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FEU! CHATTERTON, «Descendons en parachutes. Dans cet infini paradis!»

Texte: Godefroy Gordet

Crédit photo: ©Fanny Latour Lambert

D’inspirations multiples, Feu! Chatterton mélange un style à la Balzac avec un mic-mac de rock progressif et de post-punk, tout ça brassé dans une grande cuve où des Brel, Bashung, Gainsbourg, Nick Cave, et de nombreux contemporains de la musique auraient jeté un peu de leur sel… C’est La Mort dans la Pinède qui avait révélé la formation parisienne, livrant en avril 2012, via YouTube, un titre rock dévastateur, imprégné de l’écriture intelligente, du verbe et du jeu oratoire d’Arthur. L’émulsion se fait vite ressentir et grâce à un financement participatif, le quintette produit un maxi (EP) de quatre titres, produit par Samy Osta (La Femme, Rover), sur lequel le titre/tube La Malinche va enflammer les foules. Ce post-punk littéraire mêlant les caractéristiques de la chanson française prend vite, et c’est après s’être affiché au Festival Chorus, aux Premières Francos ou aux Inrocks Lab, que leur premier disque Ici le jour (a tout enseveli) sort, et fait du groupe l’un des grands espoirs du rock français.

Est-ce que tu peux nous expliquer cette fascination pour le poète Thomas Chatterton?

En fait, c’était plutôt un «heureux» hasard la découverte de son histoire. On a d’abord été séduit par une peinture, La Mort de Chatterton par Henry Wallis, lors d’une exposition à Paris à l’époque où on commençait à faire de la musique ensemble. L’aspect androgyne et la beauté du personnage étendu sur son lit, que l’on finit par comprendre suicidé à l’aide d’un flacon d’arsenic, nous ont frappés. On a d’abord pris le nom du poète («Chatterton»), avant de se mettre d’accord sur «Feu ! Chatterton», histoire de tuer le poète («feu») pour mieux le ressusciter (cette fameuse ponctuation explosive au milieu de notre nom). C’est ensuite qu’on a découvert toute l’histoire de ce personnage, qui n’a fait que confirmer la pertinence de notre patronyme. Mystifier toute l’intelligentsia de son temps est un tour de force inspirant…

Votre côté «dandy» fait partie de cet hommage?

Au départ le costume trois pièces d’Arthur (notre chanteur) était un moteur d’énergie pour le live. C’était un peu sa façon de créer du rituel avant le concert. De la même manière que nous musiciens tapions sur les tables, accordions nos guitares ou tournicotions nos câbles, lui s’habillait, s’époussetait et conjurait ses plis. Avec l’attention que les médias a commencé à nous porter, est apparu ce terme de «dandy», mais on s’accommode finalement assez bien de ce qualificatif qui rejaillit par extension sur l’ensemble du groupe: incarner un personnage dont la vie est un art en soi nous plait aussi!

Est-ce la peur d’être un «artiste incompris» qui vous rassemble?

Non, si c’est possible on préfère plutôt être compris, ça fait mieux manger.

Avant la musique, vous avez tous eu des parcours personnels plutôt brillants…
Ce n’était pas un tournant! On a tous fait des études assez longues c’est vrai, mais nous les avons terminées, nous sommes allés chacun jusqu’au bout de ce qu’on avait entrepris en sortant du lycée. On a toujours fait de la musique à côté de nos études, ça nous prenait tout notre temps libre depuis très longtemps déjà. Au moment où on sortait tous à peu près de nos différents parcours universitaires, on s’est simplement regardé en se disant: «on y va non ?», et c’est là qu’on a scellé le fait qu’aucun de nous n’irait chercher un boulot de bureau raccord à nos études. Je pense que ça a été la meilleure décision qu’on ait jamais prise, mais finalement c’était la seule décision qu’on pouvait prendre, autre chose n’aurait pas été naturel, autre chose aurait été le vrai «tournant».

J’ai lu qu’on vous qualifie de «groupe de rock érudit», ça vous parle?
«Rock» oui bien sûr, «érudit» c’est moins évident, c’est peu flatteur je trouve. Ça sonne pompeux, au dessus de la masse. Peut-être que «lettré», ou «littéraire» serait plus adéquat. Mais on n’est pas contre une certaine forme d’érudition: sans la revendiquer, elle fait tout de même partie de notre travail tant dans les textes que la musique, on cherche toujours le détail idéal, celui qui rendra la chanson plus belle.

Hyper référencés, d’où viennent vos textes?

