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Mia Kinsch, libérée de tout tabou

Par Godefroy Gordet

Diplômée de St. Luc Bruxelles, Mia Kinsch rentre dans sa troisième année en tant qu’artiste indépendante. Graphiste, illustratrice, peintre, la jeune luxembourgeoise exprime la vie, celle de tous les jours, mais aussi celle qui se cache, celle qui célèbre le corps, le charnel… Rencontre.

Mia Kinsch distille un travail fait dans la spontanéité, par l’observation du monde qui l’entoure. Croisant des gens, des visages, des regards, elle s’en inspire pour imaginer leur histoire, leur maux ou bonheur de vivre. L’artiste délie les émotions d’une foule de personnages aux destins assez banals mais transmutés par les formes et couleurs qu’elle emploie, en des panoramas à la fois intriguants et ravigotants. Via la célébration des corps s’invite dans son travail artistique une élégante nudité, mise en scène sous le prisme de la décomplexion et de la démystification à l’inverse de l’érotisation ou de l’indiscrétion. Un ensemble d’harmonie et de cohérence par lequel Kinsch décline une identité artistique très marquée qui nous a instantanément tapé dans l’œil. Rencontre avec une jeune artiste prometteuse de la génération luxembourgeoise émergente…

MIA

À 27 ans, Mia Kinsch s’est déjà fait un petit nom dans le vivier belgo-luxembourgeois. Installée à Bruxelles, elle est à l’aise avec les allers et retours d’une à l’autre capitale malgré son tempérament distrait, comme elle le décrit, « en tant que personne, je suis assez dans la lune. J’aime bien prendre mon temps, j’aime observer les choses et me perdre dans la beauté des détails ». Curieuse et constamment captée par les mouvements du monde, elle peint en tant qu’artiste ce qui lui traverse la tête, ce qui la préoccupe en tant que personne, « Mia l’artiste et Mia la personne sont un ensemble. J’essaye de reproduire l’univers que je porte en moi. C’est un univers coloré, naïf et expressif qui s’inspire autant de la nature que du corps ».

Mia a toujours eu cette envie de création en elle, même si pendant très longtemps, elle ne croyait pas pouvoir faire de l’art sa vie, « j’ai donc commencé des études d’économie, évidement je me suis vite rendu compte que ce n’était pas pour moi et je me suis remise en question ». Après réflexion, elle entreprend des études de graphisme, « je savais que je voulais m’orienter vers un milieu plus artistique et je me suis dit que c’était un bon entre-deux, créatif tout en restant sérieux ». Au cours de ses études, son envie de créer s’amplifie de plus en plus et, juste avant la pandémie, elle commence à développer sa pratique de la peinture, « c’est difficile de dire exactement à quel moment je l’ai vraiment senti, mais c’est à ce moment-là, après mes études, que je l’ai admis ».

Actuellement posée à Bruxelles, elle a été diplômée en 2019 de l’ESA Saint-Luc. Des études qui lui ont ouvert les yeux sur son envie de créer et lui ont permis de faire évoluer sa pratique artistique sous cet enseignement académique, « j’aimais bien le graphisme, mais je cherchais toujours à rajouter plus de ma propre créativité. Ma pratique artistique s’est donc développée un peu en dehors des études étant donné qu’en graphisme, il faut toujours répondre à une demande ». La peinture qui était à ses débuts une échappatoire où elle se sent libre de faire exactement ce qu’elle a envie de faire, devient rapidement son intérêt principal, « mes études m’ont donné un cadre, une stabilité pour poursuivre mon art tout en ayant un diplôme “au cas où”. Aujourd’hui j’aurais probablement directement opté pour des études artistiques, mais c’est le chemin que j’avais à faire, j’imagine ».

KINSCH

Son travail en tant que peintre ou illustratrice se décline aujourd’hui principalement autour de personnages féminins plongés dans des décors de couleurs vives, voire flash, sous un trait tout en ondulations, souplesse et formes graphiques dynamiques. Pour la mise en « œuvre », son processus de création est assez classique : elle mêle croquis, notes, selon ce qu’elle entend, ce qu’elle veut mettre en image. Sa pratique artistique reflète autant sa vision de la place de la femme dans notre société, de ses droits, des injustices, que sa façon de digérer son vécu, ce qu’elle voit et ce qu’elle entend, « je suis entourée de femmes incroyables qui m’inspirent et m’apprennent tellement tous les jours de ma vie que c’est évident pour moi de les représenter dans mon travail aussi ».

