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Les festivals au défi de la crise climatique

Par Pierre Pailler

Comme chaque année, les festivals accueillent des milliers de personnes avides de musique et de bonne humeur – avec, à la clé, des tonnes de déchets et une lourde empreinte CO2. Conscients de l’enjeu, les festivals tentent d’effectuer leur transition tout en gardant l’esprit de fête, au Luxembourg et ailleurs…

« Un festival a un impact carbone et un impact écologique, on ne va pas se mentir », admet d’emblée Hélène Lo Presti, responsable de la communication et des partenariats médias des Francofolies d’Esch-sur-Alzette. « L’idée n’est pas de faire du greenwashing en prétendant avoir un événement 100% propre, mais de se demander : comment faire, tout en gardant la programmation et l’esprit de fête, pour réduire au maximum cet impact qui de toute façon est négatif ? ».

La saison des festivals, déjà bien lancée, regorge à nouveau cette année d’événements dans toute la Grande Région, entre le Luxembourg Open Air (LOA) à Belval ou les Aralunaires d’Arlon qui ont eu lieu début mai, Usina24 à Dudelange et les Francofolies d’Esch début juin, ou encore le Cabaret Vert à Charleville-Mézières qui se déroulera à la mi-août.

Bilan carbone drop

Mais à l’heure de la crise climatique et environnementale, ces événements, qui attirent des milliers de festivaliers et produisent par conséquent une quantité colossale de déchets et d’émissions CO2, doivent désormais prendre à bras le corps cette problématique. Avec un objectif, résume Camille Muller, responsable développement durable pour le Cabaret Vert : « Montrer que divertissement n’est pas incompatible avec conscience environnementale et engagement sur les sujets de développement durable ».

Dans cette perspective, le festival Cabaret Vert, qui a accueilli 125.000 festivaliers en 2022 à Charleville-Mézières, a publié un premier bilan carbone en 2023 afin d’affiner ses pratiques écologiques. Conclusion : l’édition 2022 du festival a généré 3.287 tonnes d’émissions de gaz à effet de serre (26 kilos d’émissions CO2 générées en moyenne par festivalier), ce qui correspond à l’empreinte carbone annuelle de 357 français moyens, ou représente 15 millions de kilomètres parcourus par une voiture française moyenne, soit 377 fois le tour de la Terre ou 20 allers-retours Terre-Lune.

Un poste d’activité est responsable de la très grande majorité des émissions : les déplacements. Se rendre sur le site ou en repartir, qu’il s’agisse du public, des artistes ou des équipes du festival, représente ainsi 55% du total du gaz à effet de serre émis. « Une distance de l’ordre de 23 millions de kilomètres a été parcourue par l’ensemble du public, soit l’équivalent de 575 fois le tour de la Terre ! », note le rapport publié par le Cabaret Vert.

Agir sur la mobilité est ainsi LA priorité. « C’est un sujet sur lequel on travaille depuis longtemps en coopération avec des acteurs privés et publics pour proposer des solutions de mobilité durables à nos festivaliers », explique Camille Muller : dispositif « retour à un euro » pour les billets de TER, cars nationaux aux départs des grandes agglomérations comme Lille, Paris, Metz, Nancy ou Bruxelles, cars régionaux pour desservir une grande partie du département, sans compter la mise en place d’un parking à vélo sécurisé et agrandi.

La mobilité n’est d’ailleurs pas un défi pour le seul Cabaret Vert : tous les festivals y sont confrontés. Aux Francofolies d’Esch, qui a par ailleurs obtenu l’exigeant label Green Events, tout est fait pour promouvoir la mobilité douce. « Notre parc ne dispose pas de parking à proximité, ce qui est une contrainte, mais aussi une opportunité de sensibiliser les festivaliers au fait qu’il y a d’autres moyens de se déplacer », remarque Hélène Lo Presti.

Des discussions ont eu lieu avec les CFL afin que les festivaliers puissent prendre le train de retour à des horaires tardifs et des navettes sont mises en place depuis Nancy, Metz, Thionville et Arlon. Une plateforme de covoiturage a par ailleurs été lancée afin d’inviter les festivaliers, s’ils n’ont pas le choix d’utiliser la voiture, de le faire en commun. En outre, un grand parking à vélos sera installé près de la gare d’Esch-sur-Alzette.