Du cœur! Les textes viennent d’histoires vécues, de femmes, de voyages ou de naufrages. La vie quoi. C’est souvent en partant d’un détail d’une histoire vraie ou vécue, que l’on tire le fil pour métamorphoser la chanson en un texte plus onirique, plus général, plus grand.

De Brel à Oxmo en passant par Gainsbourg ou Bashung, votre musique puise dans de nombreuses influences poétiques. Qu’en est-il pour la construction musicale?

La musique et le texte s’écrivent souvent ensemble, à la même période. Parfois un texte aura été éprouvé sur différentes instrumentations avant de trouver son carcan idéal. Ce que l’on recherche dans la construction musicale se joue sur trois plans: la composition doit évidemment être au rendez-vous, l’habillage du texte être une étape clef, et les arrangements doivent venir sublimer l’ensemble, rendre compte de la puissance de la composition, tout en portant le texte et la voix pour qu’ils soient le plus audibles possibles. Sur cette idée de composition, d’arrangements et de production d’importance capitale, on est très influencé par Radiohead, Portishead, Aphex Twin, LCD Soundsystem ou encore Arcade Fire.

Comment vient un morceau comme la Malinche, qui se découpe en plusieurs cadres rythmiques…?

La Malinche est un de ces morceaux que l’on a composé tous ensemble, dans notre cave de l’époque, en bœufant. Un des mecs joue la pompe de piano, l’autre un riff de guitare bien placé, tandis que la voix traduit un «Oh yeah» de notre batterie électronique de répétition. Et puis le pont, ce «cadre rythmique», comme tu dis, se construit au fil des expérimentations, d’abord toute l’intro en ternaire, puis la coda, puis tout le morceau, pour finir par se transformer en milieu de morceau. Dans cet exemple précis de titre c’est l’expérimentation à 5 qui a donné naissance au titre dans sa forme actuelle.

Quel est le sous texte dans le titre de votre premier album Ici le jour (a tout enseveli)?
Haha! On ne donne aucune clef de lecture. A vous de voir!

Que représente votre premier album?

Un véritable accomplissement. Il contient des morceaux qui ont été composés et écrits sur une large période, presque 4 ans! C’est tout une épopée musicale de groupe qui est retranscrite sur ce disque, des premières compositions à nos expérimentations en live puis en studio, notre rencontre avec notre réalisateur Samy Osta, notre travail sur le jeu, le son etc, ça a été un travail titanesque pour nous mais qu’est-ce qu’on est heureux de l’avoir fait!

Pour vous, la première image que l’auditeur voit de votre album est-elle aussi essentielle que votre musique?

Le bleu et le jaune? Oui! On aime à voir notre musique comme un objet cinématographique, qui évoque des images, des couleurs. La pochette était quelque chose de très important pour nous, et cette simplicité, cette beauté encore une fois androgyne et ses couleurs précises et vaporeuses à la fois, semblaient coller parfaitement à l’ambiance du disque.

Dans cet album on parle beaucoup des femmes, des fleurs, mais aussi beaucoup de la mort, de la fatalité, de la mélancolie. Où voulez-vous en venir?

Nulle part en particulier. On voudrait plutôt se perdre.

Dans cet album, on progresse comme dans la vie. Comment décrieriez-vous ce disque dans son ensemble?

Comme une promenade le long d’un parc.

Il y a une énorme recherche esthétique dans vos mots, quelle est la part de hasard dans l’alignement de ces mots?

Je ne sais pas trop distinguer ce que j’ai choisi de ce qui m’est venu.

La musique se construit-elle sur les mots ou est-ce l’inverse?

Il n’y a aucune recette prévue à l’avance pour la construction des chansons. Parfois le texte est écrit avant, parfois pendant et parfois après que les instrumentations sont finies.

 Le 10 mars vous jouez à la Rockhal de Esch-sur-Alzette. Feu! Chatterton sur scène ça ressemble à quoi?

Beaucoup d’énergie! On vient du live avant tout, avant de pouvoir enregistrer la moindre maquette on a éprouvé nos chansons dans tous les bars de Paris. Aujourd’hui on prend un plaisir immense à communiquer notre joie d’être sur scène, souvent dans des conditions techniques et d’accueil fantastiques. Bref, c’est une explosion de saveurs. Orientales. Epicées.

Quoi de prévu ensuite?

VACANCES! {Rire} On continue la tournée de l’album qui devrait durer jusqu’en décembre 2016 et entre temps on réfléchit, on compose et on écrit pour le prochain album. On a bon espoir qu’il puisse sortir début 2017.