L’enfant terrible de la mode Jean Paul Gaultier tire sa révérence
Jean Paul Gaultier quitte les podiums : après 50 ans de carrière, l’enfant terrible de la mode a tiré sa révérence avec son dernier défilé haute couture mercredi soir à Paris pour explorer d’autres horizons.
Ce “grand défilé-show haute couture” au prestigieux Théâtre du Châtelet “sera mon dernier”, a annoncé le couturier français le plus atypique et le plus connu dans le monde dans un court communiqué qui a provoqué un coup de tonnerre en fin de semaine dernière. Tout en promettant pour la suite un “nouveau projet” dont il est l'”instigateur”.
Ses défilés sortent toujours de l’ordinaire: transgressifs et joyeux, ils sont accompagnés de notes pleines d’humour et de jeux de mots pour décrire les tenues inspirées par les punks, le burlesque ou les transgenres, mais toujours parfaitement coupées. Jean Paul Gaultier offrait des shows où il invitait des “beautés différentes” comme la pin-up américaine Dita Von Teese ou l’actrice espagnole Rossy de Palma à jouer des mini-spectacles.
“C’est un homme extraordinaire, il nous a tous inspirés. Il est merveilleux (…) c’est déjà de l’histoire mais il sera toujours quelqu’un qui nous inspirera”, a déclaré Julie de Libran, ex-créatrice de Sonia Rykiel qui a lancé sa propre marque de robes et dont le défilé s’est déroulé quelques heures avant celui de Gaultier.
Talent “provocant”
“Body positive” et “gender fluide” avant l’heure, il a fait porter des jupes et maquillages aux hommes et bousculé le monde élitiste de la mode avec sa vision subversive de la beauté.
Il crée la révolution en étant l’un des premiers à faire défiler des mannequins seniors et des femmes en surpoids ou tatouées. Ainsi dans les années 1980, il passe une petite annonce dans le journal Libération: “Créateur non conforme cherche mannequins atypiques. Gueules cassées ne pas s’abstenir”. Il est l’auteur de créations devenues cultes comme le bustier à bonnets coniques porté par Madonna, ou son célèbre pull marin et ses marinières, un souvenir de sa grand-mère “qui l’habillait en bleu”.
Depuis ses premières collections, Gaultier a mélangé les genres, les sexes, les époques, la gouaille des rues populaires et la distinction des beaux quartiers: rappeuses chic, geishas délurées, cocottes corsetées et mâles en jupe et talons hauts.
“Je suis pudique dans ma mode, lui, il est plutôt provocant. C’est son style, c’est déjà beaucoup, Le talent c’est de la personnalité, après les dix premières lignes on dit c’est du Victor Hugo, ça c’est du Camus, du Mozart”, se souvenait récemment dans une interview Pierre Cardin chez qui Jean Paul Gaultier a fait ses débuts.
“Perte” pour la couture
“Tout le monde est beau!” c’était aussi le leitmotiv de son spectacle autobiographique “Fashion Freak show” aux Folies Bergère qui a eu énormément de succès en 2018 et qui, selon les critiques de la mode, l’aurait conforté dans l’idée de voir plus large que les Fashion weeks.
“Cela fait plusieurs années qu’on entendait Jean Paul Gaultier dire +il faudra que je prenne une décision+. Le spectacle lui a donné des perspectives d’avenir”, analyse l’historien de la mode Olivier Saillard.
“C’était très joli de voir dans l’espace du théâtre ce public qui riait, qui pleurait qui était en communion avec lui. C’est plus joyeux qu’un défilé de mode qui dure 11 minutes, avec des gens qui sont là avec leurs téléphones, prennent les photos, applaudissent très peu”, ajoute-t-il. Jean Paul Gaultier a vendu sa maison au groupe catalan Puig en 2011 et a arrêté les collections de prêt-à-porter en 2015.
“Je comprends son choix, il n’avait pas envie que la mode aille si vite, il trouvait que ce milieu est devenu un business, du marketing, de la fast fashion (…) Les cycles de la mode ne sont vivables ni pour les créateurs ni pour les clients”, souligne Julie de Libran. Olivier Saillard salue, lui, l'”élégance” du geste du couturier mais déplore une perte pour la semaine de la haute couture.