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Hokube, le beatmaker carré

Par Sébastien Vécrin / Photo : Hokube

Hokube me donne rendez-vous juste après le taf au bar Amore, rue du Marché-aux-Herbes, en Ville-Haute. Il fait beau, le Luxembourg a l’air de vouloir s’encanailler et moi, pour changer, je projette de siroter quelques pintes pour refaire le monde en terrasse. Le producteur et DJ de 40 piges débarque pile-poil à l’heure. Décontracté, grand sourire, look impeccable, je ne connais pas encore le bonhomme, mais une chose est sûre, j’ai immédiatement envie qu’il devienne mon pote et qu’il me raconte son histoire…

DE LIBREVILLE À PARIS, LES OREILLES GRANDES OUVERTES

Ton blaze, ça vient d’où ? « Un délire de lycée (rires). En cours de maths à Libreville, on bossait les puissances, au carré, au cube. J’ai un bac scientifique. J’entendais parler aussi de Guitar Hero. Je voulais un nom qui claque. J’ai d’abord pensé à Hip-Hop Hero puis j’ai opté pour Hokube. C’est resté ! ».

Né et grandi au Gabon, Rodney, de son vrai prénom, baigne dans le bouillonnement culturel d’une capitale d’Afrique centrale au milieu des nineties. Il est hypé par le rap US, la côte est, le Vol. 3… The Life and Times of S. Carter de Jay-Z, Method Man, Redman. Et le rap français aussi, avec tous les bangers des années 96, 97 et 98, notamment Ärsenik, Passi et toute la bande du Secteur Ä. Son premier choc musical ? « J’étais gosse, on sortait d’un supermarché avec ma maman et j’entends un morceau qui fait référence à Star Wars. C’était L’École du micro d’argent d’IAM. J’ai pété un câble. J’ai chopé l’album pour pas trop cher au marché, à la grande époque des cassettes piratées (sourire). » Rodney reste très attaché au Gabon, même si politiquement, l’ambiance peut être tendue.

Malgré ça, une scène rap locale s’est développée. « Y’avait un groupe qui s’appelait Movaizhaleine. Pour nous, c’était les IAM du Gabon. » Alors forcément, dès le lycée, il a envie de produire ses propres beats et de faire partie de la scène locale. Il se fait les dents sur Magix Music Maker puis sur FL Studio sur son ordinateur. « À Libreville, tu ne peux pas aller t’acheter une MPC ou digger des skeuds au disquaire du coin pour sampler, ça n’existe tout simplement pas. Tu dois avoir un gars en Europe ou aux US qui t’envoie le truc, sans garanties de réception, ni que ça n’arrive pas complètement flingué par le voyage. Alors tu essaies de gratter des CD démo de logiciel dans les magazines, c’est du DIY 100 % made in Africa (rires) ».

PARIS, LA COURSE. LUXEMBOURG, LA PAUSE.

Comme beaucoup de Gabonais de sa génération, Hokube part étudier à l’étranger. Il atterrit d’abord à Angers, puis retourne au bled pour finalement débarquer à Paris. « J’ai suivi un cursus dans l’informatique, mais je ne me voyais pas là-dedans. Trop abstrait. J’ai bifurqué vers le marketing et la communication ». Paris l’épuise. « J’étais tout le temps dans la course. Même si tu veux pas te comparer, t’es déjà dans le game. Tout le monde fait des trucs bien, donc personne ne sort vraiment du lot ». C’est une rencontre qui le mène au Luxembourg.

« Ma copine de l’époque était luxembourgeoise. Elle m’a dit ‘viens, tu verras, c’est cool‘. Et j’ai découvert que je pouvais souffler. » C’était il y a déjà dix ans. Ce qui surprend, ici ? « Le calme. La taille humaine. C’est plus facile de te concentrer et de te poser sur tes albums. À Paris, t’es en mode survie, surtout financièrement. Ici, je peux créer sans me battre. » Son projet n’est plus de devenir artiste à temps complet, de se galérer sur la route pour des concerts sans public, mais plutôt de produire intelligemment des disques de qualité. « Les choses viendront comme elles viendront (sourire). »

