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Le Poisson belge, un conte moderne signé Aude-Laurence Biver

Texte : Godefroy Gordet
Photo : DR

Le Poisson belge marque l’une des premières incartades de Aude-Laurence Biver de l’autre côté du miroir, en tant que metteuse en scène. Connue pour son travail d’autrice, et surtout les nombreux rôles qu’elle a tenus au cinéma comme au théâtre, avec ce spectacle, la jeune artiste franco-luxembourgeoise s’envole au TOL, pour enfiler une nouvelle casquette qui lui va à ravir. Et s’est porté par un duo magistral, composé de Juliette Allain et Régis Laroche, que cette pièce se fond dans le succès.

On ne peut que peu en dire sur Le Poisson belge. Pour ne pas entailler l’histoire, en spoiler le dénouement… Il va nous falloir ruser, pour convaincre du grand intérêt de cette pièce, sans en livrer les ressorts. La métaphore y est en effet grande et lourde de sens. Comme dans le conte, où l’on tire souvent de belles morales, Léonore Confino offre ici une énigme progressive qui évolue tout le long de la pièce pour finir dans une apothéose philosophique et poétique (deux mondes finalement très proches).

Dans Le Poisson belge, il est question d’enfance, de deuil et d’acceptation de soi. Confino y parle des tourments d’un homme qui n’est pas comme tout le monde. De ses sentiments réprimer, à ses nombreux questionnements en suspens. Dans cette pièce, on suit l’histoire d’une personne « hors norme », qui, depuis l’enfance, souffre d’une grande solitude psychique et physique.

Un questionnement sur l’identité

Posés sur un banc, un vieil homme rencontre une gamine. En quelques répliques, l’une s’incruste chez l’autre et se colle à lui comme une sangsue. Lui, célibataire endurci – portant une boucle d’oreille –, sympathiquement ronchon, à la vieille routine, et l’éternelle tristesse, et elle, ado fugueuse, orpheline esseulée, néanmoins vive et fantasque – fascinée par les vers, les femmes-troncs et les monstres marins –, vont ensemble surmonter leurs peurs, névroses, isolements et leurs deuils qu’on comprend réciproques.

Car, si ce conte moderne, distille des questions centrales sur le genre, l’identité et la place qu’on tient dans une société, il ne se résume pas au drame que peuvent induire ses thématiques. Bien au contraire, si la pièce pousse au triste de prime abord, elle raconte « une réparation », comme l’explique Léonore Confino. Le Poisson belge, c’est la rencontre entre deux personnages venus de deux temps et mondes différents, qui partagent le même mal de soi à résorber.

Montée par de nombreux metteur en scène avec entrain et réussite, Chez Aude-Laurence Biver, on retrouve cette même logique qu’induit le texte. Grande Monsieur et Petit Fille, là aussi, sont ceux qu’ils sont. Si l’on dissocie assez facilement, de scène en scène, le 1er degré du fantastique, grâce à une mise en scène entre technicité et onirisme, Biver injecte à l’œuvre une chaude proximité scène/salle, incluant le spectateur dans l’histoire comme le lecteur curieux d’un journal intime.

En adoptant une posture au service du texte, Biver nous permet facilement, tout du long, de comprendre les ressorts de l’histoire. Dans le récit, c’est ainsi les innocentes questions de « la clocharde », comme s’amuse à l’appeler le vieux Monsieur, qui nous guident. Grande Monsieur résout, comme nous, de situation en situation, le mystère de la présence de cette gamine chez lui. L’occasion pour lui de régler tout ce qui n’a pas été réglé dans son enfance, et pour nous de s’émouvoir devant cette fable libératrice.

Une distribution fabuleuse

Ce sont de sérieuses questions qu’on touche du doigt ici. Et si Biver en a saisi l’essence par le lien qu’elle fait entre le texte et sa mise en scène, Le Poisson belge profite également d’une distribution fabuleuse. Face à Juliette Allain, belle et superbe, qui nous anime de sincérité, malice, dynamisme et de la tendre naïveté de l’enfant, Régis Laroche est magnifique autant que parfait dans ce rôle qui lui colle à la peau, jouant de son charisme, tout en livrant un personnage sensible, cachant (ou montrant au choix) avec sobriété ce qu’on ne doit découvrir qu’à la fin.

Carton plein pour cette « première vraie mise en scène », dira t-on, de Aude-Laurence Biver qui signe, sans vague, un beau spectacle sur le « non conforme » dans une société trop rugueuse, et le droit d’être ce qu’on est, dans un monde formaté. Sur ce texte émouvant de Léonor Confino, la metteuse en scène offre un moment de tendresse assez unique que seul le théâtre peut faire exulter. De l’abrasif des lignes, à cette amitié naissante entre deux êtres si semblables, en passant par quelques éclats de rire, l’équipe de ce Poisson belge nous a presque fait pleurer.


Dates : 20h, les 6, 7, 12 et 13 février. 19h, les 8 et 14 février. 17h30, le 9 février 2020.

Avec Juliette Allain et Régis Laroche

Mise en scène : Aude-Laurence Biver

Scénographie : Anouk Schiltz

Création musicale : Benjamin Zana

Mise en mouvements : Gianfrianco Celestino