Kyoto-sur-Alzette : Alix Van Ripato et Marcin Sobolev résonnent au Bridderhaus
Un large sourire collé au visage aussi avenant que leur retour sur leur récente résidence de deux mois au Bridderhaus d’Esch-sur-Alzette, Alix Van Ripato et Marcin Sobolev font partie de ces artistes qu’on a envie d’écouter. Ça tombe plutôt bien, ils avaient plein de choses à nous confier sur le résultat de celle-ci, sculpture colorée et chantante aux rythmes ambient, véritable high five artistique entre la capitale du sud et Kyoto, à l’autre bout du globe…
On avait déjà pu les croiser, souriants et avenants comme tout, lors d’un passage récent aux Centres d’Art de la Ville de Dudelange ou à un concert bien cool à la Kulturfabrik d’Esch-sur-Alzette, mais c’est lors du vernissage de l’exposition dédiée à Marcin Soboloev à la galerie Reuter Bausch – en duo avec Clément Davout – qu’on a enfin pu faire plus ample connaissance avec lui et sa compagne Alix Van Ripato. Et il était temps ! Pour cause : le duo d’artistes vient de clôturer une résidence bien dense au Bridderhaus – lieu particulièrement dédié à ce genre de format et géré par Christian Mosar et l’équipe de la Konschthal d’Esch. Ils y ont développé une œuvre unique, véritable collision de leurs tropismes artistiques respectifs et qui sera dévoilée le 16 juin prochain… Le tout en association avec Ferroforum, projet associatif créé pendant Esch2022 et qui se donne pour but de préserver et promouvoir le patrimoine culturel, industriel et artisanal ainsi que le savoir-faire autour de la création du fer et de l’acier.
Rencontre au sommet
Si on a pu voir Marcin à Dudelange, ce n’est un hasard complet : il y a déjà exposé à 3 reprises, aux Centres d’Art de la ville, soutenu par une Danielle Igniti très férue de son travail en peinture et sculpture. Bruxellois formé initialement à la menuiserie aux Arts et Métiers de la capitale belge, il a ensuite navigué à travers les disciplines artistiques, inspiré par son quartier populaire et ses héritages polonais et russes, avant de rencontrer l’artiste David Brognon à la Kufa, avec qui il va graffer pendant une paire d’années, et de commencer à se faire connaitre au Grand-Duché… Alix est quant à elle Bretonne, « avec des origines martiniquaises qu’on ne devine pas tout de suite » et a débarqué à Bruxelles en 2010 pour étudier le dessin à La Cambre. Mais une fois le son diplôme en poche, « j’étais plutôt une performeuse et je faisais tout sauf du dessin », nous confie-t-elle. Vidéo, installations, web art, beaucoup de choses sur ordinateur, mais le dessin passe pour un temps clairement à la trappe.
La rencontre des deux aurait pu se faire au sommet du Mont Fuji : dans sa recherche artistique qui s’oriente petit à petit vers la musique électronique, Alix se rend alors à plusieurs reprises au Japon et Marcin y expose avant même que les deux étoiles se percutent en 2020. Ils y retournent ainsi ensemble en octobre dernier, quand monsieur à l’occasion d’exposer à la foire de Kyoto et que madame se fait booker pour un DJ set très dark wave à Tokyo. Les planètes s’alignent, leurs connaissances du pays et leurs affects artistiques aussi. Le terreau est fertile, il n’y plus qu’à. Tous les deux y recueillent un maximum d’images, de sons, de couleurs et de matériel en tout genre pour la résidence qui les attend début 2024 au Bridderhaus, sur invitation de Christian Mosar.
Dessin / Métal / Humain
Il est donc clair que c’est ce voyage nippon et les moult éléments d’inspiration cueillis sur place qui sont la base vive du travail d’Alix et Marcin lors de leur résidence eschoise. La forme finale, qui sera présentée au Bridderhaus le 16 juin prochain, est une sculpture – dont la réalisation a fait appel à un large volet dessin – accompagnée d’une bande-son idoine. S’ils arrivent à Esch-sur-Alzette alors avec plein d’idées, mais pas de trame de travail précise, « tout est devenu assez concret très vite et on a eu la chance de trouver des solutions très rapidement par rapport à ce que l’on voulait faire, mêle si l’idée de départ était finalement assez différente », s’enthousiasme Marcin à ce sujet, en racontant également qu’ils ont pu compter sur la « main d’œuvre » et les savoir-faire locaux pour réaliser le projet de sculpture en métal.
