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Mathieu Van Wetteren, toqué juste comme il faut ?

Par Fabien Rodrigues / Photo principale : Tom Jungbluth / Photos : Rick Tonizzo & Tom Jungbluth

Ses faux airs de pirate des fourneaux ne trompent plus personne : Mathieu Van Wetteren est un des poids lourds de la scène gastronomique locale, dans son restaurant Apdikt de Steinfort. Il y est connu pour être un tantinet boudé par les guides, ne pas en faire grand cas, aimer la musique minimale, mais aussi être un féru absolu de dressages au millimètre et de design.  Entretien avec le chef en couverture du nouveau Bold Magazine #79…

Chef, pouvez-vous présenter quelques étapes clés de votre parcours. Vous êtes originaire du Luxembourg, n’est-ce pas ?

Tout à fait, j’y suis né et je suis Luxembourgeois et Belge. Je me suis tout d’abord formé à l’école hôtelière de Namur avant de me lancer avec enthousiasme sur le terrain grâce à différents stages : à l’Héliport, une étoile à Liège à l’époque, puis chez Yves Mattagne au Sea Grill à Bruxelles, au restaurant The Jane à Anvers et chez Frantzén, trois étoiles à Stockholm… De retour au Luxembourg, où je souhaitais ouvrir mon premier restaurant en tant que chef, j’ai eu un coup de cœur pour l’ancienne pharmacie de Steinfort… J’y ai ouvert les portes de l’Apdikt le 1e avril 2017, il y a donc tout juste six ans !

Qu’est-ce qui vous a décidé pour ce lieu en particulier ?

Tout d’abord sa fonction précédente : on est ce que l’on mange, donc poser mes valises, mes couteaux et mes fourneaux dans une ancienne pharmacie me semblait être plutôt une bonne chose ! Mais aussi la possibilité d’y faire ce dont j’avais envie, d’y vivre aussi, au carrefour des routes belges et luxembourgeoises. Cela me ressemble, non seulement, mais je sais aussi que j’ai besoin de ma cliente belge, qui est très sensible à mon approche, autant que de celle du Luxembourg.

Les amatrices et amateurs de bonnes tables vous connaissent non seulement pour votre cuisine, mais aussi pour l’esthétique très poussée que vous mettez à l’œuvre dans votre établissement… Cela a commencé tôt dans vos habitudes ?

Absolument. Depuis très jeune j’ai été habitué à l’ordre, au sens de détail, à la symétrie. C’était parfois low key militaire. Mais ce sens du détail est resté, je l’aime beaucoup et j’y ai appliqué ma créativité au fur et à mesure de mes expériences. Parmi celles-ci, c’est probablement le chef Mattagne qui a eu le plus d’influence quant à mes envies futures en matière de dressage et d’arts de la table. Le dressage, ou plating, est à mon sens un véritable domaine créatif, c’est du design, de l’art. Cela fait partie intégrante de ma quête perpétuelle de beau, de parfait. Une quête qui n’est pas près de s’achever ! Aujourd’hui, je commence par visualiser la future assiette, à ce à quoi je veux qu’elle ressemble, puis je choisis les produits, les préparations, les cuissons, les sauces, les condiments qui vont composer cette vision que j’ai. Je monte mes goûts sur cette création que j’ai en tête, et ma tête me guide, c’est très instinctif.

Vous venez de parler des arts de la table, l’assiette – et le reste – sont également importants dans votre vision de la gastronomie ?

C’est en effet une composante très importante à mes yeux, même si elle a évolué au fil des années, avec plusieurs expériences qui m’ont finalement ramené vers une collaboratrice de confiance, Véronique Leukers, céramiste basée à Virton, avec qui nous avons un processus de travail très poussé quant aux assiettes et autres contenants que nous utilisons à l’Apdikt. Pour la prochaine « collection » par exemple, nous nous penchons dessus depuis six mois déjà, et ce n’est toujours pas terminé ! Une fois de plus, j’ai une idée en tête et je la lui transmets ; ensuite, je suis heureux de prendre le temps nécessaire de ce travail commun pour arriver à des productions qui cochent toutes les cases. C’est une autre expression de mon amour pour la cuisine et je suis persuadé que cela a un impact absolument évident dans l’énergie qui se dégage de la table et de ce qui y est servi. Que la personne qui déguste ressent le travail et la passion qui sont mis à l’œuvre derrière leur expérience gastronomique… Quelque part, c’est comme si Véronique et les autres artisans avec qui je collabore créent la scène, et moi la pièce de théâtre. J’imagine toujours un concert de Rammstein dans une petite salle de concert, sans les gigantesques lance-flammes qui mettent le feu : ça aurait moins de gueule quand même, non ?

Vous travaillez avec votre compagne Alice en salle, quelle est sa place dans ce chemin que vous empruntez ?

