«Game of Thrones», chef d’oeuvre d’ultra-violence
«Game of Thrones», qui est devenu dimanche le programme de fiction le plus capé de l’histoire des Emmy Awards, captive le public depuis six saisons avec ses intrigues spectaculaires, son monde fantastique et surtout, sa violence extrême.
La saga a déjà récolté 38 Emmys depuis son lancement sur la chaîne à péage HBO en 2011. Elle dépasse donc la comédie «Frasier», qui détenait le record avec 37 Emmys. Dimanche, GoT a été sacrée meilleure série dramatique comme l’an dernier. En revanche, ses acteurs sont rentrés bredouilles. «Game of Thrones est l’un des plus grands exploits à la télévision sur tous les critères possibles» s’enthousiasme Jonathan Kuntz, professeur à UCLA School of Theatre Film and Television.
La série créée par David Benioff et D.B. Weiss, adaptée des romans de George R. R. Martin, «invente tout un monde, un peu comme ‘Lord of the Ring’ ou ‘Harry Potter’, parmi les plus fabuleuses fictions de l’ère moderne», ajoute-t-il. Son succès phénoménal tient à sa narration haletante, avec des personnages centraux brusquement éliminés, des caractères complexes, du surnaturel, du sexe, et une interprétation magistrale saupoudrée d’effets spéciaux maîtrisés.
Mais ce qui la définit aussi, c’est sa violence débridée: meurtres sanglants, torture, mutilations, décapitations, défenestrations, suicides, empoisonnements et aussi une brutalité sexuelle avec des scènes de viol qui ont choqué l’Amérique. «Le sexe et la violence jouent un rôle clé dans la série», remarque Jonathan Kuntz. Pour lui, le fait que le monde de «Game of Thrones» soit fictif et situé dans un passé aux moeurs féodales et primitives permet aux scénaristes de donner libre cours à cette sauvagerie sans limites. Un peu comme dans le monde de gladiateurs dans la série «Spartacus».
«En même temps ce n’est jamais gratuit, ça contribue à l’histoire, à la contruction des personnages», à leur quête de pouvoir et à leurs névroses», assure M. Kuntz. Le réalisme de ces scènes sanguinolentes doit beaucoup aux effets spéciaux mais les réalisateurs ont expliqué dans Time avoir utilisé de la vraie viande déchiquetée pour mieux évoquer à l’écran les corps massacrés.
Entre Shakespeare et aujourd’hui
Les chaînes câblées payantes comme HBO utilisent la violence et le sexe depuis longtemps pour appâter les téléspectateurs, alors que le choix est presque sans limite. Dès 1997, «Oz», sur la vie dans une prison de haute sécurité, n’épargnait aux téléspectateurs ni les têtes fracassées ni les parties génitales arrachées.
Puis «Les Sopranos», sur la vie d’un chef mafieux en proie aux doutes existentiels, a ouvert au début des années 2000 une ère de séries de très grande qualité où la brutalité est constante: «Breaking bad» sur un professeur de chimie qui devient trafiquant de méthamphétamines, «The Wire” sur le trafic de drogue, les gangsters de «Boardwalk Empire», les tueurs en série de «Dexter»…
Cette férocité a contaminé les chaînes historiques. NBC diffuse «Hannibal» consacré au psychopathe, rendu célèbre par Anthony Hopkins dans «Le silence des agneaux». Le sous-genre des zombies et vampires connaît aussi un âge d’or avec le succès de «The Walking Dead», qui bat des records d’audience dans le monde entier. Ce déferlement de brutalité témoigne-t-il de celle de la société américaine?
Pour Robert Thompson, professeur de culture populaire à l’université de Syracuse, «nous vivons dans une société violente mais depuis toujours». «La Bible, l’Iliade sont empreints de sauvagerie, Shakespeare était violent. Lady Macbeth n’arrive pas à laver le sang de ses mains», remarque-t-il.
Pour Jonathan Kuntz, si une série comme «Game of Thrones» tient en haleine des millions de spectateurs, c’est parce que son univers fantasmagorique évoque le monde d’aujourd’hui. «Ca parle d’intrigues politiques et de problèmes qui rappellent ceux d’aujourd’hui aux Etats-Unis et en Europe, comme des familles qui essaient de garder le contrôle du pouvoir, des conflits entre différentes ethnies, etc».