Cette dernière a d’abord été conceptualisée sous forme de petits dessins à la main, puis de maquettes, « pour avoir une idée globale du projet ». Puis le dessin passe en format taille réelle. Pas d’ordinateur, pas d’interprétation littérale et automatisée par une machine, mais la lecture en direct par celle-ci – à savoir une « découpeuse laser » installée au Ferroforum – de ces dessins à l’échelle 1:1 afin de découper les plaques de métal commandées pour l’occasion et former ainsi avec précision les éléments constitutifs de la sculpture. Car oui, celle-ci est composée de six éléments métalliques à dimension humaine, d’une épaisseur de 8mm, chacun représentant un des aspects de la nature rencontrés au Japon comme le soleil, la grotte, l’eau, etc.
Il a fallu ensuite meuler et arrondir les angles de chaque découpe, pour éviter qu’ils n soient tranchants, passer un temps substantiel sur chaque pièce, une opération « délicate et sensuelle, plein de rondeur » s’amuse Alix. Le tout sous le haut parrainage des professionnels locaux et de leurs compétences ad hoc. Une collaboration très vertueuse avec Ferroforum donc, qui permis d’ancrer un caractère fondamentalement artisanal au cœur de l’œuvre et de maintenir de facteur humaine, comme celui de la transmission, à chaque étape du processus créatif – « quelque chose que l’on a vraiment apprécié et qui a été rendu possible par la grande volonté de la Ville d’Esch et du Bridderhaus », concluent les artistes quant à cette réalisation.
Couleurs, sons : l’inspiration autour de soi
Mais quel est donc ce fameux puits d’inspiration ramené par les artistes de Kyoto ? Les couleurs – tout d’abord – qui viendront s’ajouter, dans les semaines à venir, sur l’œuvre sont tout d’abord inspirées des » couleurs japonaises », qui ont un lien avec les éléments et qui auront aussi pour but de faire aborder la sculpture par les visiteurs « comme une structure pour enfants ». Le duo s’est en effet inspiré en partie de parcs de jeux « un peu délavés » du quartier de Nishiōji à Kyoto – où il résidait – dont l’ambiance populaire n’était pas sans rappeler celle des jeunes années de Marcin… Ensuite, des fentes seront créées sur les pièces pour permettre à chacun d’y glisser une petite plaque de bois, préparées à la main et croisement entre les cadenas d’amoureux sur les ponts européens et les papiers des arbres à vœux asiatiques.
Vient enfin la partie sonore de l’œuvre – primordiale. Comme corpus, Alix a utilisé les nombreux enregistrements de bruits ambiants organiques qu’elle a effectués au japon ces dernières années : le chant des oiseaux, le bruissement des feuilles, le passage d’un des nombreux trains qui sillonnent le pays… En résulte une bibliothèque sonore incroyable qui lui « donne envie de faire de la musique ambient à partir de ces samples, ce qui permettra de faire chanter la sculpture. Une sorte de voyage sonore rythmé, un peu initiatique qui fait chanter chaque élément et qui donne du sens à l’inspiration par le voyage ». La bande sonore d’une petite demi-heure sera performée par Alix lors de l’inauguration de l’œuvre, mais perdurera même après le départ des artistes grâce à une déclinaison en morceau numérique mis à disposition en ligne via un QR code, mais aussi en cassette audio – clin d’œil à l’héritage industriel et ouvrier de la région. « On a imaginé les travailleurs qui œuvraient sur ce qui est Ferrorum à présent (une friche Arbed ndlr) avec leur walkman et leur casque audio et ça nous a donné envie de créer aussi ce format ».
Un hommage à la culture locale qui aura accompagné Alix Van Ripato et Marcin Sobolev tout au long de cette résidence donc et qui continue de leur donner le sourire : « On est vraiment contents que tout soit produit de manière locale, comme les éléments de la sculpture, la peinture… On a aussi beaucoup échangé avec les jeunes du coin, à la Kulturfabrik par exemple, qui nous ont avoué bien vouloir un peu de couleur dans le quartier ! Ça nous a encore rappelé Nishiōji en fait, un trait d’union supplémentaire entre Kyoto et Esch »… Le projet final s’inscrira-t-il de manière pérenne dans le paysage des Terres Rouges ? Marcin et Alix ne souhaitent que ça ! Et on a hâte de voir le résultat de cette résidence résolument eschoise le 16 juin prochain…
Ce format est également à retrouver dans le nouveau Bold Magazine #85, à lire en ligne ici!
Un concentré de news culture, de bons plans lifestyle, de reviews et d’exclus en une newsletter BOLD chaque mercredi ? C’est en un clic avec ce lien !