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GRAMATIK, Manipuler le son

Texte Godefroy Gordet
Photos Lowtemp Music

Denis Jašarević a grandi précisément à Portorož, une station balnéaire perchée sur la mer Adriatique, à l’ouest de la Slovénie… Là-bas, baigné dans le hip-hop américain, il s’invente sous le nom de Gramatik et commence à faire du son. Ses premiers albums reprennent les classiques du funk, du jazz et de la soul en affirmant une signature électro beat singulière. Sa fascination pour la culture noire américaine l’emmène à créer la géniale série Street Bangerz. Mais c’est véritablement avec The Age of Reason qu’il étire davantage ses sonorités électro pour délaisser les samples soul et tenter autre chose. Depuis son disque #digitalfreedom, le type lâche sa musique gratuitement, tout ça dans la logique de sa démarche qui s’appuie sur le libre-échange de la musique et avec son label Lowtemp, avec lequel il veut donner une chance aux jeunes artistes. Un humaniste de la musique, qui aujourd’hui, au top de sa carrière, n’a pas fini de grimper en level et s’impose comme l’un des grands noms dans le line-up du Rock-a-Field 2015.

Gramatik

  • Tu peux nous parler de tes premiers pas dans la musique?

Plus jeune j’étais dans un groupe de hip-hop appelé 5 Element et je créais des beats pour que nous puissions rapper. La Slovénie est un petit pays et la scène hip-hop est quasi inexistante, alors j’ai envoyé ma musique à divers labels étrangers et j’ai été repéré par un petit label américain. A partir de là, mon parcours est assez simple, j’ai rencontré mon agent américain grâce à MySpace, j’ai fait mon premier concert lors de la tournée de Pretty Lights et j’ai sorti deux albums sur son label. Maintenant j’ai mon propre label et j’essaie de donner une chance aux autres dans la musique.

  • D’où vient ton nom de scène «Gramatik»?

Il vient de gramme, comme un «gramme de weed». Je ne pouvais me permettre d’acheter qu’un gramme de weed, alors je n’achetais que ça.

  • Qu’est ce qui te fascine dans le funk, le jazz et la soul?

Toute cette musique vient en grande partie de mon adolescence et quand j’étais dans le hip-hop. J’étais surtout impressionné par les producteurs qui intégraient ces sons à leurs productions. Cela m’a ouvert à de nouvelles perspectives et j’ai commencé à produire du hip-hop de par ce genre d’influences. Aujourd’hui je crée et enregistre mes propres samples avec des musiciens en direct. Le funk sera toujours présent dans mes productions.

  • Dans tes trois premiers volumes de Street Bangerz (Street Bangerz Volume 4 est sorti en 2013) on trouve de fortes références à la culture noire américaine. Peux-tu nous parler de ton cheminement sur ces trois disques?

Tous ces morceaux sont pour la plupart créés à partir d’autres productions et via des manipulations de samples. Je respecte beaucoup les musiciens funk, soul, jazz et blues. Ils avaient les beats, le rythme et l’âme. Des malheureuses souffrances qu’on connues les noirs, sont nées des sentiments sincères et des musiques étonnantes. Pour moi, c’est du vrai art. J’aime à penser que j’honore ces artistes en mettant ma propre touche là-dedans. Tous ces artistes que j’ai samplé étaient mes inspirations musicales. Je ne m’attendais pas à arriver à ce niveau et à faire carrière grâce à ça.

  • Quelles ont été tes influences sur ces disques?

Le funk, la soul, le blues, le jazz, le hip-hop… Tous ces genres ont été créés par des gens très talentueux qui avaient quelque chose à dire par rapport à leur situation de vie. Ils ont révolutionné la musique et ont changé l’histoire. La musique était utilisée comme une déclaration politique et culturelle. Aujourd’hui il n’y a plus de message dans la musique. Souvent, quand j’exprime ma vision des choses, je reçois des commentaires comme: «tiens-t-en à ta musique mec!» Si tout le monde en restait là, nous vivrions dans un monde très sombre. Ma plus grande inspiration est Nikola Tesla, qui est la raison pour laquelle je donne ma musique gratuitement, mon geste s’adresse aux gens qui aiment la musique.

  • En parallèle tu sors #digitalfreedom (2012), un EP bien violent qui fait prendre un tournant dubstep à ta musique. Derrière ce virage à 180°, il y a aussi, depuis ton association avec Griz, cette idée de libre-échange et écoute de ta musique. Tu peux nous en dire plus?

#digitalfreedom est sorti comme une réponse à toutes les conneries autour de la censure Internet et le libre-échange des informations, ce qui a stoppé l’évolution de l’humanité. Je me suis toujours opposé à la cupidité des entreprises et quand je me suis fait avoir par mon label parce qu’ils ne me payaient pas les redevances issues des ventes, j’ai décidé de mettre toute ma musique sur Pirate Bay et l’offrir à mes fans gratuitement. Lorsqu’ils ont introduit PIPA et SOPA, je protestait contre ça. L’album entier est essentiellement une critique du concept «corporate» appliqué par les firmes qui rendent les consommateurs esclaves, même la couverture du disque reflète mon exécration du sujet. J’ai construit toute ma carrière là-dessus et je reste loyal à cette idée, même mon label Lowtemp publie toutes les musiques gratuitement.

  • Aujourd’hui tu poses de la dubstep sur de la soul, tu passes de la funk à la soul baignant tes auditeurs dans de nombreuses références, tu mêles dans tes productions guitares électriques, saxo ou piano de salon, tu joues avec les instruments et les sons, à la manière d’un chef d’orchestre. Te considères-tu plus comme un beatmaker ou un compositeur?

