Liz Lambert ou la transhumance humaniste en photo
Figure montante de la street photography luxembourgeoise, la photographe autodidacte Liz Lambert a été choisie comme lauréate de la bourse exceptionnelle allouée cette année par le CNA, en collaboration avec l’événement Luxembourg Urban Garden. À cette occasion, elle s’intéressera au dernier représentant (ou presque) d’une pratique séculaire : la transhumance, un choix humaniste, à la fois intime et de conviction, qui traduit particulièrement bien son envie de photo actuelle…
Si le médium photographique la passionne depuis des années, Liz Lambert n’est pas la plus volubile quant à son travail. Elle le dit elle-même : « mon travail se suffit à lui-même, je préfère que celles et ceux qui le voient s’en fassent leur propre interprétation, sans devoir y associer tellement de mots »… Mais dans la cadre de l’obtention de cette bourse du CNA exceptionnelle, l’artiste luxembourgeoise a accepté de se livrer un peu sur son histoire et son processus créatif…
Une photo d’instinct
Liz est née au Grand-Duché en 1993, plus particulièrement dans la région de Vianden. Est-ce l’ambiance si particulière du nord du pays qui l’amène à s’orienter, pour ses études, vers l’Allemagne et quelque chose « qui n’a a priori aucun rapport avec la photographie », à savoir « les sciences des religions et des cultures » ? C’est en tout cas pour ce cursus qu’elle opte, même si elle réalise ses premiers clichés dès l’âge de 15 ans, sans pour autant que ceux-ci déclenchent immédiatement l’envie d’en faire une carrière, ou ne serait-ce que de développer son talent dans l’immédiat. « La photo m’est toujours venue comme une envie à un moment donne plus que comme un besoin constant. Il y a même certaines années où je l’ai laissée de côté presque complètement, notamment pendant mes études », confie-t-elle sur une photographie spontanée et intuitive, pour laquelle l’inspiration vient seulement lorsque certains éléments, ou un certain état d’esprit la font apparaître, sans carcan rigide qui risque de l’éloigner, voire de la dégouter de la pratique…
Mais qu’à cela ne tienne, après des séries d’autoportraits très poétiques dans ses jeunes années – et pour lesquels elle publie son premier site web afin « de recevoir le retour, le regard des autres », la photographe autodidacte revient avec enthousiasme à son appareil après un stage au Moyen- Orient – un « virage important dans ma vie » – et l’utilise pour capturer et traiter sa perception sensible et alerte de son environnement. Elle se « spécialise » alors relativement dans la photographie de rue, réalise de nouveaux autoportraits et s’attelle à la documentation visuelle de la vie quotidienne. Elle devient membre du Luxembourg Streetphoto Collective en 2021 et s’expose au Luxembourg Street Photography Festival des Rotondes la même année. En 2022, elle remporte le Prix d’encouragement du Prix de la Photographie – « Clervaux Cité de l’image » avant d’être exposée au Salon du CAL (Cercle Artistique de Luxembourg), au festival Light Leaks ou encore au group show Lost Symbiosis organisé à l’espace H20 de Differdange par le jeune collectif de curateurs La Concierge en 2023. Plus récemment, elle participe aux expositions collectives unendlich vergänglich de la Cité de l’Images de Clervaux et 125ème de Seconde à la Schëfflenger Konschthaus.
La transhumance, toute une histoire
Si elle refuse de catégoriser sa pratique de la photographie, qui s’aventure sur des terrains documentaires, sociaux ou plus privés, le sujet de l’intime, la lumière ou encore le moment suspendu sont autant de fils rouges à travers ses réalisations. Elle souhaite que ses clichés touchent et inspirent le public à trouver l’histoire : « C’est difficile de trouver les mots exacts pour décrire ce que j’aime insuffler dans mes photos, mais j’aime à penser qu’elles sont comme une caresse délicate pour qui les observe, une certaine sensualité qui invite le spectateur dans ce moment suspendu, dans ce qui vient de se passer au moment de la photo, que l’être humain soit encore là par exemple ou pas ».
