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Kery James : “Le rap aujourd’hui c’est l’adulation du jeunisme”

Interview : Mathieu Rosan
Photo : Koria

Alors que “Banlieusards”, le premier long-métrage de Leïla Sy et Kery James, cartonne sur Netflix depuis le 10 octobre dernier, Kery James a pris le temps d’échanger avec nous sur ses 30 ans de carrière, son actu’ et sa vision de la scène rap contemporaine. Rencontre avec une légende du rap français. 

J’rap encore ton dernier album, est dans le prolongement de Mouhammad Alix mais on a le sentiment qu’il est encore plus virulent que le précédent. C’était une volonté initiale de ta part ou c’est tout simplement lié à la situation sociétale actuelle ?

Je m’en suis rendu compte après que l’album était assez virulent et sans doute plus engagé. Ce n’était vraiment pas une volonté quand je suis rentré en studio, et effectivement, je pense que c’est en lien avec la situation sociale et les problématiques que l’on peut avoir aujourd’hui.

Dans le titre « J’rap encore » justement, tu t’en prends aux rappeurs d’aujourd’hui. Comment tu expliques qu’ils soient de moins en moins à sortir des textes engagés comme tu peux le faire ?

Ils appliquent tout simplement la loi du marché qui fait que plus on fait simple moins on pousse les gens à réfléchir et indirectement plus on touche de monde. Les rappeurs sont aussi là pour faire des affaires et ils voient bien que ce qui est joué à la radio ce sont les choses les plus légères. Ils ne veulent pas prendre de risque et sont tout à fait conscient de ce qu’ils font. Dans la société de manière générale, on assiste à un nivellement par le bas. Les gens sont de moins en moins cultivés, les textes sont de moins en moins travaillés et les gens n’écoutent de la musique que pour se distraire. C’est assez paradoxal d’ailleurs. On aurait pu penser qu’avec le durcissement de notre société, on aurait pu avoir un éveil des consciences. Pourtant, j’ai le sentiment que plus les choses se durcissent, plus les gens ont envie d’oublier ce qui peut se passer et plus ils sont dans le divertissement. C’est très paradoxal. Les rappeurs l’ont bien compris et je pense qu’ils servent au public ce qu’il pense vouloir entendre.

Dans Blues tu évoques la condition de l’homme noir dans notre société. C’est incroyable de se dire qu’en 2019 on soit encore obligé de faire ce genre de texte pour qu’il y est une prise de conscience…

Oui c’est incroyable. Je pense que c’est de plus en plus d’actualité d’ailleurs. La société s’est grandement radicalisée ces derniers temps. Un discours que peut tenir Eric Zemmour qui aurait été un discours honteux dans les années 80 est aujourd’hui un discours qui a pignon sur rue et qui est même mis en avant par les médias. Il suffit de voir les scores que fait aujourd’hui le Front National. Le racisme est plus présent aujourd’hui qu’il y a 15 ans. Surtout qu’aujourd’hui ce n’est plus honteux d’être raciste, les gens l’assument beaucoup plus. Plus personne ne se cache. C’est pour cela que personnellement je suis très pessimiste concernant l’avenir de la société, que ce soit économiquement ou d’un point de vue sociétal.

Ton premier album Si c’était à refaire est sorti en 2001, il y a bientôt 20 ans et ça fait bientôt 30 ans que tu écris. Qu’est-ce qui a changé depuis tes débuts ?

J’ai malheureusement le sentiment que rien n’a changé. Tous les deux ans je fais une tournée acoustique ou je suis sur scène avec un percussionniste et j’interprète les textes que j’estime être les textes les plus importants de ma carrière. Il y a deux ans j’interprétais le Ghetto français qui est un morceau que j’ai écrit en 1998 et qui a toujours son sens aujourd’hui. Beaucoup des choses que j’ai pu écrire à l’époque sont encore valable malheureusement.

Justement, tu t’es essayé à d’autres formes d’art et notamment le théâtre en 2017 avec l’écriture de la pièce À vif et le cinéma en 2018 avec Banlieusard. Peut-on dire que la musique n’est plus forcément le meilleur moyen pour véhiculer ton message ?

Pour quelqu’un comme moi cela devient très difficile. Le rap aujourd’hui c’est l’adulation du jeunisme. Il faut toujours être un nouveau. Il y a toujours un mec qui en remplace un autre chaque année. Comme on se l’est dit tout à l’heure, il faut avoir un discours le moins construit et sensé possible pour que cela fonctionne, ce qui est très difficile pour moi. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’essaye aussi de changer de média. Au théâtre les gens n’ont aucun problème avec le fait qu’on essaye de les pousser à la réflexion. Les gens viennent d’ailleurs pour cela. Au théâtre l’âge n’est pas quelque chose d’important, au contraire d’ailleurs. Concernant le cinéma c’est un des instruments les plus puissants pour faire changer les mentalités. C’est presque un instrument de propagande.


Retrouvez notre entretien en intégralité dans le numéro 60 de Bold dispo actuellement