Never Moog the Bollocks
Sébastien Vécrin nous parle de Vivre libre ou mourir, BD hommage au Punk et au Rock alternatif français d’Arnaud Le Gouëffelec, illustrée par le Messin Nicolas Moog. Un coup de cœur qui lui donne l’occasion de s’entretenir avec ce dernier et de plonger dans quelques bons souvenirs de jeunesse…
Cette nuit-là de 1998, je mixe dans un hangar enfumé, à l’Usine de Vilcey-sur-Trey, devant un parterre de 2500 ravers avides de boums boums saturés. Je décide de les surprendre en débutant mon set par « Salut à toi » de Bérurier Noir, le groupe qui avait tiré son irrévérence en 89 après trois shows d’anthologie à l’Olympia. Je l’ai toujours dit, si Marty me prête sa DeLorean, j’irais immédiatement voir ce concert avant d’aller essayer de charmer Cléopâtre. Revenons à mon dancefloor de jumpers surexcités. Contre toute attente, la mayonnaise prend et mon banger keupon régale, d’autant plus que je cale rapidement un beat bien gras dessus. C’est beau, cette symbiose punk hardcore me fait presque chialer, sauf que mon regard est happé par une rayonnante petite raveuse qui danse avec un grand sourire en fermant les yeux. Je ne la quitte plus des yeux de tout mon set. Une fois ma prestation terminée, je range mon flight case en speed et je cours tenter de la séduire. J’abats honteusement toutes mes cartes. « Tu veux venir en backstage ? », « Tu veux boire un verre ? », « Tu veux que je te présente Manu le Malin ? » Elle s’appelle Laetitia. Elle est belle comme le jour. Elle étudie le droit. Elle veut devenir avocate et elle est ok pour m’embrasser.
Salut à toi Laetitia
Quelques semaines d’idylle plus tard, ma nouvelle petite amie me présente à sa famille. Ils habitent en ville. Ils écoutent du jazz. Ils votent à gauche. Ils lisent des livres. Elle me parle également sans cesse de son cousin qui vraisemblablement dessine super bien et vraisemblablement joue super bien de la musique. Elle en est fan. Le couz en question est Nicolas Moog, le Messin qui a illustré ma BD préférée de 2024, « Vivre libre ou mourir », écrit par Arnaud Le Gouëfflec. Le bougre a croqué tous mes héros punks, de la Souris Déglinguée, en passant par Parabellum, Pigalle ou Les Olivensteins, avec en toile de fond les squats, la montrée du FN, l’assassinat de Malik Oussekine et la fabuleuse énergie du DIY si cher au rock alternatif des années Mitterrand. Il faut absolument que j’en sache plus sur cet artiste. Un DM plus tard à Laetitia, j’avais des news de sa progéniture, de son taf et le mail du Nico.
DIY or die
La saga de Nicolas Moog commence dans les fanzines des nineties, avec « Le Martien » où il côtoie Lehmann, Bouzard et Espé. Puis, c’est la consécration avec « Spirou » et « Ferraille », avant de sortir « La Chronique » en 2004 chez Les Requins Marteaux. Moog s’acoquine également avec l’éditeur 6 Pieds sous Terre. Il devient une figure de proue du magazine « Jade » et enchaîne les hits : « Rose et les tatoués » (2007), « L’amour tarde à Dijon » (2008), « My American Diary » (2009), et bien d’autres. Aux côtés d’Arnaud Le Gouëfflec, il marque « La Revue Dessinée » de son empreinte. En 2018, il sort « En roue libre » chez Casterman. L’année suivante, c’est « La Vengeance de Croc-en-jambe » avec Lehmann chez Fluide Glacial et puis, en 2021, il accouche d’«Undergound » chez Glénat, une bible d’antihéros méconnus de la scène musicale pointue et obscure, ouvrage que m’offrira d’ailleurs ma petite sœur à Noël. Quand j’ai appris que Nicolas Moog avait griffonné « Vivre libre ou mourir », une ode aux Bérus et à la horde d’ersatz qui a accompagné le duo, j’ai enfourché mon scooter pour aller le pécho direct net chez Fantasybox.
En parallèle de ses planches, Moog gratte et chante dans des groupes de néo-blues comme Thee Verduns et Raw Death. Il revient d’ailleurs d’une tournée aux States. Épuisé, il m’a demandé d’y aller mollo le haricot sur notre interview.
Quel est ton modus operandi pour dessiner ?
À ma table de travail, beaucoup la nuit, et ça peut aller jusqu’à une dizaine d’heures d’affilée, selon le retard accumulé. Il existe, chez les dessinatrices et dessinateurs de bande dessinée, une tradition du retard à la livraison, que j’ai la joie de contribuer à perpétuer. Le temps passe vite, quand on dessine, c’est plutôt agréable la plupart du temps, quoique rébarbatif, voire péniblement répétitif.
