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Jethro Bare : Train Fantome

Texte : Loïc Jurion & Carl Neyroud
Image : Jethro Bare

Maître de Cérémonie de la caverneuse cyber série La Flippe dont les saisons 1 & 2 sont accessibles sur YouTube, Jethro Bare, s’extirpe de son funèbre local pour nous confirmer ses talents de MC.

Dans les années 90, officiant sous le pseudonyme Radicakicker, il a participé au manifeste collectif 11’30 contre les lois Racistes ainsi qu’à un grand nombre de featuring avec Assassin. L’homme aux grosses paluches baguées d’or lâche le cigare pour ressaisir le mic’. Ses doigts aussi larges que son barreau de chaise cubain n’entravent en rien la dextérité de sa plume. La puissance de son physique rayonne par le charisme de sa voix. Sur les beats low tempo concoctés par Cluz (aka Remy CLUZEAU troquant ici la casquette de metteur en image de La Flippe pour celle de metteur en son) le MC natif du 18ème arrondissement nous délivre une impression de force tranquille.

Loin de se la jouer vétéran du ghetto mental ou survivant de la rue, du haut de ses presque 5 décades d’une vie sans concession, Jethro Bare revient dans la place 16 ans après son premier EP « Le Feu aux Poudres ».

En guise de teaser, « Tchao Pantin », premier extrait publié il y a quelques semaines nous offrait un alléchant aperçu de l’EP « Train Fantôme » qui sera publié le 11 février 2022. L’ouverture du titre nous propose un son au croisement de la BO de clockers (Spike Lee joint’s) et des Britanniques d’Attica Blues. Loop jazzy bien classy, le groove hypnotique plante immédiatement le décor : Pavés mouillés dans les rues sombres en marge de la ville lumière, il ne manque que la 49.9 passant devant la station-service où les néons inondent de lumière artificielle le pompiste de nuit. Ça sent l’insomnie, la solitude, les effluves du tabac froid, les regrets et les remords.

Le 2ème extrait publié il y a peu nous propose nous plonge dans une « Drôle de Guerre » pour une synthèse hip hop / pop rock (avec un riff / ritournelle très Pixien) nous promettant une production à la hauteur des textes : un son pur, puissant, contenu et cohérent donnant une profondeur cinématographique grâce aux boucles courtes et mélodiques. Les 36 secondes d’« Interlude de Sens » résument parfaitement le High Level de la production qui sera le leitmotiv des 7 titres : une boucle de guitare funcky larmoyante sur 3 notes, un tempo saccadé et épuré, une basse en guise de grosse caisse. Le tout s’accordant parfaitement avec des samples de dialogues issus de L’Exorciste (moments où Lankester Merrin et Damien Karras dépassent le point de non-retour). Parenthèse cinématographique « lourde » de sens faisant aussi écho à « l’Interlude de Cœur » du premier EP de 2006. Cet interlude d’une grande profondeur prouve que spartiate peut rimer avec richesse et profondeur. Les talentueuses « mise en son » sont au diapason d’une voix nue, forte, sans maquillage autotuné, elle-même au service de textes forts, où chaque mot est calibré sans chercher l’alignement des punch-line tapageuses comme nous le démontre « En Mille Morceaux » et « Me Noyer Dedans ».

L’intro de « Fuel » nous laisse penser que nous allons sortir de l’obscurité, au moins le temps d’un titre. Les membranes de la sono vibrent d’un groove façon Giorgio Moroder. Nous avançons vers les sunlights du dancefloor qui nous attirent comme un éphémère nocturne en quête de lumière et de chaleur. Le piège tendu par Jethro et Cluz se referme sur nous avec ces textes limites dépressifs faussement habillés de lumière. Provoquant ainsi un sentiment dichotomique : Le dansant se mariant à l’amertume du spleen pour une séparation réussi et étonnamment agréable du corps et de l’esprit. L’EP se conclut de la plus belle des manières avec le titre éponyme « Train Fantôme ». La clave marque le rythme, les cuivres rayonnent comme un soleil d’hiver, les chœurs deviennent soupirs et les arrangements cordes / basse nous embarquent pour ce dernier voyage. Ici, tout est dans l’équilibre, un funèbre jeu de funambule sur un fil d’ariane où toute chute est mortelle.

Merci Messieurs pour ce bien bel ouvrage prouvant qu’il y a une autre voie que celles des miaulements des productions actuelles.