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La triade de la scène cocktail passe aux aveux !

Par Fabien Rodrigues / Photos : Jeff Poitiers / Artwork (background) : Xavier Karger

Ils se sont tous les trois illustrés cette année dans différentes compétitions et autres awards locaux et internationaux et ont bien l’intention de continuer à imposer leur savoir-faire en matière de cocktails sur la scène luxembourgeoise dans les années à venir. En cette fin d’année qui s’annonce festive, l’occasion était parfaite pour rassembler Raphaël Betti, Florian Pawlik et Lucas Ayrton Mongénie, afin qu’ils nous racontent leurs envies, leurs projets et les tendances à venir de ce secteur toujours plus séduisant, le tout au sein de l’exposition Young Luxembourgish Artists… Car un excellent cocktail qui a une histoire, n’est-ce pas aussi un peu de l’art ?

La scène food mondiale a plus que jamais le vent en poupe. La pandémie et les heures passées à regarder des recettes de chefs plus alléchantes les unes que les autres ont propulsé ces derniers au rang de célébrités et la communauté des foodies – qu’ils ou elles soient avertis ou amateurs – ne cesse d’enfler partout sur le globe. On s’y intéresse aux assiettes bien sûr, mais aussi à ce qui les accompagne dans le verre – du vin bien souvent, mais aussi de plus en plus de cocktails, qui sortent de leur carcan pour devenir gastronomiques, voire un mouvement à part entière aux enjeux économiques indéniables. Les établissements spécialisés se distinguent et deviennent de vraies destinations, au même titre que les restaurants étoilés ou très toqués…

Derrière les bars et comptoirs de ceux-ci, des professionnels passionnés, compétitifs et créatifs qui maitrisent les saveurs et les techniques nécessaires pour faire briller leurs créations signatures. Au Luxembourg, en 2023, trois d’entre eux ont particulièrement réussi à se démarquer du lot : Lucas Ayrton Mongenie, qui officie au Bar Le 18 de l’Hôtel Le Place d’Armes, a remporté le titre de « Best Barman » aux Luxembourg Nightlife Awards ; Raphaël Betti est quant à lui reparti avec le prix de « Bar de l’Année » pour son BAC Luxembourg lors de la dernière cérémonie Gault&Millau Luxembourg ; enfin, Florian Pawlik d’Um Plateau a remporté l’étape régionale BeLux d’une des dernières grandes compétitions internationales, la World Class, pilotée par le géant Diageo, avant de se hisser dans le top mondial à São Paulo en septembre dernier.

Il était donc très tentant de les rassembler et d’échanger avec eux autour de la culture cocktail d’aujourd’hui et de demain… Et étant donné que, comme le disait Oscar Wilde, « le meilleur moyen de résister à la tentation, c’est d’y céder », on n’a pas attendu bien longtemps pour leur donner rendez-vous dans l’ancien garage Kontz, lieu d’accueil cette année de l’exposition Young Luxembourgish Artists, organisée et curatée par Lou Phillips, le tout sous l’objectif expert de Jeff Poitiers. Un environnement bourré d’art, terrain propice à la confidence pour ces trois grands créatifs du shaker…

Le cocktail, une véritable philosophie

Parmi ces trois joyeux confrères, Ayrton est probablement le plus conceptuel de tous, avec une approche holistique, voire philosophique, de son métier. Pourtant, il a fait bien d’autres choses avant d’atterrir derrière le bar très chic du Bar Le 18, sur la place d’Armes de Luxembourg. De la publicité, tout d’abord, à un très jeune âge : ce n’est plus vraiment un secret, oui, le jeune homme était l’adorable garçon qui scandait « Tu pousses le bouchon un peu trop loin, Maurice ! » dans le célèbre spot Choco Sui’s des années 90… Coup de vieux immédiat, de rien. Né en région parisienne, il effectue son cursus secondaire au Luxembourg, à Vauban plus exactement, avant d’étudier l’histoire de l’art et la philosophie dans la capitale française. Il enchaîne les métiers et trouve un premier appel, celui du jardinage, qui l’amène dans le nord du Grand-Duché, à l’Hôtel Lamy, pendant trois années qu’il dédie à la création d’un potager et à la réorientation du pub grâce à des cocktails végétaux.

