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«J’ai fait le choix d’aller à Choucha, eux non»

Texte: Raphaël Ferber
Photo: Romain Gamba

Le photographe français Samuel Gratacap expose jusqu’à mi-mai au Mudam le fruit de ses séjours dans le camp de réfugiés de Choucha, dans le sud-est de la Tunisie, entre 2012 et 2014. «Empire» nous plonge ainsi dans le quotidien de milliers de réfugiés ayant fui le conflit libyen de 2011.

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Comment avez-vous vécu cette expérience de deux ans à Choucha?
Samuel Gratacap : ça a évolué dans le temps. Au début, il s’agissait pour moi de la découverte d’un espace, avec ses modes de vie, de fonctionnement… J’arrivais avec un regard neuf, lointain et naïf sur la réalité du camp. J’avais peu de connaissances quant à la création d’un camp, à sa gestion administrative, et l’incidence que ça pouvait avoir sur la vie des personnes qui débarquaient. Le premier palier, je l’ai ressenti lors de mon retour en France au bout de trois mois. C’est vraiment là que j’ai compris que moi, j’avais la possibilité de quitter le camp alors que les personnes avec qui je m’étais lié d’amitié ne le pouvaient pas. J’ai fait le choix d’aller à Choucha, eux non.

De quels sentiments avez-vous eu besoin d’être animé avant de prendre tes photos?
Je fonctionne beaucoup par projection. Bien sûr, j’ai besoin d’un vécu, de m’imprégner d’un lieu. Mais j’anticipe aussi ce que je vais voir. Je pars d’a priori photographiques, j’imagine faire tel type d’images… et en fait, souvent, ça ne se passe pas comme je l’aurais prévu (il rit). Je suis passé par des remises en question, déjà par rapport à ma présence sur place, et avec le temps est survenu ce constat indéniable de l’utilité de la photo dans ce type de circonstance. Il y en a très peu sur ce camp, surtout prises sur un temps aussi long.

Qu’est-il ressorti d’imprévu sur vos clichés?
Ces images lointaines, des polaroïds, les premières que j’ai faites sur place, en fait. On y trouve très peu de détails quant à la réalité que vivent les gens du camp. Il y a plus de narration sur les photos en grand format qu’on voit sur les murs du Mudam. Ça reste frontal, mais on est dans la vie quotidienne, dans un temps de latence.

Vous en êtes reparti un peu moins «naïf»?
J’y suis arrivé avec un tas de questions et j’en suis reparti avec un tas d’autres! J’avais envie de comprendre la réalité de la guerre libyenne. Je ne faisais pas de différences entre les refugiés et les migrants, je me posais des questions quant à la gestion humanitaire. Concrètement, sur le plan perso, malgré toutes les difficultés de la vie quotidienne, j’ai été accueilli par des gens devenus ensuite mes amis. Je n’étais plus seulement photographe. Je donnais par exemple des cours dans une ONG.

Quel sentiment vous attendez-vous à susciter chez les gens, ici, en Europe?
Le constat est un peu tragique… Environ 10% de ces gens ont pu être réinstallés, ont pu bénéficier d’un statut. Je n’ai pas réellement de message à faire passer. La réalité du camp de Choucha n’est pas celle de Dadaab ou de la jungle de Calais… Je suis encore là pour l’expliquer. Aujourd’hui, officiellement, le camp est fermé mais les gens sont toujours là-bas.