DJ PAR ACCIDENT, BEATMAKER PAR NÉCESSITÉ

C’est au Luxembourg qu’il devient DJ. « À Paris, je ne mixais pas. Ici, j’ai commencé pour partager les sons que j’aimais. Ça m’a permis de garder un pied dans la musique. » Aujourd’hui, il tourne dans des spots reconnus de la nightlife, au Paname, chez Amore et dans quelques soirées bien choisies. Il a fait aussi la Rockhal, les Rotondes et dernièrement, la release party de son tout nouveau EP When It Went Quiet Vol.2 au Gudde Wëllen avec ses zicos sur scène. « Je me produis avec Maschine et Traktor en live, et je balance mes compos et mes stems en mode freestyle. C’est hybride. J’ai aussi trois musiciens avec moi. AKSL, à la guitare et au chant. C’est une amie d’enfance du Gabon. Elle habite désormais à Thionville, je le savais même pas. J’ai halluciné, depuis on produit ensemble les week-ends, c’est complètement fou. J’ai aussi un saxophoniste Victor Muller et Saint James Jr, un rappeur américain qui vit au Luxembourg. »

« ON M’A DEMANDÉ UN TRACK POUR WIZ KHALIFA »

Ensemble, ils explorent un hip-hop feutré et vibrant. Porté par des textures chaleureuses et vivantes, le projet mêle finesse rythmique et collaborations triées sur le volet. Hokube y tisse des tableaux auditifs, à la fois profonds et enveloppants, où chaque boucle semble chargée de vécu. Bref, c’est de la bombe bébé comme braillait JoeyStarr. Pour terminer la teuf, Hokube a enchaîné le reste de la soirée derrière les platines. Une full hip-hop night avec du groove à revendre et une belle énergie !

DES FEATURINGS AU GABON, UN COURT MÉTRAGE EN FESTIVAL

Sa jolie discographie se compose de trois EP et 4 LP. Tout a commencé en 2013, avec un projet collaboratif depuis Libreville, son cousin beatmaker et Ish Sankara, un rappeur de Miami d’origine burkinabé. « On s’est retrouvés à Libreville, on avait la vingtaine. On a tout fait nous-mêmes. On a même tourné un court métrage de 25 minutes sur l’enregistrement. » Le film tourne dans quelques festivals. Hokube décroche un contact chez Atlantic Records à New York.

« J’AI DÉCOUVERT QU’AU LUXEMBOURG, JE POUVAIS SOSUFFLER »

« J’ai envoyé un mail à une meuf de là-bas pour lui dire de venir à une projection. Elle est venue. Elle a kiffé. Elle nous a signés en management. Je me suis dit, c’est bon, on y est (sourire) ! On m’a demandé un track pour Wiz Khalifa, mais voilà, je savais que j’étais pas le seul à lui envoyer des sons, et forcément, mon beat a pas été retenu. » Alors, la magie s’essouffle vite. « J’étais pas sur place. Mon cousin était au Gabon, moi à Paris. C’est resté un peu en suspens. Le rêve américain, mais uniquement en visioconférence sur Skype, le temps de trois ou quatre calls… Rien, absolument rien de concluant n’a abouti. J’aurais peut-être dû bouger sur place. »

AUJOURD’HUI : LA MUSIQUE AU PETIT MATIN

Hokube jongle entre un job à plein temps et ses beats. « Je bosse la semaine et le week-end, je me lève tôt. Un petit café, j’allume l’ordi, je compose. C’est relax, mais ça marche. » Il sort régulièrement des maxis autoproduits. Son dernier projet : un EP de huit titres, suite d’un premier volume lancé en 2020, pendant une période de chômage salvatrice. « J’avais du temps. Et rien d’autre à faire que de composer du son. »

Son prochain album, prévu pour l’année prochaine, sera plus ambitieux. « Ce sera une vraie suite. Un projet collaboratif, comme Give Love. Get It Back avec plein de guests. » Parmi eux, ses complices habituels : Ish Sankara, AKSL, Saint James Jr et puis le rappeur confirmé, Benjamin Epps, gabonais lui aussi. « Je veux que ça ressemble à ma vie : multiculturel, nomade, sincère et avec toutes mes connexions gabonaises. On est tellement peu nombreux, que c’est cool, si on peut s’entraider (sourire). »

S’il devait choisir un feat rêvé ? « Common de Chicago, pour son super timbre de voix et lyriquement, c’est à chaque fois extrêmement bon. J’ai déjà des instrus qui sont prêtes. Si je le croise, je suis prêt ! ».

Ce portrait est à retrouver dans son intégralité dans le nouveau Bold Magazine #92, à lire en ligne ici!

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