Alice a un rôle primordial dans notre établissement : celui de la transmission de l’émotion, d’exprimer ce que mon caractère assez introverti ne sait pas faire auprès de notre clientèle à un instant T. En matière de sensibilité commune, il n’y a pas de règles et c’est très bien ainsi, nous continuons à avancer et à apprendre ensemble.

Y’a-t-il une assiette, un plat au cours de ces six années qui a marqué un tournant clair dans votre esthétisme culinaire ?

Pas vraiment, car je ne suis jamais satisfait au final ! C’est d’ailleurs une des raisons principales qui explique pourquoi je n’ai pas de page Instagram : sur le moment, lorsque je sors une assiette, je suis toujours très content de ce que j’envoie. Mais mon caractère fait que si j’y reviens un peu plus tard, si je vois une photo de ce plat par exemple, je me dis toujours que j’aurais pu faire mieux et ça m’agace (rires). Là aussi, j’ai une image analogique en tête : je me rappelle sauter en parachute à 4500 mètres, en me disant « ok, mais à 5000 ça aurait été encore mieux ». En ce moment, je dois tout de même avouer que j’aime beaucoup le céleri de notre menu actuel. Il correspond franchement bien à ce que j’ai envie de servir…

Vous l’avez d’ailleurs servi lors d’un dîner exceptionnel, baptisé Turning Tables, qui se déroulait dans l’atelier de l’artiste Eric Mangen. Quel regard portez-vous sur cet événement ?

J’ai une chance incroyable de compter Eric Mangen parmi mes amis proches et cet événement a été une leçon géniale qui m’a fait sortir de ma zone de confort comme rarement auparavant. Tout avait commencé il y a plus de 2 ans, lors d’une session assez épique de dégustation de Maitrank… Les tournées aidant, on avait commencé à imaginer le moyen d’allier nos deux expertises, nos moyens d’expression créative, pour proposer un format inédit au Luxembourg. Cela a mis du temps, mais nous avons finalement réussi, notamment grâce à notre partenaire des Caves Wengler. Eric a créé une entité ad hoc pour ces nouvelles expériences (@maybeyesmaybeno2023 sur Instagram, ndlr) et tout un univers pour accueillir la première édition de Turning Tables, qui s’articulait autour de la couleur bleue. J’y ai emmené tout mon restaurant, avec mes cuisiniers, ainsi qu’Alice et Guillaume en salle. Eric, de son côté, a créé de A à Z une table unique dédiée à l’événement, un centre de tables, des assiettes et des menus personnalisés grâce à différentes collaborations avec The Lib Atelier, Nordic Stella, son cousin Frédéric… Le tout se déroulant deux soirs de suite dans son grand atelier, situé au sein d’un corps de ferme à Bertrange. Le cadre est déjà dingue, les gens arrivaient comme dans un vernissage, la table étant alors encore pendue au plafond ; puis elle descendait via un système de poulies, déjà dressée, lorsque le dîner débutait. C’était assez impressionnant et très motivant…

Est-ce que participer à un tel concept vous a fait réfléchir à l’avenir ?

Clairement, même si c’est dans un sens qui confirme ce qui me trottait déjà dans la tête depuis un moment. J’ai vraiment envie d’être encore plus proche de mes clients.es, comme j’ai pu l’être à cette occasion lors de laquelle j’expliquais chaque plat lors de son service. Je pense que l’évolution de ma cuisine, sa précision et son minimalisme apparent nécessitent que je le fasse. Sinon les gens vont se demander pourquoi un tel prix pour du céleri ! Et c’est quelque chose que j’ai finalement envie de faire. Je suis encore très bien à l’Apdikt, avec une équipe super et j’y ai encore beaucoup de choses à réaliser… Mais je ne m’interdis pas de penser à d’autres lieux, d’autres environnements. D’autres moments plus intimes et d’échange avec les personnes attablées. Aussi, par exemple, avec une interdiction stricte des photos par téléphone portable, comme c’était le cas pendant les dîners Tunring Tables. Oui, ça m’a bien plus ça ! J’espère que les futurs chefs qui participeront à cette aventure y prendront autant de plaisir que moi.

Qu’est-ce qui inspire un esthète comme Mathieu Van Wetteren au quotidien, dans sa cuisine ou ailleurs ?

La musique avant tout, je mets mon casque et c’est parti, je sais que je peux commencer à faire ce que j’ai à faire. En ce moment, impossible de me passer des Pachanga Boys, de Christian Löffler ou de Stephan Bodzin. Et bien sûr – je pense que c’est évident – la culture du tatouage… C’est une expression de mon fort besoin de liberté, de cette joyeuse piraterie qui est synonyme de démocratie dans mon esprit, de jouir de mes propres règles et d’être loyal envers ce que l’on aime et ce que l’on fait.

Une pièce en particulier ?

Ma montagne, sur le poignet. Le sommet que je veux gravir et atteindre, encore et toujours…

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