Alors qu’il est tenté de changer à nouveau de voie – on l’entend parler d’orgue d’église, mais n’allons pas creuser de ce côté-là – il est contacté par le Place d’Armes et participe à la World Class 2022, où il arrive en finale régionale face à…Raphael Betti ! Les pièces du puzzle s’emboitent peu à peu. Une grosse année plus tard, il s’attèle à repenser le concept du 18, notamment autour des peintres… Lui qui avait été séduit par le nouveau concept du Ritz Bar en 2022, entièrement articulé autour des signes du zodiaque, il passe donc à la vitesse supérieure en matière de conceptualisation. « Je pense qu’on arrive dans une époque où le bartender devient un atout et une force de décision dans son établissement, ainsi que sur les scènes nocturnes et gastronomiques. Avec ce concept, j’entends retranscrire l’art et sa place dans l’espace qui m’est dédié dans chaque cocktail, chacun étant lié à une œuvre présente sur nos murs… Si je prends le Soleil de Van Gogh par exemple, je me pose la question de ce qu’il aurait aimé boire en le peignant, quelle intensité il aurait appréciée pour correspondre à celle de l’astre sur sa peinture… Le soleil faisait-il des bulles dans sa tête ? Il y aura aussi du Picasso, du Rembrandt, du Monet et du Botticelli… », nous confie Ayrton.

Mais sera aussi présent à la carte un peintre contemporain, véritable coup de cœur de notre interlocuteur : David Popa, qui « peint directement sur la nature de manière éphémère grâce à du charbon de bois », à même la roche et la glace islandaise par exemple, pour des œuvres magistrales et pleines d’engagements, qui se retrouveront de manière tout aussi fugace sur un cocktail de type sour à base, entre autres, de verjus luxembourgeois et évolutif sur 12 mois.  « L’occasion de travailler des choses un peu plus inhabituelles ! », pour laquelle un verre spécial en céramique est réalisé ad hoc avec un céramiste alsacien, et dans lequel le charbon sera remplacé pour du sel de sésame noir… Parmi ses projets et dans une continuité évidente, Ayrton aimerait aussi beaucoup se rapprocher des institutions culturelles locales, afin de « leur proposer un cocktail carte blanche qui correspondrait à leur image et qui serait un élément identitaire supplémentaire de leur ligne créative ». Il n’en oublie pas pour autant Natural Drinkers, entité qu’il a créée avec Raphael et dont le but est de promouvoir au maximum l’utilisation de produits et de procédés naturels dans la création de cocktails…

Devenir une marque locale

Car, de l’autre côté du spectre cocktail – en termes d’établissement – on retrouve son pote « Raph » Betti, cofondateur avec Lisa Metz Steffen et boss du très chouette BAC Luxembourgqu’on vous présentait d’ailleurs dans Bold#80. Un mélange astucieux de ce qui se faisait de bien au siècle passé et de ce dont on a envie pour le futur, avec un vrai focus sur l’expérience client qui a su convaincre le guide Gault&Millau Luxembourg puisque celui-ci lui a remis en octobre le prix de « Bar de l’Année 2024 ». Une grosse et bonne surprise pour Raph, qui ne boude pas son plaisir : « je suis vraiment content qu’une institution comme Gault&Millau reconnaisse notre travail et estime que c’est une des meilleures choses qui se fait au Grand-Duché. On a une approche de dive bar, dans une ambiance de quartier très décontractée, mais il y a aussi beaucoup de travail derrière et le fait qu’il soit reconnu est vraiment grisant ».

« Betti », comme bon nombre de clients et d’amis l’appellent, s’est frotté à la culture-bar en arrondissant ses fins de mois alors qu’il effectuait un master en communication. Il tente l’aventure instituteur, mais la pandémie lui fait tout repenser, notamment au fait que ce bar lui manque. Il atterrit au Paname où son goût pour la compétition se développe, au point de monter sur la plus haute marche BeLux de la fameuse World Class 2022 lors de laquelle il affronte…Ayrton ! Il quitte l’établissement début 2023 pour ouvrir BAC Luxembourg, dans le quartier du Pfaffenthal, où il n’utilise que des produits luxembourgeois pour ses créations. En quelques mois, ce fan de Remy Savage et de collaboration devient incontournable de tout ce qui se fait de plus branché : les événements du collectif Moonshine, une soirée électro organisée au Château de Vianden, un brunch céréales chez Florence, quartier Gare, ou encore l’animation du bar à cocktails lors du vernissage de l’exposition YLA où il prend la pose pour cette interview. Raph Betti n’est pas qu’un professionnel, c’est aussi la promesse d’un lifestyle qui a du sens et du sass : « J’aime beaucoup l’idée de brand, que BAC Luxembourg devienne une entité déclinable et collaborative, qu’on puisse s’amuser et réfléchir ensemble pour faire des choses nouvelles, créatives et responsables. Cela a commencé avec Natural Drinkers, cela continue avec mon univers et cela me plait ! C’est aussi comme ça que je vois l’avenir pour notre métier… »