Je me considère comme un manipulateur du son, je ne fais pas réellement de beats dans le sens où j’ai besoin de chanteur ou de rappeur pour que mes chansons fonctionnent. Je manipule les sons et les échantillons, je sais ce qui marche et à quoi les sons doivent ressembler.

  • Ton excursion dubstep s’est concrétisée avec l’excellent The Age of Reason. Avec ce disque tu avais besoin de changer d’univers?

Nous pouvons bien l’appeler «excursion» parce que sur mes 8 albums et mes 3 EPs, il y a seulement 8 chansons dubstep et elles sont propres à ma vision du genre. Je ne produis jamais un album qui ne serait que dans un seul genre excepté la série Street Bangerz qui était dirigée vers le hip-hop. Pour le reste j’ai toujours essayé de faire mon propre truc. Sur The Age of Reason, j’ai cherché à faire quelque chose de plus vivant, me détourner du sample de musique déjà enregistré. J’ai invité des musiciens à collaborer avec moi. Gibbz n’était pas encore un artiste à l’époque et Exmag est le résultat de notre collaboration. Je suis un grand fan de Lettuce, un groupe funk de New York et je voulais vraiment travailler avec le guitariste Eric Krasno qui joue aussi avec Soulive. Cherub faisait la première partie de ma tournée et Eskobars est un groupe de ma ville natale. Avec ce disque je voulais juste étendre mon propre univers, je collaborais avec des artistes de la même manière lors de mes déplacements aux Etats-Unis, j’ai remixé beaucoup de chansons et il y a un certain nombre de collaboration un peu partout sur le net. Mon succès et ma visibilité m’ont juste permis de finalement rejoindre des gens que j’admire et aider des artistes montant à se faire connaître.

  • Dans ce premier album sorti sur ton propre label Lowtemp, tu pars en quête du bluestep… tu peux nous expliquer quel aspect comporte ce style musical?

J’ai commencé une tournée aux Etats-Unis avec mon guitariste précédent, j’aime toujours avoir une guitare en accompagnement dans mes productions et je voulais avoir ces riffs de guitare funky dans mes sets live. Je ne définirais pas vraiment ça comme un style musical, Bluestep était juste le nom de la chanson et je ne pense pas que quiconque développera ce son plus loin. C’était juste ma fusion entre deux genres complètement différents, la dubstep et le blues. 

  • En passant d’un style à l’autre, as-tu toujours l’impression de faire du Gramatik?

Tout ce que je fais est dans le style Gramatik, même si je tente de combiner les genres, je le fais à ma façon. Je ne veux pas me limiter à un seul genre, ce serait une mort créative pour moi.

  • Gramatik pour moi c’est de l’Electro Soul mais tu dis faire du «Future Funk». Tu peux nous expliquer cette distinction?

Ce sont juste les gens qui mettent des étiquettes sur la musique pour la ranger dans des boîtes. Je ne l’ai pas inventé, mais les gens ont commencé à l’utiliser pour décrire mon son. De mon point de vue, les deux choses sont les mêmes, elles veulent toutes deux communiquer le mélange de la musique électronique et analogique. Ici, le funk et la soul avec les productions modernes. Les étiquettes ne me posent aucun problème tant qu’elles ne me classent pas dans l’EDM (rire).

  • Dans Coffee Shop Selection tu réunis 22 titres de tes différents projets. Certains de tes titres les plus groovy teintés de jazz se retrouvent dans ce best-of un brin nostalgique. Avec ce disque tu avais besoin de faire un petit bilan de carrière?

Coffee Shop Selection est une compilation de mes chansons originales des albums précédents, principalement issues de Street Bangerz qui ont été lourdement samplées à partir de l’album de base. L’idée était de créer un album qui serait destiné à chiller et à fumer de l’herbe. De la pur détente, rien d’autre.

  • Dernièrement avec ton très bon Native Son en Feat. Avec le rappeur Raekwon (du Wu-Tang Clan) & le chanteur R&B/Soul Orlando Napier, tu reviens à tes amours soul et hip-hop. Comment t’est venu l’idée d’associer Raekwon & Orlando Napier?

J’ai rencontré Orlando il y a deux ans et nous avons collaboré sur mon album The Age of Reason. Pour moi, c’est un chanteur et compositeur extraordinaire, alors quand il est passé chez moi, il y a un an, avec Native Son, je savais qu’il fallait qu’on le fasse. On s’est dit qu’une partie rap, serait parfaite pour cette chanson et quand nous avons commencé à chercher à qui s’adresser, ma première idée était Raekwon. J’ai grandi avec le Wu Tang Clan et Raekwon a toujours été mon préféré. Ce fut un moment parfait dans ma carrière. Je suis content de dire que la collaboration avec Raekwon est rayée de ma liste des choses à faire avant de mourir.

  • Juste après le 7 mai dernier, tu balances Corporate Demons sur la toile en feat. avec le compositeur électro Luxas. Y a-t-il un album en préparation?

Oui, un nouvel EP intitulé Epigram est en cours d’élaboration et sortira cette année. Je travaille toujours dessus donc je ne peux pas te dire la date exacte de sortie.

  • Tu joues au Rock-A-Field le 4 juillet le même jour que le Wu-Tang Clan. Sur scène tu as prévu quelque chose avec eux?

Je n’en ai pas encore discuté avec mon manager mais tout peut arriver (rire).

  • Et pour la suite?

Le Rock-a-Field est le premier show de notre tournée européenne des festivals de l’été. Ensuite, nous avons l’intention d’aller en tournée mondiale pour présenter mon nouvel EP Epigram. Nous allons probablement sortir un nouveau clip et nous espérons que le nouveau court métrage sorte dans un futur approximatif…

Gramatik continue sa tournée jusqu’à fin novembre, plus d’infos ici