«Faire venir Prince reste le plus grand challenge qu’on n’a jamais relevé»
Photo: afp
Véritable icône de la pop dans les années 80/90, Prince est mort jeudi 21 avril au soir, à 57 ans, dans un ascenseur de ses studios d’enregistrement à Paisley Park, dans le Minnesota. Il y a bientôt 5 ans, Olivier Toth, directeur général de la Rockhal, avait relevé ce pari fou de le faire venir au Luxembourg. Il raconte.
Comment avez-vous appris la mort de Prince?
Olivier Toth : Sur les réseaux sociaux. La première information était qu’on avait retrouvé une personne sans vie dans les studios de Paisley Park. Il y avait cette peur d’entendre que cette personne était Prince. Ça ne pouvait pas être lui ! Et puis, on a eu la confirmation… Sa mort me fait l’effet de celle de David Bowie, dont j’étais un très grand fan.
Quelle image garderez-vous de lui?
C’était un artiste extraordinaire. J’étais allé le voir plusieurs fois en concert. Notamment en 1992 de mémoire, à Trèves, dans le stade où il présentait son album Diamonds and Pearls. C’était un show exceptionnel. J’ai été très content d’être son promoteur lorsqu’il est venu au Luxembourg le 13 juillet 2011. On n’avait pas de lien d’amitié mais j’avais du respect pour l’artiste et ses musiciens.
C’était un sacré challenge que de le faire venir à la Rockhal, dans une salle encore «jeune» (six ans d’existence à ce moment-là). Comment vous y êtes vous pris?
On avait déjà pas mal d’ambition à l’époque. Nous étions très passionnés à l’idée de faire des choses extraordinaires dans cette salle. En 2009, on avait fait venir les Depeche Mode qui ont passé 9 jours en résidence de pré-production avant de faire leur show et de partir en tournée mondiale. C’était énorme. Les premiers contacts avec l’équipe de Prince, eux, se sont noués en 2010 mais ça n’avait rien donné. Le sujet est revenu sur la table un an plus tard. Avec Prince, tout est spontané, tout se boucle dans des délais très brefs. Quand on a su qu’il y avait des dates pour l’Europe, on a sauté sur l’occasion. Ça reste aujourd’hui le plus grand challenge qu’on n’a jamais relevé à la Rockhal. Un membre de son entourage nous avait dit qu’organiser un de ses concerts était la chose la plus difficile à faire mais qu’une fois qu’on le voyait sur scène, ça compensait tout. Et je le confirme.
Quels souvenirs conservez-vous de son concert à la Rockhal, justement? Aviez-vous eu le temps d’en profiter?
Je me suis pris le temps car je ne savais pas quand il allait revenir. Il fallait savourer sa prestation autant que possible. Cela fait un peu cliché mais j’avais insisté pour pouvoir assister à Purple Rain. Et si mes souvenirs sont bons, il avait interprété une version de presque dix minutes. Il y a cette fin qu’on connaît tous. Mais on se disait, à un moment donné, qu’il ne pouvait plus ajouter encore une couche, puis encore une autre au niveau de l’intensité. Mais il a réussi à le faire avant d’atteindre son maximum. Voir à quel point le personnage s’est impliqué à tous les niveaux de sa performance, c’était juste extraordinaire. Ça n’a fait qu’augmenter mon respect vis-à-vis de lui, comme artiste, producteur et comme musicien.
Il a toujours géré son image de manière très stricte, à la Rockhal comme partout ailleurs…
Effectivement, nous n’avons aucune photo de son passage chez nous même si j’en ai vu sur le web. La presse avait l’interdiction d’en prendre. Surtout, il avait une approche très stricte des vidéos, y compris celles réalisées par ses fans. Il avait une équipe très vigilante. Sa musique n’est quasiment pas disponible en streaming. Il contrôlait ses droits et était très en avance sur son époque à ce niveau-là.
Avez-vous été marqué par une anecdote particulière?
J’ai une image en tête oui. C’était quelques minutes avant le concert. Prince répétait encore, seul, il était au piano. On était très en retard et on sentait vraiment que les gens n’en pouvaient plus d’attendre. On insistait sur le fait qu’il était temps de les laisser entrer. On est allé voir Prince sur scène qui nous a dit « Ok, laissez-les entrer ». Il est resté au piano. Les premières personnes à investir la salle n’ont pas remarqué que c’était lui, sans ses habits de scène. Ce n’était pas possible, c’était trop gros. Quand les gens ont réalisé que c’était vraiment Prince, il a tourné la tête, leur a souri et leur a dit « bonsoir » avant de se lever et de leur dire « on se retrouve dans un petit moment ». Il avait des réactions comme ça, spontanées, inattendues, tout en ayant un niveau d’exigence exceptionnel.
https://www.youtube.com/watch?v=0wA28BYbOME
Etait-il plus difficile à accueillir que d’autres artistes ?
Oui. Mais ce n’était pas tant lié à lui qu’à son entourage. Il fallait être à la hauteur de sa spontanéité. Il mettait beaucoup d’intensité dans tout. Je me souviens qu’après deux heures de répétitions, il s’était lui-même mis à la table de mixage pour diriger son groupe et ça avait duré au moins une heure de plus. Ce degré de perfectionnisme, c’était du jamais vu pour nous. Après le concert –c’était une de ses habitudes- il s’est enfermé dans sa loge, où il y avait une télé et une bonne paire de haut-parleurs, pour regarder l’intégralité de sa prestation. Il commentait. Même si ce n’est pas arrivé chez nous, on savait qu’il était capable de renvoyer un de ses musiciens sur le champ s’il jugeait qu’il n’avait pas été à la hauteur. Ce qui est également intéressant, c’est qu’il n’avait pas de setlist. Ses musiciens devaient connaître quasiment l’intégralité de son répertoire de façon à ce qu’il puisse interpréter les chansons qu’il voulait, quand il le voulait, où il le voulait. Il tenait à laisser une énorme place à l’improvisation, mais à un très haut niveau. Cette journée avait été très éprouvante mais si aujourd’hui, vous posez la question aux membres de mon équipe, tous auront un joli souvenir à vous raconter.
Avez-vous pu échanger quelques mots avec lui?
Non, c’était assez compliqué. Mais on pouvait ressentir qu’il était agréable et humble.
Quel morceau vous a le plus marqué?
J’adorais Cream à l’époque, qui était justement sur cet album Diamonds and Pearls. C’était un très bon disque. Un peu kitch, même à l’époque. Aujourd’hui encore plus (rires). Ensuite, Kiss et Purple Rain bien sûr. C’était un musicien qui pouvait toucher un peu à tout et tout sonnait bien.
Aviez-vous l’intention de l’attirer une deuxième fois au Luxembourg?
Oui et ça restera un regret. Il y avait des discussions, au moins une envie. On a suivi ses dernières apparitions en Europe. On réfléchissait à une date.
LE CHIFFRE : 99
Aujourd’hui encore, le prix du billet pour aller assister au concert de Prince ce fameux 13 juillet 2011, soit 99 euros, reste un record pour la Rockhal. « On était très hésitant à pratiquer ce tarif, reconnaît Olivier Toth. Mais nous n’étions pas une exception, le prix était quasiment le même partout. Le public avait finalement assez bien réagi. Quand même, c’était Prince ! »