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Francis of Delirium, sentiment d’appartenance

Texte : Godefroy Gordet

De la Suisse au Canada, en passant par la Belgique pour arriver au Luxembourg, Jana Bahrich a bien bourlingué. De la Californie à Seattle, pour débarquer lui aussi au Grand-Duché, Chris Hewett a lui aussi sillonné le monde. Réunis par un heureux hasard, les voilà à tenir ensemble l’un des projets les plus convaincants de ces dernières années sur la scène musicale luxembourgeoise : Francis of Delirium.

Genèse

Il n’y a souvent aucune raison logique pour qu’on se lance dans la musique. À cinq ans, pour une raison quelconque justement, Jana demande à apprendre le violon. Elle s’y met quelques années, mais n’aime pas la façon dont on lui enseigne. Finalement, elle utilise YouTube pour apprendre la guitare, le piano et le banjo, « cela me semblait être la chose la plus naturelle à faire ». À l’âge de 12 ans, après s’être testée sur Pearl Jam et Dire Straits, elle commence à écrire ses propres chansons, voyant le monde de la musique comme un lieu, « pour me retrouver et m’exprimer, créer mon propre monde pour vivre en dehors de la réalité. C’était surtout très amusant ».

Chris, lui vient d’un tout autre monde. Il travaille un temps dans la production de jeux vidéo chez Monolith Studios (F.E.A.R), après avoir bossé chez Boeing. La musique lui est venue plus tard, à 30 ans. Il commence à jouer avec son frère et faire quelques enregistrements. Mais c’est à Seattle qu’il se met sérieusement à la guitare, et qu’il commence à se concentrer sur la musique.

Duo

Quand Jana lance Francis of Delirium, et construit un monde autour de sa musique, « je ne voulais pas juste écrire quelques chansons, je voulais créer une cohérence avec l’imaginaire visuel qui était le mien. J’avais ce désir de créer. Francis of Delirium vient vraiment d’un besoin de créer de l’art ». Né ainsi un projet indie rock, infusé d’influences venant de groupes tels que Car Seat Headrest, Snail Mail et (Sandy) Alex G.

Le jour de sa graduation, en 2019, Jana demande à Chris de la rejoindre sur son projet. Le duo se connaissait d’antan, jouant ensemble dans des groupes de reprises depuis les 15 ans de Jana, « nous avions déjà commencé à jouer mes propres chansons, ça a donc était très naturel de lui demander de me rejoindre ». Et Chris s’en réjouit parlant de Jana comme d’une artiste très talentueuse, travailleuse et avec une vision claire de ce qu’elle veut accomplir, « ce qui rend ce partenariat spécial, c’est que nous avons une relation très yin-yang où nos traits opposés se complètent, mais nous sommes tous deux très similaires en ce sens que nous voulons créer une musique inspirante émotionnellement pour nous-mêmes, en espérant qu’elle résonne avec les autres », explique Chris.

Succès

En duo, en juillet 2019, ils remportent le Screaming Fields Festival. Un prix prestigieux au Luxembourg pour la scène musicale émergente, qui propulse leur projet, « Francis of Delirium a immédiatement était accepté sur la scène musicale luxembourgeoise et nous avons pu jouer aux Rotondes, à la Rockhal et nouer des amitiés avec beaucoup de groupes et d’artistes que j’aime ici ». 

Après le succès du single Quit Fucking Around, sorti en janvier 2020, ils signent sur Dalliance Recordings. Et quelques mois plus tard, en juin 2020, ils sortent All Change. Un premier EP entre indie et grunge à l’allure DIY, qui se nuance entre la voix souple et déployée de Jana et la rythmique rock qui s’installe dessus. Un album écrit quasi totalement pour être interprété au Screaming Fields, « je voulais que la performance soit très cohérente au moins au niveau des paroles, nous avions des idées folles, mais sommes restés dans une forme dépouillée », explique Jana.  All Change, se montre ainsi très narratif, avec une ligne qui traverse chaque chanson la reliant à la suivante, « l’EP explore les façons dont nous cédons à la partie de nous-mêmes qui nous dit que nous ne sommes pas assez bons, jusqu’à ce que nous puissions enfin briser ce schéma et croire en nous-mêmes ». 

