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La Magie Fakear

Texte Kim Wald

Théo le Vigoureux a un nom qui lui va à merveille. Mais c’est Fakear qu’il a choisi comme clin d’œil à sa musique électronique aérienne et exotique, jugée trop souvent fausse et pour le fakir, ce magicien d’un autre monde. Aujourd’hui, le musicien français, dénommé prince de l’électro, n’a plus rien à prouver. Généreux autant sur scène, où son instrument favori, le MPC, est incliné vers le public transi, qu’en entretien, où il nous propose même de prolonger l’interview, Fakear est devenu notre nouveau pote. Un jeune homme de 24 ans, grand et mince, avec un pull May the force be with you aux manches trop longues, nous accorde une rencontre dans sa loge entre canettes de sodas et chips. Informel et ultra sympathique, il parle plus vite que son ombre et rit avec nous, car Théo n’a absolument pas la grosse tête, qu’il a bien sur les épaules ! Finalement, on discute beaucoup et il nous partage tout ça, car composer de la musique, comme il le dit si bien, il aime ça, tout simplement. Et nous aussi, pour le coup, on aime ça.

La Magie Fakear

C’est la première fois que tu joues au Luxembourg, as-tu eu le temps de te reposer, de voir un peu le pays ? 

Pas du tout ! Ce matin on était à Nancy, on est venus cet après-midi à Luxembourg et moi je repars demain à 6 heures à Genève… en train !

Tu sais qu’il y a un avion Luxembourg-Genève ?

Oh oui sûrement… mais la prod’ préfère le train, tu vois, ça nous fait voir du paysage… pendant huit heures.

Et tes prochaines destinations ?

Ce soir, c’est la dernière date de la saison pour notre tournée puis on reprendra l’année prochaine. Maintenant on prend trois, quatre mois de pause ! Vu que je compose aussi sur la route, ça fait deux ans que je ne me suis pas accordé de véritable repos. Maintenant je veux faire autre chose que de la musique… de la cuisine, de la rando’, des trucs un peu normaux, vivre en fait !

Alors ce soir, c’est un peu la fête pour toi, puisque c’est ta dernière date ?

En fait, non. On serait en France, dans une petite salle où les gens ne sont venus que pour toi, ce serait différent. J’ai fait des festoches un peu à droite à gauche pendant les festivals et les gens connaissent mes morceaux, ils adhèrent au délire… A Luxembourg, c’est un peu la croisée des chemins, il y a autant de francophones que d’étrangers donc du coup ce n’est pas une date acquise d’avance. On doit se mettre en posture de recherche de certaines personnes, alors ce n’est pas la si grande fiesta que ça, mais ça me plait aussi ! L’ambiance reste toujours bon enfant, que ce soit dans le groupe ou avec le public.

Avec ton groupe justement, quelle est l’ambiance, vous mettez en place des rituels ou des traditions ?

Plus on stresse, plus c’est bon enfant ! Pour le coup, on a surtout des rituels avant de monter sur scène… On blague tout le temps, on partage le même délire, ça fait tellement longtemps qu’on se connait, c’est devenu comme une famille. Et on a notre cri de guerre, mais ça reste secret !

Après deux ans sur la route, qu’est-ce que tu retiens le plus de cette vie d’artiste ?

Maintenant, ça me fatigue vachement. J’ai l’impression d’avoir vécu quinze ans de ma vie en deux ans ! Mais il y a du positif et du négatif. D’abord c’est génial car on bouge tout le temps, on découvre plein de nouveaux lieux, de nouveaux gens, à chaque fois on a un autre public, d’autres rencontres et c’est comme ça qu’on se fait connaître… Ça te donne un certain sentiment de puissance, celle que tu reçois des gens qui viennent te voir, c’est excellent pour l’ego ! Mais le négatif c’est que tu dors jamais au même endroit, t’es jamais chez toi, tu t’éloignes beaucoup de tes proches, de ta famille, de ta copine… Tu es obligé de mettre tout ton entourage à distance pour un temps et c’est très dur de leur faire partager ce que tu vis parce que tu bouges sans arrêt. Et puis c’est tellement étrange, tellement unique le mode de fonctionnement dans lequel tu te mets pour pouvoir performer sur scène, que ce n’est même pas possible de l’exprimer à ceux qui n’étaient pas là. Et après quand tu reviens à ta vie normale, c’est un peu la chute, une sensation de retomber de toutes ces émotions intenses, de tout ce spectacle, c’est très bizarre. Mais moi, je dois dire que j’ai beaucoup de chance car j’aime autant ma vie personnelle que professionnelle !

Dans ce que tu me dis, il y a clairement une différence entre qui tu es chez toi et qui tu es sur scène…

Oui, tout à fait ! Pour moi, la musique c’est un taf, il y a Théo l’artiste qui compose et Fakear qui joue sur scène, les deux sont toujours très proches mais je ne les confonds pas. Encore la semaine dernière par exemple, je vendais du merchandising et il y a un gars qui vient et me demande quel est mon vrai prénom, et moi je lui réponds : « Fakear ! », il m’a dit : « Arrête, tu joues pas le jeu ! », il était un peu vexé, mais moi j’étais simplement en train de bosser. Ça me permet de faire la part des choses, je ne vais pas révéler ma vie privée comme ça, en un claquement de doigt ! Je me mets comme un mur autour de moi, mais c’est indispensable pour mon équilibre.

