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Le cadavre exquis de Désirée Wickler à découvrir à Neimënster

Texte : Sarah Braun

Entre l’Abbaye de Neimënster et Désirée Wickler, c’est une longue histoire. Des valeurs communes ont ainsi donné naissance à trois expositions entre la jeune artiste luxembourgeoise et l’institution, dont la toute dernière « Laisser danser les morts » qui ouvre ses portes au public ce vendredi 20 septembre. Chanceux que nous sommes, nous avons eu la primeure de ce projet, en présence de l’artiste.

Tandis que la plupart des artistes actuels font le choix de cumuler les médiums au sein de leurs créations, Désirée Wickler prend le parti de revenir aux fondements, préférant la peinture et le crayon à des médias plus contemporains. Un choix que l’on pourrait qualifier de passéiste ou de très classique qui se heurte pourtant avec les sujets que la jeune artiste – bénéficiaire du Fonds stART-up de l’Oeuvre Nationale de Secours Grande-Duchesse Charlotte – traite dans ses tableaux. Profondément ancrée dans son siècle, Désirée se passionne de sujets sociétaux, qu’elle aborde de manière directe, franche et impétueuse.

Si c’est « Eldorado », un poème de l’auteur anglais du XIXe siècle Edgar Allan Poe, qui lui donne l’impulsion de ce nouveau projet, celui-ci a pris corps dans la possibilité de le présenter dans le cloître de l’Abbaye de Neimënster. Il aura fallu un an et demi environ à l’artiste pour composer les 24 œuvres de ce corpus. « Je n’ai pas construit cette exposition de manière chronologique ou selon n’importe quel autre ordre. La lumière, le contexte m’ont davantage influencé », explique-t-elle alors que nous flânons d’une œuvre à l’autre.

Eros et Thanatos

En effet, si les lieux ont guidé le montage de l’exposition, ils sont également intimement liés à la thématique de celle-ci : la mort. Car le cloître a été construit sur un cimetière, avant d’être un lieu de transit pour les déportés durant la Seconde Guerre mondiale. « La mort fait partie de la vie, pourtant elle demeure un sujet tabou. J’ai voulu briser cela, jouer sur l’opposition constante entre la vie et la mort. Nous sommes dans un lieu de culture – qui symbolise donc l’énergie, la vie dont les fondements reposent sur des ossements. Cette dualité est présente partout autour de nous », corrobore Ainhoa Achutegui, directrice de l’Abbaye présente pour l’occasion.

Tout autour de nous, les 24 œuvres dont la forme n’est pas sans évoquer celles des vitraux, nous donnent à voir un jeu de danse macabre. Des corps, traversés par l’énergie, se meuvent et dansent allègrement avec la mort qui n’est jamais bien loin. Puisant son inspiration dans le prosaïsme du quotidien, elle dénonce comment la société actuelle, qui nous exhorte à la vie, nous conduit également vers la mort. A l’instar de « Followers », l’une des œuvres majeures de ce corpus, qui dénonce comment les réseaux sociaux et leur injonction nous poussent à posséder toujours davantage de followers tout en nous dévorant dans une optimisation illusoire de nous-même.

Les derniers seront les premiers

Derrière cette thématique éminemment funeste et pessimiste, l’artiste revendique pourtant sa foi dans la vie et son optimisme. Les toiles, toutes, débordent d’énergie et les corps sont tous capturés dans le mouvement, à un moment donné, n’obéissant à aucun diktat. Ces cadavres, paradoxalement, sont pleins de vie. « Ce n’est pas la chair qui représente la vie, c’est l’énergie. Je veux que les corps explosent, se laissent aller et parlent, même si, ensuite, je les enferme dans des cadres » s’amuse Désirée Wickler.

Car au-delà de l’esthétisme, l’artiste entend bien faire passer un message et dénoncer les dérives du capitalisme et les conséquences humaines de celle-ci. « Devant la mort, nous sommes tous égaux, peu importe notre sexe, notre race ou notre fortune. Abordée ainsi, la mort n’est pas quelque chose de négatif, au contraire. Elle ouvre les possibles sur des questions comme la solidarité et l’égalité des êtres humains. La mort peut être perçue comme un vecteur d’espoir », achève enfin l’artiste.

L’exposition, à voir jusqu’au 15 décembre prochain comporte également une adaptation musicale du poème d’Edgar Allan Poe, imaginée par la poétesse autrichienne Sophie Reyer. Un catalogue pensé par l’artiste fait également partie du corps et sera présenté à l’occasion d’une soirée dédiée, le 31 octobre prochain à 18, au sein de l’Abbaye de Neimënster.


« Eldorado », Laisser danser les morts, Désirée Wickler, à voir du 20 septembre au 15 décembre, tous les jours de 11h à 18h.

En raison de quelques pièces fortes, cette exposition se destine à un public averti.