La Concierge : scéno et retour des jeunes curateurs

Transmettre des émotions par le moyen d’une installation artistique est un art en lui-même, celui de la curation. Choisir les oeuvres mises en lumière, retranscrire les messages des artistes, déterminer un lieu idoine, concevoir une scénographie percutante et coordonner le tout de manière efficiente en sont des composantes essentielles, qui occupent Liliana Francisco et Steven Cruz, qui reviennent avec La Concierge – leur plateforme collaborative qui vise à (re)définir la curation, nouvelle génération…
Lui, c’est Steven Cruz, artiste luxembourgeois hyper doué et gagnant de la dernière édition de Generation Art. Elle, c’est Liliana Francisco, d’origine portugaise née et élevée au Luxembourg puis étudiante à Lisbonne où elle commence à développer des projets artistiques avant d’exercer au Grand-Duché un éventail assez varié de métiers créatifs, passant par exemple du service marketing d’une banque de la Place à une enseigne de mode en tant que photographe commerciale et visual manager…


C’est par ce biais que naît en elle un véritable intérêt personnel et professionnel pour la scénographie et ce qu’elle permet de véhiculer. Mais Lisbonne lui manque et les allers-retours se font plus fréquents, ce qui la pousse à s’installer en tant qu’indépendante pour plus de liberté, tant sur le fonds que dans la forme. Ses projets persos sont depuis mix media, conjuguant la photographie, le collage et la peinture, ce qui lui permet de participer à des expositions collectives dans les deux pays et d’avoir son propre solo show dans la capitale portugaise. « En ce moment je travaille beaucoup la peinture, notamment sur les thématiques qui m’obsèdent presque, anodines, absurdes ou bien plus sérieuses », nous confie-t-elle sur sa démarche actuelle.
RENCONTRE SANS FRONTIÈRES
C’est par contre bel et bien à Luxembourg qu’elle rencontre au final Steven. Monsieur da Cruz Goncalves s’y était alors lui aussi exilé temporairement pour effectuer un bachelor en design, avant de poser ses valises à Bruxelles pour y compléter son savoir, notamment dans les domaines de l’architecture et de la scénographie – on commence à voir les chemins se rapprocher… Il y crée notamment son œuvre en carreaux de céramiques faggot, qui remporte un prix au musée MAD Brussels en 2022, avant d’obtenir – comme susmentionné – la première place de Generation Art lors du retour de l’émission sur RTL Luxembourg. On retrouvera d’ailleurs l’œuvre en question en coup de cœur, ainsi qu’un nouveau corpus de travaux, lors de l’exposition YLA – Young Luxembourgish Artists Vol. 3 en 2023.
Mais revenons-en à la rencontre, qui se passe d’abord via les réseaux sociaux, « quand j’ai vu que nous avions pas mal de potes en commun de Lisbonne, à un moment où je connaissais peu de monde au Luxembourg : elle y était comme un petit bout nostalgique de cette ville que j’adorais », nous explique Steven. Rencontre IRL, génératrice de lien amical et durable, mais aussi et surtout beaucoup de discussions autour de la scénographie artistique et d’une envie réelle de projet commun à monter.