Mais quand tu es artiste, il y a forcément quelque chose de personnel qui transparaît dans tes œuvres, car c’est une question d’expression… Parle-nous de ton dernier clip Animal par exemple !

Pour ce clip, ça c’est vraiment fait d’un commun accord avec le réalisateur, il est venu avec les idées et moi je les acceptais. On aimait bien l’image du jeune garçon avec l’inscription Animal sur sa veste qui est fan de ballons et de montgolfières, qui vit dans son monde… c’est très poétique et hyper classe! Animal, c’est un peu comme le titre de mon EP Sauvage, ça rappelle l’instinct, le rapport très primaire à la musique, aux sons, ce qui fait danser, qui fait bouger le corps sans qu’on sache vraiment pourquoi.

Ton premier album Animal, sortira donc en mars 2016 ?

Je viens d’apprendre ce matin qu’il sortira le 8 avril… Moi j’avais posé mes vacances de Pâques et tout s’est réorganisé autour de ça. C’est un truc que j’ai instauré cette année, mes vacances c’est sacré, on n’y touche pas et les autres se débrouillent ! Avant j’étais là : « Trop bien ! On fait des dates et des tournées », c’était ça qui primait dans ma vie et qui a mis ma vie privée en l’air. Donc, c’est après mes vacances en avril, que toute la promo débutera et puis une tournée. C’est rigolo, tout le monde s’articule autour de ça et de mes petits caprices !

Dans ta musique, tu t’inspires beaucoup des sons asiatiques, tu as beaucoup voyagé en Asie ?

Pas beaucoup, j’ai surtout voyagé en Europe. J’utilise à la fois des sonorités asiatiques et africaines pour leur beauté, leur exotisme, mais c’est vrai que c’est peut-être la manière dont je les agence qui fait que ça ressort un peu plus comme en Asie… En tout cas, ça rappelle un ailleurs un peu magique qui invite au voyage.

Est-ce que tu accordes beaucoup d’importance aux critiques et à l’avis du public ?

Plus maintenant. Il y a deux ans, je passais du temps sur youtube à lire les commentaires et à me sentir directement concerné, maintenant je relativise beaucoup plus. Aujourd’hui, je les lis toujours et les critiques négatives me remettent en question mais ça ne va plus me toucher autant. Entre temps, les gens ont compris mon projet général, donc dans n’importe quelle direction que j’aille et du moment que moi je ne me perds pas dans le truc, ils sont ouverts à ma musique… C’est seulement si mes proches interviennent et qu’ils me disent que je me suis trop éloigné de moi-même, que là je vais changer. De toute façon, il y a tellement de filtres entre le moment où je compose un morceau et où il sera joué sur scène ou présenté au public… par exemple, Animal, je l’ai composé en mars dernier ! Il y a les filtres immenses de mes proches, des pros et moi-même aussi… je suis mon plus sévère juge. En fait, il y a Théo qui compose et Fakear, le tyrannique, qui dit : ça ouais, ça non, ça non plus ! C’est un peu de la schizophrénie quoi !

La musique électronique, ça t’es venu comment ?

En fait, c’était pas une évidence du tout. J’étais d’abord en groupe, et je me suis un peu lassé de cette manière de faire… J’avais envie d’exprimer autre chose et de faire des compositions en solo. Je me suis lancé dans la musique électronique parce que c’est la seule qui permet de tout exprimer… Pour le futur, après on verra, on m’a déjà proposé d’avoir un orchestre sous mes ordres mais je ne suis pas un leader dans l’âme. J’aime pas du tout me positionner en chef et dire aux gens ce qu’ils doivent faire… Un ordinateur c’est beaucoup plus facile à commander ! Pour l’instant, la musique électronique me convient très bien, je suis un peu dans ma bulle autistique.

Justement… Est-ce que composer ta musique te suffit, ou il y a un réel besoin d’aller sur scène, de rencontrer le public ?

C’est drôle que tu me demandes ça car jusqu’à ‘y a pas longtemps, je composais un peu pour le public. Mais depuis cet été, je compose surtout pour moi. Le live c’est carrément autre chose … Il y a une dimension supplémentaire de spectacle, ça va même au-delà de la musique. Représenter un morceau devant les gens, j’en étais maboul avant… Une semaine après avoir composé un morceau, j’étais obligé de le jouer sur scène, il fallait que je le teste. Maintenant, ça m’est passé, je le laisse écouter à mes proches et après je l’adapte pour le live. Avant, les morceaux m’appartenaient car j’étais seul maître à bord, maintenant il y a le groupe, les techniciens etc… il ne m’appartient plus du tout dès que je le partage. A chaque fois qu’on joue un morceau, vu qu’on est plein de musiciens, je vais le redécouvrir aussi sur scène et c’est toujours un enrichissement différent.

Que peut-on encore te souhaiter pour l’avenir ?

L’album, c’est quand même un gros morceau. J’espère qu’il sera bien reçu et surtout compris par le public… Que ce que j’ai voulu exprimer soit juste et que moi je sois satisfait du résultat, même s’il n’est pas forcément apprécié par les autres, j’ai besoin que l’album soit l’aboutissement de ce que j’ai voulu faire, pas qu’il y ait comme un sentiment d’inachevé, que j’aie vraiment mis toutes mes tripes dedans et que je ne regrette rien. Pas que six mois après l’album je me dise : merde j’aurais dû faire ça ou ça… Mais là, si j’ai autre chose à dire, je composerai un autre album… je suis déjà dessus d’ailleurs !