Medusa Venom : le succès oui, la transmission aussi

Il est probablement difficile d’imaginer les Terres Rouges luxembourgeoises comme favorables à l’éclosion de talents drag de demain… C’est pourtant là que sont nés Keano et Medusa Venom, son alter ego scénique, entourés par une famille complice et animés par la passion d’un art qui se renouvelle sans cesse. Aujourd’hui, Medusa souhaite agrandir sa drag family et se produira ce samedi 18 janvier, toujours dans le sud, à la Kantin de Dudelange…
On ne peut vraiment nier qu’au Luxembourg comme ailleurs, et malgré un climat international qui semble s’orienter inexorablement vers un retour de valeurs conservatrices éculées, l’art du drag et celles et ceux qui le pratiquent gagnent plus que jamais en popularité. Une franchise Drag Race qui engendre awards multiples et millions d’euros de chiffre d’affaires, Minima Gesté porteuse de la flamme olympique, des shows d’envergure ou plus locaux qui font le plein : de tous bords et pour tous les bords, les drag queens & kings assoient leur popularité et leur créativité.
Au Grand-Duché, on a connu les « OG », les Madame Sans Gêne, Marcella Exclusiva ou encore la toujours géniale Thalia Garcia ; puis plus récemment une génération de reines plus jeunes et qui ont la dalle. Madame Yoko s’est ainsi produite récemment sur la scène de la Rockhal en première partie de la légende américaine Bianca Del Rio et sa « drag daughter », Medusa Venom, suit ses pas de près tout en apportant sa patte à la scène locale, mais aussi à travers la Grande Région et bientôt au-delà, soyons-en certains. Alors qu’elle lance un cycle d’événements au Letz Boys afin de constituer sa « house », cette fin d’année riche en évolutions semblait un moment opportun pour tailler le bout de gras et have a kiki avec miss Medusa…
PASSION X CULTURE X COMMUNAUTÉ
Si celui qui l’incarne vient de souffler ses 24 bougies, Medusa Venom est, elle, apparue il y a un peu plus de six ans. Keino a suivi un parcours artistique et a toujours été passionné par la création et le dessin de personnages, exclusivement féminins, ainsi que par le théâtre… Il était évident, sinon fortement probable que tout cela se mélange un jour et donne quelque chose de chouette – et ça n’a pas loupé ! C’est même arrivé plus tôt que lui-même aurait pu le croire, comme il nous le confie : « Je dessinais beaucoup ce qui me passait par la tête et j’aimais beaucoup monter sur scène pour jouer des pièces de théâtre, puis un jour un ami m’a fait connaître l’émission Ru Paul’s Drag Race – j’avais une quinzaine d’années – et cela a été un déclic. J’avais déjà vu une drag queen, mais je ne connaissais encore rien à la véritable nature de la pratique du drag et de sa culture… ». Keano dévore toutes les saisons US et décide de dessiner sur son visage les personnages avec lesquels il colore ses feuilles blanches depuis des années : Medusa est née !
« J’AI ENVIE DE PROMOUVOIR LA DIVERSITÉ ET LA PLURALITÉ DES ARTS AU LUXEMBOURG, MONTRER QU’IL Y A BIEN PLUS ICI QUE CE QUE L’ON PEUT PENSER »
Et c’est sur elle que nous allons nous concentrer à présent. Les premières inspirations de Medusa sont les pop stars et les actrices en vue, avec Lady Gaga en haut du podium – une « femme forte » toujours très présente dans le drag de l’artiste, tout comme les héroïnes du glamour hollywoodien des décennies précédentes. Notamment en ce qui concerne la mode. Parmi les All Stars de la franchise originale de Drag Race, Aquaria, Violet Chachki et Sasha Velours s’imposent également dans le carnet d’inspirations de Medusa…
La première scène live arrive très vite ensuite, quelques mois plus tard à peine, lors de la compétition locale Drag Against Aids en 2018. Et si elle n’est pas encore officiellement Medusa Venom – elle s’amuse alors encore autour du nom Leila – elle prendra aussi très vite son nom de scène définitif, inspirée par les visages de Méduse – la créature mythologique, pas celle qui pique à la plage : « J’ai toujours été inspirée par ce personnage de Méduse, par les serpents que je trouve très beaux et par ce côté mystique venimeux, très esthétique », nous confie-t-elle.


