«Je suis plus fragile quand je joue»
Photo : Ricardo Vaz Palma/tol
Moulins à paroles, d’Alan Bennett, est à l’affiche du théâtre ouvert de Luxembourg dès ce jeudi 6 avril et jusqu’à la mi-mai. Sa directrice Véronique Fauconnet, habituée à multiplier les rôles –dont celui de metteure en scène-, retrouve cette fois les planches où elle incarne, en compagnie de Colette Kieffer et Catherine Marques, l’une des trois femmes croquées avec finesse et humour par le dramaturge anglais.
Dans quel état d’esprit êtes-vous à la veille de la première de Moulins à paroles ?
Véronique Fauconnet : C’est horrible ! Moi, je suis plus fragile quand je joue que quand je mets en scène. Et puis, ce sont des monologues donc si tu te casses la gueule, tu te casses la gueule quoi… C’est la peur du trou. C’est stupide ! On a bossé donc il n’y a aucune raison que ça arrive, mais ça fait quand même cinq jours que les nuits sont courtes.
Avez-vous déjà eu un trou de mémoire sur scène ?
Jamais. Ça m’est arrivé trois jours avant la première de Shirley Valentine (ndlr : en 2011), un très beau monologue de femme qui se rend compte qu’elle rate sa vie. Et là, c’était le blanc total (ndlr : elle le répète trois fois). Je ne savais plus rien. Dans «Moulins», les monologues s’entrechoquent, ce n’est pas chacune son tour. Quand t’attends ton tour, comme ça, il faut vraiment se répéter sans cesse la première phrase de son texte, à partir de laquelle tout le reste découle.
Pouvez-vous nous parler de votre personnage ?
J’incarne une femme de vicaire, alcoolique parce qu’elle est transparente, qu’elle n’a pas réussi à donner un sens à sa vie. Une rencontre va alors la révéler à elle-même. Elle va déjà prendre conscience de son alcoolisme. On est amené à se demander si elle a le courage d’envoyer tout péter car clairement, sa vie ne lui convient pas. En fait, ces monologues ne sont pas tant des textes de femmes que des textes humanistes : ils ne parlent pas de ces gens qui sont dans la «win», bien installés dans la société, qui ont les dents longues… On ne leur a pas appris à être comme ça, à se battre, à avoir cette rage de vaincre. C’est touchant car on est tous un peu comme ça.
Avez-vous pris des libertés par rapport au texte d’Alan Bennett ?
Non, quand t’as une merveille de texte comme ça, tu n’y touches pas. C’est tellement admirablement écrit… La seule liberté qu’on a prise, c’est d’entrelacer les monologues. On a aussi coupé un peu, sinon on était parti pour deux heures.
Avez-vous déjà vu Moulins à paroles dans d’autres théâtres, ou l’un de ses sept monologues?
Oui à Avignon au début des années 2000, notamment Une frite dans le sucre. C’était terrible car nous étions cinq dans la salle, mais c’était vraiment magnifique, la mise en scène était d’enfer, les comédiens excellents. L’an dernier, en relisant l’œuvre d’Alan Bennett, je me suis dit qu’il était grand temps de la mettre en scène chez nous.
C’est la troisième fois que vous jouez au TOL sous la coupe de Jérôme Varanfrain, après La Cuisine d’Elvis et La reine de beauté de Leenane. Pourquoi l’avoir choisi cette fois encore pour mettre en scène Moulins à Paroles ?
Parce que je pense qu’il a la sensibilité qu’il faut. Ce texte, c’est de la dentelle. Il faut le travailler avec délicatesse. Jérôme a eu la liberté de choisir trois monologues parmi les sept d’Alan Bennett. Si ça avait été moi, sans doute que j’aurais pris le seul monologue d’homme mais il fallait le laisser sentir les choses. Pour un metteur en scène, c’est hyper important.