Connexion

Jana et Chris décrivent leur musique en expliquant vouloir se « connecter avec les gens ». Jana explique plus précisément que pour elle, « une grande partie de la musique est une question de communauté et un sentiment d’appartenance. Lorsque vous rencontrez quelqu’un qui aime les mêmes groupes que vous, il y a une connexion instantanée ». Aussi, Francis of Delirium veut se connecter avec les gens, de la même manière que la musique les a profondément connectés et a donné un sens, un but et un amour pour quelque chose, « la connexion et le ressenti sont les choses les plus importantes que la musique nous donne, je fais de mon mieux pour m’éloigner de la musique et donner aux auditeurs un moyen direct de ressentir et de démêler leurs propres émotions. C’est ce que la musique m’a donné et je veux poursuivre cette ouverture et cette connexion », explique Jana.

Engagements

Dans ce sens, en septembre 2020, ils sortent Equality Song. Un projet qui a vu le jour avec le concours du ministère luxembourgeois de l’Égalité entre les femmes et les hommes (MEGA), pour célébrer l’anniversaire des 100 ans de l’introduction du droit de vote des femmes au Luxembourg, et soutenir l’association Femmes en Détresse (fed.lu). Jana écrit ce titre avec dans le viseur l’affaire Brett Kavanaugh, accusé d’agression sexuel en 2018, « c’était la première grande affaire d’agression sexuelle dont beaucoup de gens de mon âge étaient témoins ». Découragée par la façon dont Christine Blasey Ford a été traitée et rabaissée et frustrée par l’acceptation et la forme d’apathie à l’égard de l’agression sexuelle, pousse Jana à écrire cette chanson, « comme un moyen de continuer à m’inspirer et à espérer que les autres continuent de se battre pour la sécurité et le bien-être de chacun ».

Une chanson écrite avec « colère », d’après Jana qui veut se battre pour que les femmes soient entendues et respectées, et que les hommes se battent aussi pour les femmes et entament cette conversation plus souvent, « nous devrions parler davantage de viol et d’agression à l’école. C’est fou le nombre d’agressions sexuelles et de viols, une Américaine sur six est survivante d’un viol ou d’une tentative de viol. Je veux poursuivre cette discussion et continuer à soutenir des organisations comme Femmes en Détresse, parce que nous devons nous protéger les unes les autres ».

Crise

Après de nombreuses dates au Luxembourg, Jana et Chris voyagent à travers l’Europe, notamment en Allemagne, pour subir ensuite de nombreuses annulations l’année passée, alors que Rotterdam, Paris ou Londres leur tendaient les bras. Une interruption soudaine de leur tournée que le duo a eu du mal à encaisser, tout en restant concentré sur le fait qu’un jour tout reprendra de plus belle, « il est important pour nous et pour tous ceux qui aiment la musique de soutenir les musiciens et les salles ».

Pour pallier au temps de scène perdu, en ce moment, Francis of Delirium prépare la sortie en mars/avril 2021, de Wading leur second EP. Un EP sur lequel Jana explore beaucoup d’idées du premier EP dans ses paroles, tout en les associant à « des idées d’isolement, de doute de soi, de confrontation et de compréhension de soi-même ». Musicalement, l’EP garde l’atmosphère grunge pour base, tout en y superposent des synthés et de belles harmonies vocales, « il explore vraiment cette dualité de la beauté et de la dureté », précise Jana.

Et en effet, à l’écoute de Lakes, premier single paru, il semble y avoir dans ce nouveau projet une dynamique de relâchement personnel. On gage entendre dans ces 4 nouveaux titres, les conséquences morales de la pandémie interminable que nous connaissons, « si la plupart des chansons ont été écrites avant la pandémie, beaucoup de choses que nous avons ressenties avant la pandémie se sont intensifiées pendant la pandémie et donc ces découvertes à travers l’EP semblent toujours vraies ». 

Wading aborde donc le lâcher prise, l’appréhension de celui-ci et le fait de retomber dans de mauvaises habitudes, mais aussi d’isolement, et de ce que nous sommes sans être entouré des gens qu’on aime, « ce qui est certainement une conséquence de la pandémie… ».