FULGURANTES ÉVOLUTIONS
Un premier shooting lui est vite proposé, alors qu’elle fait la connaissance de celle qui deviendra sa « drag mother », Madame Yoko, avec « une petite robe de chez New Yorker, des talons et une perruque commandés sur Amazon et des ongles beaucoup trop longs ». Baby drag 101. Aujourd’hui, en quelques petites années à peine pandémie incluse, le niveau de sophistication du drag de Medusa a évolué de manière bluffante, notamment grâce à des numéros live toujours renouvelés et des tenues sur mesure à tomber, dessinées par elle et réalisées par son compagnon Pit Gorges, qui a appris sur le tas – mais visiblement avec beaucoup d’aisance – à se servir d’une machine à coudre aux côtés de sa démente dulcinée…
« JE SUIS PLUS À L’AISE AU MICRO À PRÉSENT ET J’AI MÊME DÉCIDÉ DE ME LAISSER ALLER À UN PETIT EXERCICE DE STAND-UP RÉCEMMENT ! »
Mais au-delà de l’esthétisme, c’est aussi l’expressivité et la connivence de Medusa avec son public qui ont fait un véritable bond en avant ces derniers mois : au début plutôt taiseuse, very demure, very mindful, la performeuse n’hésite plus aujourd’hui à donner de la voix, à interagir avec l’audience et à s’adonner même à du presque stand-up lorsqu’elle présente tel ou tel événement à travers la Grande Région. « Il y a eu une partie de timidité au début, que j’explique peut-être par des petits problèmes et de placement de voix quand j’étais plus jeune – je détestais m’entendre, encore plus sur scène. Je ne m’attardais donc pas au micro, c’est un fait. Puis j’ai travaillé dessus, tout cela s’est amélioré et j’ai même décidé de me laisser aller à un petit exercice de stand-up devant un public il y a quelques mois ! », développe Medusa.
LA FAMILLE S’AGRANDIT
Si la barrière du langage a aussi pu expliquer le caractère peu volubile de Medusa Venom à ses débuts, il ne semble plus rien en être aujourd’hui. La drag queen luxembourgeoise se produit en effet très régulièrement à Bruxelles et n’hésite plus à s’exprimer en anglais et en français, le luxembourgeois – sa langue natale – « n’étant pas spécialement pratique pour ce que je veux exprimer sur scène », comme elle l’explique. Le Belgique : un pays où elle se verrait bien compétitrice dans la franchise locale de Drag Race, tout comme sa « môman » Yoko, que l’on a retrouvée au casting de la seconde saison de Drag Race Belgique.
Mais avant une future carrière télévisuelle plus que possible, Medusa a décidé de créer sa propre « house », c’est-à- dire une famille choisie composée de talents créatifs qui vont développer ensemble des expériences uniques, au fil d’événements et de collaborations. Dans le monde du drag, celle de Gigi Goode et de Symone, la House of Avalon, fait un véritable carton aux États-Unis et a même sa propre série documentaire… Quant à la House of Gaga, inspirée de la Factory d’Andy Warhol, faut-il encore la présenter ?
Pourquoi une telle démarche ? Tout d’abord, parce qu’après l’arrêt de l’événement Drag Against Aids qui couronnait par la même occasion la Miss Drag Queen de l’année, Medusa est toujours la souveraine régnante du titre depuis 2021 : il est donc, peut-être, temps d’aborder l’idée de transmission ! Elle acquiesce : « C’est effectivement une des raisons pour lesquelles j’organise ces nouveaux événements au Letz Boys : pour accueillir et célébrer les jeunes artistes drag afin de pouvoir réorganiser l’élection et passer ma couronne. Je me vois plutôt bien juge, de plus… Il faut que les jeunes s’affirment ». Mais c’est aussi et avant tout un concept, un safe space pour rassembler les artistes, les créatifs, les publics queers et leurs ami.e.s afin de promouvoir la diversité et la pluralité des arts au Luxembourg, « montrer qu’il y a bien plus ici que ce que l’on peut penser » et de faire se rencontrer ces gens pour créer des interactions vertueuses… Débutés fin novembre, les événements « Haus of Medusa » ont une vocation à revenir chaque mois et devenir un véritable rendez-vous, au sein de ce qui reste pour le moment le seul bar queer du Luxembourg…

ON DESCEND DE SCÈNE…
Quelques jours après le dernier de ces événements, prenons tout de même le temps de prendre des nouvelles de Keino : après une formation en sciences de l’éducation presque achevée à l’Université de Luxembourg, celui qui se cache – mais pas tant que ça – derrière les sequins et les perruques de Medusa a finalement décidé de prendre une voie différente et travaille actuellement auprès des jeunes comme éducateur dans une structure dédiée. Et lorsqu’on lui demande si la réaction potentielle de certains parents l’angoisse – on connait le climat actuel quant aux lectures drag par exemple, même au Grand-Duché où le parti ADR s’est fermement opposé à ce genre d’événement – le jeune artiste assure que « non, car déjà peu reconnaissent Medusa en moi, c’est un non-sujet ».
Puis elle conclut avec aplomb : « Mes collègues sont au courant : le jour où je réussirai à vivre de mon art, c’est la voie que je prendrai sans hésitation. J’aime beaucoup le travail que je fais auprès des jeunes, mais vivre de mon drag et continuer à transmettre de belles valeurs, à soutenir et éduquer émotionnellement les futures générations grâce à celui-ci au quotidien sont ce que je vise réellement ! ». Et bonne nouvelle, miss thing a clairement le talent pour que ces souhaits ne restent pas vains et que Medusa Venom devienne un des grands talents luxembourgeois de demain…
Ce portrait très slay est également à retrouver dans Bold Magazine #89, à lire en ligne ici!
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