La nature s’invite aussi dans la photographie de Liz depuis quelque temps, notamment depuis son installation à la campagne, non loin d’Ettelbruck. Tout comme ce qui pourrait ressembler au destin : alors qu’elle se renseigne sur les bourses allouées aux photographes, son compagnon débute un nouvel emploi auprès d’un des derniers éleveurs de moutons luxembourgeois à effectuer une transhumance annuelle spectaculaire – notamment à travers le quartier du Kirchberg, en pleine capitale.
En 2023, cette tradition de la transhumance saisonnière des hommes et du bétail a été inscrite sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO et au Luxembourg, il n’existe en effet plus qu’une seule bergerie qui transhume avec son bétail à travers les prairies, les villages et les routes du Grand-Duché. Le sujet la touche de près donc, elle qui est de plus fille de fermier. C’est alors qu’elle découvre le projet unique pour 2024 de la bourse du CNA qui s’associe au LUGA, à savoir le grand festival Luxembourg Urban Garden qui se déroulera du 7 mai au 18 octobre 2025. L’événement très attendu proposera notamment une exposition en plein air de jardins urbains, d’installations paysagères et artistiques, de projets agricoles et de lieux de vie dans plusieurs endroits au Luxembourg comme la vallée de l’Alzette, le parc municipal Edouard André, la vallée de la Pétrusse ou encore la ville d’Ettelbruck et le Pomhouse du CNA, où sera exposé le projet final de Liz. Sans oublier le Kirchberg, dans la capitale, qui verra à nouveau passer les moutons au printemps prochain. Le sujet de la transhumance est tout trouvé pour sa candidature…
La bourse CNA X LUGA
Dans le cadre de sa mission d’encouragement et de soutien à la création et la diffusion de travaux d’auteurs dans le champ de l’image, le Centre national de l’audiovisuel (CNA) a mis en place la Bourse CNA – Aide à la création et à la diffusion en photographie en 2009. Une bourse annuelle qui revêt, pour son cru 2024, un caractère particulier : en effet, en collaboration avec les organisateurs de l’exposition LUGA – Luxembourg Urban Garden, le CNA initiait cette fois une édition spéciale de sa bourse, à savoir une commande photographique qui explore des thématiques associées à LUGA ainsi qu’au futur Mois Européen de la Photographie (EMoP) 2025. Pour cette 16e édition de la bourse CNA, ce sont ainsi 18 dossiers de candidature qui ont été réceptionnés parmis lesquels le jury a sélectionné Liz Lambert comme lauréate. Le jury était composé de : Lisa Baldelli (ministère de la Culture), Vanessa Cum (Ville de Luxembourg), Daniela del Fabbro (CNA), Marlène Kreins (Centre d’Art Dudelange), Ruud Priem (MNAHA), Ana Maria Tzekov (CAPE) et Michèle Walerich, Responsable du service Photographie du CNA en tant que présidente du jury sans droit de vote.
Dans le cadre de son projet retenu pour la bourse, Liz va ainsi accompagner l’exploitation agricole du berger Florian Weber par la photographie pendant plusieurs mois. Elle accordera une attention particulière à la relation entre l’être humain et l’animal et aux questions suivantes : quelle est l’importance de cette pratique pour notre société actuelle et future, comment crée-t-elle un pont entre les espaces ruraux et urbains et comment contribue-t-elle à la préservation de la biodiversité ?
« J’ai déjà effectué quelques clichés sur l’exploitation, mais un des temps forts pour le projet sera clairement la transhumance. C’est très intéressant de voir l’interaction du public avec les animaux, qui varie énormément en fonction des personnes. Certaines sont très respectueuses et gentilles, d’autres sont beaucoup moins cool… Cet aspect relationnel sera central dans le travail final, mais je dois aussi trouver mon image propre et l’esthétique de ce que je veux rendre, car je ne veux pas que ce soit de la photo documentaire brute, mais plutôt qu’elle s’intègre dans ce que je suis de manière plus générale, avec une identité reconnaissable », nous explique l’artiste. Enfin, au-delà de l’exposition fixe au Pomhouse, Liz songe également à une version complémentaire et itinérante, en adéquation avec le sujet choisi et qu’elle espère possible sur plusieurs sites du festival LUGA…
Ce portrait est également à retrouver dans le Bold Magazine #88, à lire en ligne ici!
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