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ERIC MANGEN, jouer avec le hasard…

Texte et photos Godefroy Gordet
Photos Simon Giovanini
Vidéo Max Vaupel

«Dispo dans la semaine?», «Oui. Lunch?», «plutôt fin d’après-midi», «Avant 18h», «16h, Lux-centre?», «Ok», «Steiler?», «Yes». En quelques mots j’avais rencardé Eric Mangen pour un petit pot informel dans la capitale. Lors d’une journée gorgée de soleil, assis en terrasse, autour d’un verre, là, le jeune artiste luxembourgeois répond à mes questions avec un brin de «On s’en fou de tout ça, buvons une bière!» dans la voix

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Eric Mangen a 31 ans. Il a commencé à peindre en 1998 pour s’y mettre plus sérieusement depuis 2004. Après un passage à Barcelone et un été à Berlin, il est de retour à Luxembourg en 2008. Figure éternelle des nuits luxembourgeoises pour y avoir tenu un bar pendant quelques années, il se met à son compte en octobre 2013 avec le désir de vivre uniquement de son art. De formation, il n’en a pas vraiment, à ce qu’il dit, «J’étais un peu un enfant terrible à l’école. J’ai fait huit ans pour avancer quatre (rire)». C’est pourtant dans un BAC option art en Belgique qu’il va se trouver et définir ses choix futurs, «J’ai fini en Belgique. Après j’ai voulu faire des études de peinture à Barcelone mais les homologation de diplôme entre l’Espagne et la Belgique ont pris trop de temps». En arrivant à Barcelone il s’inscrit dans une classe libre en animation mais rêve d’autre chose, «Je détestais les ordi’ mais j’avais déjà mon prêt et l’appart’, alors je me suis dit qu’il fallait quand même que je fasse quelque chose». Il tient une année dans cette classe qui l’ennuie pour la quitter et finalement intégrer l’atelier de ses potes, «J’étais avec eux chaque jour pour peindre». Barcelone renforce ses aspirations artistiques, «Barcelone c’était la folie. On peignait tous les jours, on faisait des murs de graff’ tous les deux jours. C’était la vie libre, avec le soleil et la tranquillité». Mais là-bas, la vie est plutôt dure, avec un salaire avoisinant les 800 euros les conditions pour s’émanciper ne sont pas les meilleures, «Mais en ce qui concerne la peinture, la gastronomie, les gens, je n’ai jamais été aussi bien accueilli».

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A l’origine, Eric vient du graffiti classique qu’il tâte pour la première fois tout jeune à l’âge de 15 ans, «Le graff ne m’a pas suffi. Mais je ne nie pas mon passé et je l’adore. Faire des graffs, peindre dehors, faire des gros murs, tout ça c’est encore dans mon instinct». La bombe reste toujours son outil préféré, «Avec la bombe tu peux faire n’importe quoi! L’éclater, faire des gros traits, des petits détails, c’est un outil génial!». L’outil lui procure de nombreuses possibilités si tant est qu’on en abandonne l’idée d’un graff pur et dur, «Ce qui m’a fait chier c’est que le graff est un courant artistique qui a beaucoup de règles». Bien intégré, en Espagne il rencontre des artistes partageant la même vision que lui, «Là-bas, j’ai rencontré plein de peintres qui utilisaient la bombe. On se mettait d’accord sur des thèmes et des couleurs et tout le monde était en phase». Petit à petit il fait son trou et y rencontre l’une de ses plus grandes influences, «J’ai rencontré un gars avec qui j’ai travaillé avec des extincteurs. C’est quelqu’un qui a été une grande influence pour moi car il était vraiment décalé».

