L’humain au premier plan
Image: Romain Gamba
«Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous», disait Paul Eluard. Et à en croire l’association artistique de Karolina Markiewicz et Pascal Piron, le poète disait vrai… «Elle» vient du théâtre, de la mise en scène, membre de l’Association Internationale des Critiques d’Art (AICA). «Lui» est plasticien, consacré depuis la fin de ses études à Strasbourg en 2007, légataire d’une poignée d’expositions de ses peintures en Europe. «Eux», forment un duo artistique épatant, tourné vers l’humain et son histoire dans notre monde contemporain. Récemment tombés en admiration devant leur travail de documentariste sur le film Mos Stellarium, nous nous devions de leur consacrer ces lignes…
Leur première collaboration remonte à 2013, pour l’occupation du Kiosk de l’AICA avec l’installation Everybody should have the right to die in an expensive car. Un projet qui par l’image a rassemblé les deux artistes, comme l’explique Karolina, «C’est une sorte d’extension de la peinture. Une réflexion sur l’image. La perception de celle-ci». En représentant une luxueuse voiture accidentée au pourtour d’un carrefour où passent chaque jour des centaines de véhicules, le duo joue avec le contexte mais pas uniquement, «L’image n’était discernable qu’au bout du carrefour, sinon elle était décomposée.» Entre perception et contextualisation, les deux artistes jouent avec l’interprétation des spectateurs.
Par la suite, c’est via leurs professions d’enseignants qu’est né Les Formidables. Un projet vidéo présenté lors de l’exposition Angste Povera au CarréRotondes en 2014, qui scellera leurs aspirations artistiques et leurs questionnements autour du dénominateur commun qu’est l’humain. Enseignante en français et histoire et professeur d’arts plastique, Karolina et Pascal travaillent presque au quotidien avec des jeunes dont certains sont immigrés, réfugiés et demandeurs de protection internationale. «On a toujours trouvé le contact avec ces jeunes très important. On s’est rendu compte que l’école pour eux est l’endroit où ils se retrouvent en tant qu’être humain». Un cadre propice au dialogue qui a permis à Karolina de mener des entrevues avec ces jeunes, «On a entamé la démarche du film suite à mes recherches avec eux», explique t-elle. Ils décident alors de mettre en image ces histoires en réalisant plusieurs vidéos, «Ils parlent beaucoup avec l’image car leur français n’est pas encore au point. C’est un média qui collait parfaitement à notre sujet», précise Pascal. Après Angste Povera, ils reçoivent une proposition pour participer à une exposition collective au Liechtenstein, «Le curateur nous a proposé d’aller plus loin dans cette recherche et d’en faire un autre film mais avec des moyens réels en passant par un producteur, le FilmFund et par une équipe technique. C’est comme ça qu’on en est venu à réaliser Mos Stellarium», expliquent les vidéastes.
«C’est évident qu’on est plutôt du côté des jeunes»
Ainsi, leurs recherches autour de ces thématiques de l’exil, de la fuite, de l’humain qui oscille entre résignation et espoir, les poussent à développer le film Mos Stellarium. «Nous voulions continuer à développer le sujet des Formidables. On s’est concentré d’abord sur l’expo au Liechtenstein où on a montré une installation tirée du film qui n’existait pas encore». Le film sort en octobre 2015 à Luxembourg puis est sélectionné pour représenter le Liechtenstein à la Biennale de Venise dans son pavillon temporaire, intitulé The Silver Lining, «On avait toujours eu en tête de faire un film qu’on pourrait également montrer comme installation vidéo, pour créer autre chose qu’un récit linéaire», commente Pascal. «D’autres histoires et images encore se créent à travers l’installation sur deux splitscreens ou quatre écrans», ajoute Karolina.
Dans Mos Stellarium (ce qui signifie : les mœurs des constellations), on découvre six portraits d’adolescents, leur fuite et les trajectoires qu’ils ont entrepris lors de leurs migrations. La parole est ici donnée aux ado’, «car ce sont eux qui reprennent les problématiques des adultes et sont en contact avec les avocats, les administrations, les médecins. C’était très important pour nous de leur donner la parole et des images».
Avec ce film, les deux cinéastes sont loin de la façon dont est traitée aujourd’hui cette crise. Pourtant, sans le revendiquer, ils se positionnent, «Pour avoir travaillé depuis des années en tant qu’enseignants avec eux, les avoir écouté, c’est évident qu’on est plutôt du côté des jeunes», confie Pascal, pour que Karolina précise, «Mais ce n’est pas vraiment ce qu’on recherche».
Un projet de petits courts métrages
Engagés, sans se placer en porte étendards, Karolina et Pascal ont tout de même grand intérêt à traiter la nature politique des choses. A l’image de leur travail sur la pièce Philoktet d’Heiner Müller et de Sophocle. Un projet théâtral qui alimente plus encore leur recherche artistique générale, «Philoktet est une pièce de théâtre, mais c’est aussi une exposition». Dans la forme, l’œuvre trouve à nouveau la pluridisciplinarité, dans le fond, le duo replace les textes d’Heiner Müller et de Sophocle dans le contexte contemporain pour y dégager des problématiques à nouveau tournées vers l’humain. «L’idée est de comprendre ce qu’on peut apprendre de son histoire pour réaliser son futur. Pour nous, le problème réside dans le fait que l’être humain a tendance à très vite oublier l’histoire et ne pas savoir anticiper».
Film poétique et percussif, Mos Stellarium fera partie des travaux que le duo présentera lors de son occupation de la BlackBox au Casino en mai/juin prochain. D’autres vidéos telles que celles conçues pour Philoktet ou celles de leur projet d’interview Kulturstruktur seront présentées au Casino. En outre, la grande ambition de cette année 2016, notamment pour la BlackBox, pour les deux artistes est un projet de petits courts métrages, une sorte de série de fiction, «Le sujet portera autour de la position de l’être humain par rapport à l’histoire, sa mémoire d’une part et ses violences et ses résistances, d’autre part», et pour 2017, un projet théâtral autour de La Description d’une Image d’Heiner Müller avec e.a. la metteure en scène et performeuse, Silvia Costa et la comédienne et danseuse Rosabel Huguet. Mais pour l’un, le rêve serait «de refaire bientôt un film qui sortirait en salle et serait en même temps une installation vidéo, sorte de boucle dans laquelle on pourrait se balader», et pour l’autre «Une pièce de théâtre dans un cinéma»… Ce qui est certain, c’est que Karolina et Pascal nous réservent encore de superbes travaux.
- En duo depuis 2013
- Dans la BLACKBOX du Casino dès le 04.05.2016
- Mos Stellarium, en 2015 (documentaire: https://www.facebook.com/Mosstellarium)