Un autre défi majeur de ces événements est la gestion des déchets. « Un festival peut en produire énormément », confirme Hélène Lo Presti. Les Francofolies d’Esch ont fait un choix radical avec une politique zéro déchet. L’intégralité de la vaisselle – verres, assiettes, couverts – utilisée sur le site est ainsi lavée sur place avec des lave-vaisselles économes en eau – « un vrai challenge technique », assure-t-elle également. Mais qui permet d’éviter des tonnes de déchets en plastique ou en carton.

Le Cabaret Vert réalise quant à lui depuis ses débuts en 2005 un tri des déchets dans un centre au sein du site. Et si le festival utilise de la vaisselle biodégradable, il devrait aussi progressivement s’en séparer. « Sur le même principe que les gobelets réutilisables consignés, nous allons mettre en place une expérimentation sur la vaisselle réutilisable cette année, au sein de quelques stands d’alimentation », explique Camille Muller, avec l’idée de déployer plus largement cette méthode dans les années à venir.

Plein les yeux et les papilles, version durable

La restauration constitue aussi un poste important d’émissions CO2. Avec les boissons, la restauration pour le public et les artistes représentent ainsi 23% du total des émissions CO2 du Cabaret Vert, selon le bilan carbone du festival. Francofolies comme Cabaret Vert imposent donc à leurs stands de restauration de se fournir auprès de producteurs locaux en produits de saison, bio ou issus du commerce équitable. « C’est un gros challenge pour nos restaurateurs, l’offre locale dans la Grande Région n’étant pas si large, mais il est très important que le festival puisse faire vivre l’économie locale et proposer de la nourriture de qualité », explique Hélène Lo Presti.

Les options végétariennes sont bien sûr de mise, avec l’objectif de réduire la viande de bœuf autant que possible. Le Cabaret Vert a aussi instauré un « score carbone », qui calcule celui-ci pour chaque stand de nourriture en fonction des différents ingrédients, des fournisseurs et des quantités commandées. « Cela permet de voir qu’un stand qui sert des burgers de bœuf est plus impactant qu’un stand végétalien », décrit Camille Muller.

La scénographie est aussi mise à contribution. « Pour tout ce qui est décor et scènes, nous sommes au maximum dans la récupération et la production durable », explique Hélène Lo Presti. « La signalétique à base de pitch flag n’existe pas chez nous, tout est indiqué sur bois, réutilisable d’une année à l’autre. Et les scènes sont éclairées au LED pour diminuer la consommation ».

Un audit énergétique réalisé par le Cabaret Vert remarque par ailleurs qu’une part non négligeable de l’énergie consommée par les scènes l’est sans public. «Nous allons travailler à améliorer nos usages par rapport à ça », assure Camille Muller. Le Cabaret Vert a par ailleurs le projet de supprimer la quasi-totalité de leurs groupes électrogènes présents sur le festival pour s’alimenter à partir d’une électricité verte et locale, produite notamment à partir de panneaux photovoltaïques installés sur place.

Sans compter une myriade de différentes solutions mises en place pour contribuer à réduire l’impact de ces événements : toilettes sèches, récupération et recyclage des mégots, site web allégés au maximum, ateliers de sensibilisation à destination du public… Les festivals communiquent d’ailleurs beaucoup entre eux pour partager conseils et bonnes pratiques. « Il y a une véritable volonté d’entraide : nous nous retrouvons lors d’événements, nous visitons d’autres festivals tout au long de l’année, nous nous sollicitons les uns les autres pour savoir ce qui est mis en place, comment, si cela fonctionne, si les festivaliers sont partants », constate Camille Muller. « Ce côté solidarité et retours d’expériences entre festivals est vraiment fort ».

Hélène Lo Presti voit d’ailleurs une « tendance de fond » des festivals à se saisir de la thématique écologique : « Les festivals se responsabilisent eux-mêmes car le public attend cela de nous », constate-t-elle. « Les gens aujourd’hui ne veulent plus simplement consommer de la culture, mais que cela s’inscrive dans une démarche plus large. À l’avenir, ce sera encore davantage nécessaire, et si le public n’est pas satisfait de la valeur qui est portée par son festival, il ne viendra plus », assure-t-elle avant de conclure : « Et je trouve ça très bien ». High five.

Ce format est également à retrouver dans le nouveau Bold Magazine #86, à lire en ligne ici!

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