2 De retour au Luxembourg, l’artiste part de zéro, «En revenant ici j’ai fait pas mal de boulots commerciaux. J’ai fait une cage d’ascenseur de 12 mètres, j’ai peint le dos d’un l’escalier. C’est ce qui m’a permis d’arrêter de bosser dans le monde de la nuit». Sa vision de l’art il essaye de l’appliquer à ne pas dissocier les commandes des projets plus personnels. «J’ai pas mal de potes qui ont un boulot en journée et le soir développe leurs projets artistiques. Moi je n’arrive pas à faire ça». Pour l’artiste chaque projet, qu’il soit commercial ou non, doit tourner autour du même domaine d’exécution, «Je ne veux pas faire deux trucs différents qui se mélangent. Je suis peintre ou non». Vivement critiqué pour ce choix «commercial», Eric ne se soucie pas de ce que les gens pensent, «C’est important pour moi de me lever le matin et d’être heureux. J’aime rendre les gens heureux avec quelque chose que j’ai créé». Néanmoins ses clients ne sont pas dupes. Tous ont bien conscience qu’ils s’adressent à un artiste plus qu’à un prestataire, «C’est toujours un dilemme pour moi. D’un côté on me dit que ce n’est pas de l’art et de l’autre les gens veulent travailler avec moi car j’ai cette casquette d’artiste peintre». De son côté le jeune peintre aimerait que tout ça fusionne naturellement, «J’ai pas besoin d’avoir 50 000 toiles dans mon atelier que personne ne voit. Ce qui m’importe c’est que les gens aient quelque chose de moi, chez eux».

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Artiste protéiforme, son bagage mix média il l’a choppé en 2013, alors qu’il participait à l’émission Generation Art, «Cette émission m’a beaucoup mis sur les nerfs j’y ai appris plein de trucs et notamment à m’exprimer par le biais de différents médiums. Transformer une idée pour que tu la comprennes». Chez lui, c’est l’idée qui définit le médium et ses influences qui guident son geste, «Mon pote et voisin d’atelier Yann Annicchiarico est une grande influence pour moi. Ainsi que mon père. Il est docteur, professeur, il a découvert une plante qui porte le nom de notre famille.», abrège le peintre en riant. Eric Mangen est un artiste paradoxalement aussi discret, «Je n’aime pas me définir, je préfère que les autres le fassent pour moi», que curieux, «J’aimerais rencontrer tous les artistes qui ont des choses à dire», mais fondamentalement il reste lucide, «Je trouve que trop de gens dans le monde se prennent au sérieux pour que je commence à faire la même chose».
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Dans son processus de création, Eric livre un éternel combat, «Au niveau peinture, je pars de rien. Mais quand je travaille sur un lieu, c’est plus spécifique. Je fais pas mal de croquis, je discute avec mes amis». Dans son carnet, il griffonne au bic et écrit. Il y a toujours une idée puis le moment décisif. C’est l’instant qui compte dans son travail, «Au bout de 6 mois j’ai envie de passer à autre chose». La somme de tout ce qu’il a pu faire jusqu’à maintenant, lui donne la visibilité qu’il a aujourd’hui. Prochainement, on lui consacre une expo’ solo à la Art Connection Gallery, Route de Longwy à Luxembourg. Un projet qu’il va développer autour des punchlines du type, «Everything is fine nothing is ok» ou «I don’t see what you see», qu’il pose sur des aplats sur du papier de grande dimension. «Je travaille sur des sentiments réels de la vie de tous les jours. Je suis un artiste humain qui fait de l’art pour les humains». Une direction qui a vu le jour un peu comme ça, «A un concert, un vieux monsieur derrière moi m’a dit: excusez-moi, vous pourriez juste bouger d’un mètre, ça ne changera rien pour vous mais ça changera tout pour moi». Là, il trouve le mot clé, la voie (comme Lao-Tzeu l’a dit), «Tu ne peux pas changer le monde mais tu peux changer des petites choses». Après sa grande expo solo qui s’ouvre le 10 juillet, Eric Mangen compte prendre un peu de répit mais l’artiste ne veut pas se reposer trop longtemps, «Depuis décembre j’ai ma place dans un nouvel atelier à la Schläiffmillen à Luxembourg. C’est un endroit peu connu mais vraiment fou! Il y a tous les artistes old school luxembourgeois qui sont là, donc il faut que je bosse».

https://vimeo.com/130538014