Si tu bosses huit heures de suite sur une planche chaque jour, c’est un peu comme faire des horaires de bureau ?
On peut voir les choses de cette façon, la différence tenant dans le fait que c’est vachement moins bien payé que pour un travail de bureau.
Selon tes BD, tu attaques ta planche de la même manière ?
La première chose à faire, c’est un découpage primitif de la planche, afin d’équilibrer les masses, les noirs, les mouvements et les lignes de force. Je gribouille ça en tout petit, au stylo, dans un carnet. Puis je trace au bleu un crayonné primaire. Ensuite il est de mise de placer les textes, les textes off et les dialogues dans les phylactères (NDLR les bulles). Pour finir, c’est l’encrage général, la tâche la plus délicate, celle que l’on doit accomplir sans trembler.
Comment avez-vous fêté la sortie de « Vivre libre ou mourir », avec Arnaud Le Gouëfflec ?
Nous avons fêté ça dans Le Monte en L’Air, la plus belle librairie de Paris sinon ma préférée, une librairie comme on les aime, qui défend la littérature, la poésie, la bande dessinée, et les luttes sociales. Pour l’occasion, un tiré à part sérigraphié a été imprimé à petit tirage par l’équipe nancéienne de l’atelier Percolation et offert à la trentaine de protagonistes de l’aventure du dit rock alternatif français des années 1981 à 1989, dont nous rapportons la parole dans le livre. Certains sont venus fêter ça avec nous autour du délicat petit vin blanc servi au Monte en L’Air, et l’on peut dire que c’était une belle fête.
« Vivre libre ou mourir » invite à scanner un QR code Spotify pour écouter les tubes des groupes que vous avez interviewés. Quel est ton morceau préféré de cette playlist ?
La chanson qui me renverse à chaque écoute, et depuis tant d’années, c’est « Sur les Toits » de Bérurier Noir. Elle est présente sur le disque « Ils veulent nous tuer ». Il cause à la fois des révoltes dans les prisons françaises dues à l’indignité des conditions de détention, et en même temps dans un geste méta, de la surveillance et des pressions qu’a subi le groupe par les autorités de l’État. Ce disque est paru en 1988.
Tu les as vus en live tous ces groupes ?
Je n’ai vu aucun des groupes recensés dans le livre, et pour cause, né en 1978, j’étais trop jeune pour sortir le soir dans les bouges.
Tu écoutes du son quand tu dessines ?
J’écoute Maria Callas, Erik Satie, Pascal Comelade, Charles Mingus, par exemple.
Il est DIY ce livre ?
Il l’est tout à fait, de bout en bout, de la première à la dernière lettre, du premier au dernier trait. Arnaud Le Gouëfflec et moi-même avons bénéficié d’une liberté absolue pour rédiger et illustrer cet ouvrage, avec la bénédiction de notre éditeur, Franck Marguin. Ce livre est empli de sueur et de sang, ce sont nos cœurs que l’on a posés sur la table.
C’est quoi être punk en 2024 ?
C’est danser sur son propre rythme, c’est suivre les chemins de traverse, c’est reprendre la rue, c’est rejeter ce que les gens sages regardent comme le plus grand bien : la sécurité, une besogne stable, avec l’impression d’être « arrivé ».
Les Luxembourgeois sont plus punks que les Français ?
Pour rabattre le caquet aux caricaturistes les plus vils, qui se gaussent des qualités bourgeoises certaines de ces deux populations, je pense que partout sont et restent des endroits marginaux, des souterrains où la plèbe s’enhardit ; si l’on cherche bien : même à Luxembourg, même à Metz, le punk doit se cacher quelque part.
T’as eu beaucoup de blagues sur ton nom de famille dans le milieu des zikos ?
Comme je joue sous le pseudonyme de Verdun, je n’ai pas de vannes à ce sujet. En revanche, quand je joue de la contrebasse – ça m’arrive, avec divers groupes – il y aura toujours un type à moitié bourré au comptoir qui va sortir un truc du genre « Hé, fallait jouer de l’harmonica, c’est moins encombrant ! » et provoquer l’hilarité générale, en pensant qu’il est le premier à avoir l’idée de cette très bonne blague.
Les punks n’aiment pas parler du futur, car demain c’est loin, mais toi, tu feras quoi demain ?
Demain je continuerai à essayer de ne pas m’ennuyer dans la vie, cela semble être le seul programme valable à appliquer.
Ce format est également à retrouver dans le Bold Magazine #86, à lire en ligne ici!
Un concentré de news culture, de bons plans lifestyle, de reviews et d’exclus en une newsletter BOLD chaque mercredi ? C’est en un clic avec ce lien !