La Review : le conte écolo pas si facile de Ian de Toffoli aux Capucins
Pour sa rentrée, le Théâtre des Capucins propose depuis ce mardi 10 octobre une création surprenante, adaptée d’un texte de l’auteur luxembourgeois Ian De Toffoli par Renelde Pierlot. Léa et la théorie des systèmes complexes est un conte écologiste exubérant, parfois déroutant, ni facile, ni pour tous. Mais c’est aussi et surtout une vraie performance de théâtre qui sait piquer là où ça fait mal, même entre deux éclats de rire…
Présentée pour sa première ce mardi soir au Théâtre des Capucins, Léa et la théorie des systèmes complexes s’inscrit dans la continuité des pièces politiques et documentées de l’auteur et artiste associé aux Théâtres de la Ville de Luxembourg, Ian De Toffoli. On nous promettait un « conte écologiste et poétique exubérant en 18 chapitres, mêlant saga épique, théâtre narratif et documentaire » : on n’a pas été déçus ! Car en effet, ce sont bien 18 chapitres répartis sur une double trame narrative, qui telle une tenaille resserre l’intrigue finale jusqu’au dernier moment, qui se succèdent pendant les deux bonnes heures de spectacle entrecoupées d’un entracte.
La première est la description (très) détaillée de la genèse et de l’histoire de la saga ferroviaire et pétrolière néerlando-américaine qui fera naître la « Kochtopus », véritable Kraken capitaliste aux tentacules aussi longs que fourbes et qui œuvre en secret, depuis plus d’un siècle et son siège de Wichita au Kansas, à combattre la prise de conscience climatique mondiale afin de toujours faire fructifier les milliards de pétrodollars qu’elle engendre au quotidien. Le tout sur fond – véridique – de sitcom familial aux multiples rebonds dramatiques… L’autre, c’est l’histoire de Léa, jeune Luxembourgeoise à l’empathie écologique aussi forte que le confort dans lequel elle est élevée, un paradoxe qui ne cessera d’intensifier sa radicalisation militante et ultimement…explosive !
18, c’est quand même beaucoup. Mais…
Dans une scénographie très réussie de Philippe Ordinaire, qui plonge immédiatement le spectateur dans les méandres industriels et mentaux qui composent la pièce, la mise en scène de Renelde Pierlot impose un rythme haletant, notamment dans l’ambiance faussement enlevée, faisait appel de manière ironique au théâtre musical et à l’humour « badaboum », de la trame Koch. Ce qui n’empêche pas le fait qu’il faut franchement rester alerte, tant la leçon d’histoire est dense dans le texte. Trop ? Peut-être parfois. On a par exemple parfois du mal à se rappeler quel Koch est Koch, tant ces parangons de masculinité toxique et de capitalisme darwinien se ressemblent de père en fils.
Mais entre deux boutades et effets de manches, les piques cinglent là où il faut si on sait les discerner : le cumul des mandats, le flou presse/propagande, l’exploitation sociale, l’évasion fiscale… D’hier et d’aujourd’hui, de là-bas et d’ici. Puisqu’inexorablement, les pratiques douteuses texanes de 1900 semblent n’avoir aucunement été jamais mises en danger jusqu’à ce jour, à la Cloche d’Or de Luxembourg, ou Koch Industries occupe quelques bureaux…
Du côté de Léa, dont le monde apparaît par le truchement de vestes de jogging vintage enfilées par les comédiens et inversement lors des passages entre les deux trames, c’est plus poussif. Le début de son récit est certes poétique, mais manque de pep’s, et on est ravis d’enfin en prendre pour son grade après quelque temps, jusqu’à un final pétaradant.
Une vraie performance, un vrai message
Le message de fond passe bien donc. Peut-être pas auprès de n’importe quel public : le texte comme le traitement scénique peuvent probablement dérouter. La pièce est en tout cas montée en collaboration avec l’organisation Greenpeace Luxembourg, présente avec un stand et du personnel dans le hall du théâtre et qui déclare : « Ces deux récits parallèles démontrent, de manière poignante et documentée, les rouages complexes de notre société thermo-industrielle, où tout est lié, et pourquoi il est si difficile d’enrayer la crise écologique. Nous avons la conviction que cette pièce contribuera à éveiller les consciences et susciter le débat sur la nécessaire transition de notre modèle économique et énergétique, qui est au cœur de notre action. »
Mais s’il est aussi une raison flagrante de voir Léa et la théorie des systèmes complexes, c’est sans doute la performance remarquable du casting international choisi pour cette création. Il y’a bien sûr un Luc Schiltz bien rôdé et un Pitt Simon parfait pour la succession de rôles bigger than life qu’il endosse, mais c’est aussi et surtout la fraicheur et la justesse des jeunes comédiennes Léna Dalem Ikeda, Jil Devresse et Nancy Nkusi qui donnent une profondeur supplémentaire à la représentation. Un relief complété avec brio par la moins jeune, mais très fringante Flamande, Chris Thys et le désopilant Rémy Bricka du lot, Fred Hormain. Quelques ajustements de volume ci et là ne seraient pas superflus, mais c’est vraiment pour chercher la petite bête ! En fallait-il de la maitrise pour incarner tant le documentaire que la farce, la fiction, la poésie et le grave tout au long de ce texte et de cette mise en scène dans lesquels il y’a beaucoup à dire, à blêmir et à retenir…
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