bordel absolu et de rigolade infinie. On a changé à quatre reprises de bureaux, systématiquement au-dessus d’un bar dont le staff connaissait mon numéro de carte de crédit par cœur. Quand l’aventure s’est terminée, j’étais au 36e dessous et je ne voyais pas très bien à qui j’allais pouvoir refourguer mes histoires de gens passionnés et passionnants. C’était sans compter sur les marques, qui dans un souci de coolitude, se sont mises à proposer gratuitement du contenu à leurs consommateurs. L’exemple le plus frappant pour illustrer ce type de content marketing reste certainement Red Bull. Le géant autrichien qui donne des ailes abreuve la toile de vidéos de sportifs de l’extrême qui envoient des backflips après avoir siroté une petite lampée de testicules de taureau. On chatouille, à la perfection, le culte de la liberté et du dépassement de soi. Message plus subtile et timing presque parfait pour moi qui allais pouvoir continuer à interviewer des talents cools, mais cette fois-ci à la solde du consumérisme. Qu’à cela ne tienne, je mettrai un peu d’eau dans ma boisson énergisante et je rejoindrai la grande famille de la pub.

J’ai donc migré, le plus naturellement possible, vers la communication et je me suis métamorphosé en content creator. J’aime dire que je fais toujours du journalisme, mais pour les marques. Ce n’était d’ailleurs pas un rendez-vous en terre inconnue. J’y ai retrouvé beaucoup de vieux frères et je m’en suis fait de nouveaux. De toute façon, on traînait déjà tous ensemble aux Rotondes, au Steiler ou de Gudde Wëllen, à philosopher musique, street art et pop culture.

Puis un matin, en plein brainstorming avec mes collègues pour un briefing (j’ai vite pris le pli de la novlangue boîte de com), j’ai reçu un coup de fil de Mathieu, le rédac’ chef du magazine que vous tenez entre vos petites mimines. Il était à l’hôpital, pas au meilleur de sa forme, rattrapé par ce connard de virus. Il m’a demandé si je pouvais le dépanner sur cet édito de Bold. J’ai évidemment accepté, car jamais je n’oublierai que lorsque j’agonisais, en pleine faillite, ce bel éphèbe que j’aurais dû détester, car trop jeune, trop talentueux et surtout trop dans la concurrence, avait rendu un chouette hommage à mon travail. Dans un pamphlet plutôt bien écrit, il déclarait ne pas réussir à se réjouir de notre disparition, même si nous lui laissions une petite part de marché supplémentaire à croquer. Il expliquait qu’il allait regretter, pour rependre à la lettre ses mots, « nos couv décalées et nos interviews venues d’ailleurs ». Affalé sur mon canapé en pyjama devant Netflix, les volets fermés, le bougre avait réussi à me mettre la larme à l’œil, dans le noir à 15 h du matin. Aujourd’hui, je rends à César ce qui lui appartient et je te souhaite un prompt rétablissement ma couillasse ! Alea jacta est.

PS : J’ai pris soin de vérifier que l’animal était bien rentré chez lui et qu’il reprenait du poil de la bête, lui aussi en pyjama, mais devant une pizza bien trop grasse et en train de mettre un 10 zéro online sur FIFA à un kid de Vladivostok. La Covid ne l’aura pas eu. En attendant, courage aux autres, courage à tous et prenez soin de vous.

Sébastien Vécrin

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