Ainsi, les couleurs qu’elle utilise sont logiquement intuitives, utilisées pour exprimer un sentiment ou une ambiance, « ma façon de tracer des formes et des personnages s’est développée avec le temps. Je n’ai jamais appris à dessiner “proprement“, ce sont donc les traits que ma main a appris. Ça évolue toujours avec le temps et avec moi ». Dans ce sens, Mia Kinsch étaye sa vision de nombreuses inspirations artistiques, parmi elles, « Monica Kim Garza, Georgia O’Keeffe et David Hockney, les illustrations de Maria Medem, les peintures de Nikki Maloof, ou les dessins animés que je regardais quand j’étais petite et que je regarde encore. Je pourrais continuer cette liste encore longtemps. La musique que j’écoute peut avoir une influence importante sur mes créations aussi ».

Dans son travail pictural, il y a une véritable affection pour la mise en scène d’une nudité féminine de façon sucrée et décomplexée. À ce propos, elle se dit, « particulièrement intéressée par l’exploration du tabou que provoque une poitrine nue ». L’origine et le propos de cette fascination vient d’un ras-le-bol, comme elle l’exprime, « en fait, j’en ai marre. Marre de devoir cacher des parties de mon corps parce qu’elles ne sont, soi-disant, pas appropriées ou provocantes. J’en ai marre qu’on sexualise le corps des jeunes filles parce qu’apparemment la poitrine du corps féminin est sexuelle. J’en ai marre que nos corps soient utilisés pour nous restreindre et même nous punir. Donc je les peins, beaux et puissants, de manière décomplexée ».

Par ce débat encore très actuel, Mia Kinsch veut ouvrir à la discussion, en parler autant que possible, « jusqu’à ce qu’on ait une justice. Le monde doit être remis en question, les gens doivent se déconstruire et une grande partie de ce travail passe justement par l’égalité des genres ». Alors, évidemment, cela retranscrit des valeurs féministes, fidèle à ce qu’elle est elle-même, et ce qu’elle revendique, « pour moi tout le monde devrait être féministe, si tu es pour l’égalité entre tous les êtres humains, tu es féministe et si tu ne l’es pas, ciao ».

ÉMERGENTE

Dans sa lancée, déterminée à ouvrir de nombreuses portes, là où s’invitent ses valeurs morales propres, Mia Kinsch participe en juin 2021 au FairFashion Lab, lancé par l’ONG Faitrade Lëtzebuerg dans le cadre de la campagne nationale « Rethink your clothes ». L’idée : au sein de ce laboratoire éthique et durable, de jeunes designers locaux imaginent des vêtements soucieux des droits humains. En plaçant un marqueur fort dans des initiatives sociales, équitable et écologique, il est pour elle important d’intégrer à son travail cette bonne « conscience » face à notre avenir, « je suis de l’avis que quiconque qui en a la possibilité devrait contribuer à rendre le monde meilleur. Étant artiste, ma voix peut avoir plus de portée ou d’impact et toucher un plus large public. C’est pour ça que je veux l’utiliser le plus possible pour sensibiliser et tenter de créer un meilleur futur social, environnemental et économique. J’ai été très heureuse de cette collaboration pour laquelle j’ai pu utiliser mon art afin de mettre en lumière les initiatives importantes de Fairtrade ».

Peu après, en juillet 2021, elle est intégrée à l’exposition Y L A – Young Luxembourgish Artists initiée par la Valerius Gallery. Inspirée du groupe d’artistes libre Young British Artists, fondé à Londres à la fin des années 80 par certains grands noms des arts contemporains (Tracey Emin, Damien Hirst, Jenny Saville, Cornelia Parker, Sarah Lucas, Gary Hume, Tacity Dean), Y L A met à l’honneur une partie de la jeune génération montante des artistes visuels du Luxembourg. Un moment important dans la carrière de l’artiste « émergente » qu’est Mia Kinsch, « c’était une belle expérience de pouvoir montrer mon travail aux côtés d’autres talentueux.ses artistes ».

Dans Y L A, chaque artiste montrait un style, des caractéristiques et une utilisation des médias différentes pour un traitement global de l’actualité et des questions de notre monde. Un panel formé hors des frontières nationales faute de structures d’enseignements au Luxembourg… Pourtant, Mia Kinsch ne voit pas cela d’un mauvais œil, plutôt comme un moyen de forcer un peu le destin et les opportunités d’évolution d’un artiste, « au final, quand on y réfléchit, il y a beaucoup d’études supérieures qu’on ne peut pas faire au Luxembourg. Selon moi, ce n’est pas mal de sortir un peu du pays pour ses études. Après je n’ai pas vraiment d’avis très tranché sur le sujet. Il y a des arguments pour et contre ».

C’est néanmoins s’aventurant hors du Luxembourg que Mia Kinsch a démarré son parcours artistique et le poursuit admirablement, motivant de belles ambitions et la volonté de « continuer à faire ce que j’aime avec succès. Être inspirée et inspirante ».

Un papier à retrouver actuellement dans le numéro 78 de Bold Magazine, consultable également via ce lien.

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