Arrivent assez vite les bases de leur plateforme associative La Concierge et un premier événement, à l’espace H2O de Differdange – une exposition collective qui leur permet de réaliser deux choses : un besoin de professionnalisation et la différenciation nette entre leur propre travail artistique et cette mission curative de leur nouvelle entité, alors encore « au stade embryonnaire » …
LE TEMPS DE L’EXACTITUDE – ET LE PRENDRE
Suite à cette première expérience formatrice, qui leur a aussi permis de « teaser » leur futur positionnement sur la scène créative luxembourgeoise, arrive une période de concertation et de travail commun pour affiner et consolider les grandes lignes de La Concierge. De ce fait, pas trop de nouvelles en 2024 – La Concierge existe-t-elle encore, se demande-t-on alors ! « Tout à fait, il était juste nécessaire de prendre le temps de définir ce qu’on souhaite proposer en matière d’expositions, collectives ou solo, et de combiner nos connaissances académiques complémentaires et notre savoir-faire respectif pour arriver à une idée identitaire et reconnaissable », précise Liliana à ce sujet.
« TRAVAILLER LA SCÉNOGRAPHIE NOUS PERMET DE STIMULER UNE EXPOSITION EN LA FAISANT SORTIR DE SES CARCANS CONVENTIONNELS »
Cette idée, nous l’aurons compris, orbite donc autour de la curation et de la scénographie, dans l’objectif de stimuler et de « booster » une expo en l’arrachant gentiment à ses carcans conventionnels – mur blanc, alaises Blaise, minimalisme quand tu nous tiens, etc. Avec, pour point de départ, le Luxembourg, « avec quelques projets pour continuer à évoluer et à nous faire connaître », mais aussi pour créer une communauté autour de la plateforme, qui se veut collaborative. « J’aimerais beaucoup enchaîner, quand il sera temps, avec Bruxelles et, bien sûr, Lisbonne qui reste un point d’attache et d’attrait commun », assure Steven.
Et qu’en est-il des interactions avec celles et ceux qui existent déjà ici – le microcosme culturel luxembourgeois hébergeant déjà quelques jeunes curatrices et curateurs reconnus, comme Stilbé Schroeder et Vincent Crapon, qui avaient cofondé Podium en 2019, ou encore Lou Phillips avec YLA ? « Ce sont des gens qu’on connaît, mais avec qui nous n’avons pas encore eu l’occasion de travailler ou de réfléchir, mais les nouvelles rencontres devraient se faire de manière organique, on en est certains. Car des institutions nous ont de plus contactés pour collaborer dans les mois à venir, ce qui devrait nous permettre de vite pouvoir échanger ».
LE RETOUR EN FIN D’ANNÉE
L’avenir proche de La Concierge ? Il arrive en novembre et décembre prochains, avec une nouvelle exposition collective au CAW de Walferdange, espace culturel dédié à la créativité et aux échanges entre générations, dans une ville que l’on associe plus volontiers au rugby qu’à la jeune curation. Elle mettra en scène un panel plus restreint d’artistes et sera la « démo » finalisée de ce que la plateforme de Liliana et Steven peut proposer d’unique, de valeur ajoutée à une installation artistique ; et sera aussi dotée pour l’occasion d’une résidence d’artistes. Le thème ? CTRL : « Cela aura pour fil rouge de montrer notre dépendance à la technologie, aux smartphones et à la désensibilisation qui découle de cette masse énorme d’informations qui nous parvient en permanence », explique Steven.
Des choses qui devraient nous traumatiser, mais qui nous laissent de marbre par leur abondance. L’impact de la digitalisation sur l’inconscient aussi, sur ce dont on ne se rend pas compte immédiatement, ce sur quoi nous portons vraiment notre attention. Le tout via un appel à candidatures auprès des artistes, établis ou non – avec un panachage des deux, idéalement. En matière de scénographie enfin, le nerf de la guerre, c’est justement la résidence qui précédera l’exposition finale qui permettra aux deux curateurs de créer sa forme, au contact et en adéquation avec ce que les artistes produiront eux-mêmes à Walferdange.

En parallèle, le duo a été choisi par les musées de la ville de Luxembourg en tant que commissaires pour le pôle luxembourgeois du Prix d’Art Robert Schuman, vitrine artistique transfrontalière offerte à la création de l’espace QuattroPole (Luxembourg, Metz, Sarrebruck et Trèves) et dont l’exposition consécutive aura, elle aussi, lieu en novembre prochain. Grâce à ces nouvelles opportunités, La Concierge souhaite également participer à la redéfinition des conditions de travail et de collaboration des artistes et des curateurs, dans une approche « tout travail mérite salaire juste » chère aux deux amis. Liliana précise : « Il est important pour nous que ces projets rémunèrent les artistes, mais aussi le travail que nous apportons, que tout soit pris en compte dans le budget correspondant ».
« ON A ASSEZ JOUÉ LE JEU ET ON A ASSEZ TRAVAILLÉ GRATUITEMENT PAR LE PASSÉ, CE N’EST PLUS POSSIBLE AUJOURD’HUI »
Plus de travail gratuit, c’est aussi le credo de Steven : « Je pense qu’on a assez joué le jeu et qu’on a assez travaillé gratuitement par le passé, ce n’est plus possible aujourd’hui. La Concierge aura à coeur de rémunérer toute personne qui travaillera sur un de ses projets ». Une certaine « professionnalisation », que ces deux partenaires créatifs souhaitent mettre en place grâce à une expérience et des compétences communes, mais aussi via un processus d’accompagnement des artistes par l’association La Concierge, en vue de l’obtention éventuelle de bourses ou autres subventions ou pour un suivi vertueux suite à un projet, par exemple. Du partage, de la transmission d’informations, de la transparence et de l’entraide – conciliables avec l’art local ? La Concierge en serait bien capable, une fois son retour acté…
Ce portrait est à retrouver dans son intégralité dans le nouveau Bold Magazine #91, à lire en ligne ici !
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