Se mettre au niveau

Probablement plus taiseux que ses deux comparses, mais indubitablement reconnu pour son savoir-faire depuis quelques années déjà, en tant que chef barman chez Um Plateau – celui du plateau Altmünster puis, plus récemment, celui du nouveau G.A.N.G qu’il a aidé à développer à Strassen, Florian Pawlik est une véritable bête de concours originaire de Draguignan. Formé au lycée hôtelier Mondon à Metz, mais également détenteur d’un BTS en marketing, le grand gaillard sait allier saveurs pointues et esthétique qui fait mouche comme peu d’autres au Luxembourg.

Pour lui qui est passé par des adresses très prestigieuses, comme la Chèvre d’Or à Èze ou le Royal-Riviera à Saint-Jean-Cap-Ferrat, « la relation au client reste une valeur cardinale de notre métier et doit le rester. Les gens voient beaucoup de choses et une attention particulière portée à leurs désirs est toujours bien perçue. C’est d’ailleurs ce que nous faisons au nouveau bar Um Plateau, en proposant un cocktail spécialisé après avoir posé simplement trois questions au client. » Mais ce n’est pas tout : il ne faut pas oublier les techniques et les tendances qui marchent à l’étranger et qui tardent toujours un peu à arriver au Grand-Duché. Une conscience de l’ailleurs qu’il a probablement développée lors d’un séjour de huit mois en Australie, aux côtés du chef Clovis Degrave. « Vu que la tendance est aux classiques with a twist, il faut savoir mettre en avant de nouvelles choses pour rester au niveau. La carbonation revient en force par exemple, avec des mousses, de l’air, des bulles… Tout comme le durable, en récupérant par exemple des produits non utilisés en cuisine et avec lesquels il est possible de faire des préparations maison pour les cocktails et ainsi favoriser le zéro déchet. »

Le végétal, avec ses spiritueux emblématiques comme la Chartreuse, est lui aussi une des grandes tendances de 2024 selon Florian. Quant aux problèmes d’approvisionnements éventuels, notamment pour ces produits très demandés et rares, « nous avons la chance de travailler avec des partenaires solides et influents, comme Caves Wengler, ce qui permet de ne pas trop s’inquiéter par rapport à cela », nous confie le champion local.

Et la suite ?

La suite, pour Florian, est amicale, puisqu’il souhaite dès que possible aller rendre visite à son pote chef Wilfried Romain, participant de la saison 13 de Top Chef France et qui vient de reprendre Louis Vins à Paris. Du côté d’Ayrton et de Betti, ça chauffe un peu plus dans le coin avec l’organisation du premier concours de cocktails organisé via leur entité Natural Drinkers, selon une approche « by bartenders, for bartenders » ce lundi 18 décembre.

La suite, elle est aussi peut-être avec moins d’alcool et plus de mocktails, comme en atteste Ayrton Mongenie : « Les mocktails sont aussi clairement un aspect que nous allons travailler de plus en plus. Tout comme les cocktails avec moins d’alcool, qui arriveraient par exemple au niveau d’un verre de vin, et qui seraient synonymes d’une manière différente de les consommer, plus gastronomique… L’absence d’alcool n’empêche pas d’être ivre, on l’est simplement d’une autre manière ! » Une chose est certaine selon l’ancien étudiant en philo : l’absence des grands mentors au Luxembourg a poussé les professionnels à redoubler d’efforts en matière de saveurs et à proposer des créations de très haut vol pour atteindre leur clientèle comme il se doit. Et l’un des moyens pour continuer à le faire serait, selon lui, de se rapprocher des chefs étoilés du coin, par exemple. « J’ai envie d’aller voir chaque chef, d’échanger et de proposer à chacun un apéritif et un digestif sous forme de cocktail ! », conclut Ayrton. L’appel est lancé !

Ce format est également à retrouver dans le Bold Magazine #83, à lire en ligne ici!

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