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NJP 2015, a review

Texte et photos
Elena Coupette
Claudia Eicher
Godefroy Gordet
Julie Thielen
Etienne Poiarez

Review collaborative du festival Nancy Jazz Pulsation 2015

13.10.15 / Prieur de la Marne x Kid Francescoli x Bagarre

Programmation pointue, et éclectique, le Nancy Jazz Pulsation n’a pas fait les choses à moitié pour cette nouvelle édition. En ce mardi soir glacial, c’est Prieur de la Marne, les marseillais de Kid Francescoli et le groupe Bagarre que nous sommes allés voir. Tu viens avec nous ?

Kid Francescoli
Kid Francescoli (Claudia Eicher)

Jean-Pierre, Roland, Paul et les autres

Le concert a lieu au Magic Mirrors qui a investi le Parc de la Pépinière le temps du festival. Lumières tamisées et espace réduit, l’ambiance est intimiste, parfaite pour se rapprocher un peu plus des artistes présents ce soir-là. Justement, la soirée commence tout en douceur avec le DJ set de Prieur de la Marne.

Electro-pop française où les rythmes évoquent les meilleures heures de la French Touch et où Jean-Pierre Léaud côtoie Marroon 5 le temps d’un set, où un passage de l’émission Rendez-vous avec X (Franc Inter) fait office d’intro, et où l’on rencontre Roland Barthes discutant avec Paul Martin. Savant mélange des genres pour le moins efficace. A défaut d’avoir réussi à shazamer le magnifique remix de Dancing Queen, on se sera abonné en live à sa page Soundclound, histoire de pouvoir continuer à écouter en boucle cette jolie découverte une fois rentrés chez nous.

With Julia

Après une heure (trop courte) à se laisser bercer par les sonorités cotonneuses de Prieur de la Marne, Marseille débarque à Nancy. Kid Francescoli c’est Mathieu, le marseillais, et Julia, la New-Yorkaise. C’est une rencontre, puis un album (With Julia) intimiste, chaleureux. C’est aussi de l’électro toujours, cette fois empreinte de mélancolie, mais une mélancolie candide et légère, presque adolescente. Comme Maxime Delcourt l’écrit dans Les Inrocks « Porté par le spleen d’une rupture, un album qui préfère la candeur à la rancœur ».

Il y a quelque chose de Bonnie & Clyde dans l’allure, d’un peu disco dans le rythme (Disco Queen), d’ingénu parfois aussi (Does She), mais aussi une bonne dose de minimalisme maîtrisé qui ne serait pas sans rappeler Air ou les Daft Punk (Blow up ; I don’t know how). C’est voluptueux, dansant, presque onirique et l’on se plait à suivre les mouvements de l’évanescente Julia, pour finir par bouger carrément sur une version remixée du titre I don’t know how. Seul (infime) regret, qu’ils n’aient pas jouer le sublime morceau Dirty Blonde. Un prétexte pour courir les revoir dès que possible.

Bagarre

Bagarre (Claudia Eicher)

Mourir au club

Enfin, il est presque minuit, et il est temps de se déchaîner. Il semblerait que les parisiens de Bagarre soit là pour ça justement. Musique de club, leur EP, donne le ton. Les cinq parisiens, tous de vestes de survêt’ Adidas vintage vêtus, et docs aux pieds, surprenant mais plutôt cool, entament leur set avec Bonsoir, nous sommes Bagarre. Le rythme frénétique, violent semble réveiller une salle qui se complaisait jusqu’ici dans l’électro-pop des artistes précédents.

Bagarre c’est cru, brutal, mais tellement bon qu’on en redemande. C’est toi qui rentre de boîte, moite d’avoir été collé à trop de monde, un peu soûl à force de vodka-orange beaucoup trop chère, agacé par de la musique trop commerciale. Ça évoque NTM (Le gouffre ; Ris pas), New Order (Macadam), Taxi Girl (Nous étions cinq ; Etrange triangle) Bagarre, c’est toute l’énergie d’une génération qui se donne sur scène, comme pour son dernier combat.

14.10.2015 / Feu ! Chatterton x Ibeyi x Skip & Die

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Feu ! Chatterton (Claudia Eicher)

Quand Baudelaire rencontre Oscar Wilde

Difficile mission que celle d’enflammer la salle après une première partie assurée par Hugh Coltman, sympathique jazzman, mais un brin soporifique (en témoigne la majorité de sexagénaires présents dans la salle à moitié assoupis sur leur siège gansé de velours). Il aura effectivement fallu un peu de mal et beaucoup d’efforts à Feu ! Chatterton pour réussir à faire danser le public nancéien présent ce soir-là.

Pourtant, ni le rythme, ni la mise en scène étudiée n’ont fait défaut au quintet parisien. Allure de dandy qui ne serait pas sans rappeler Oscar Wilde, et textes que n’aurait certainement pas renié Baudelaire, Arthur (chanteur) susurre ses paroles d’une voix émaillée, rocailleuse, sensuelle. Littéraire sur le fond et théâtrale dans la forme, il se dandine sur scène dans son complet en tweed, à la fois désarticulé et précis dans ses mouvements. Dramatique comme si la poésie des paroles qu’il chuchote dans son micro le possédait.

De la Toscane au Mexique

Difficile de définir Feu ! Chatterton tant les références semblent nombreuses à l’écoute des morceaux qui s’enchaînent au fil du récit qu’il nous fait. On commence par sombrer sur la côte toscane, avec le Costa Concordia (Côte Concorde) pour flâner ensuite dans les bois pour une petite mort (La Mort dans la Pinède), comme à nos dix-sept ans, swingue et électrique. « Nos cœurs s’embrasent et la forêt aussi »… Métaphores tantôt érotiques, parfois graves, de l’histoire qu’il nous raconte et qui nous hypnotise.

Romantique, et mélancolique, Feu ! Chatterton s’apparente à savant mélange de spleen (Porte Z), de violence rock’n’roll à la Noir Désir, et d’exotisme, qui nous transcende et nous transporte quelque part sous le soleil brulant mexicain lors de la conquête espagnole (La Malinche), au XIXème siècle (L’Heure Dense), ou peut-être dans l’opulence des années 70 dont on sent l’influence psychédélique à travers les solos tortueux des guitares électriques (Les Camélias).

Loin d’être un énième groupe de rock français, les parisiens ont tout compris. Se différenciant de la vague éléctro-pop actuelle, ne tombant pas dans la mode des « speak.. » comme Fauve, Feu ! Chatterton c’est l’équilibre parfait entre le fond, et la forme, l’ancien et le nouveau, quelque chose qui n’est ni daté, ni tout à fait actuel, mais qui, on l’espère, durera.

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Ibeyi (Godefroy Gordet)

Holla Cuba!

Véritable coup de cœur de la rédaction, Ibeyi se compose de deux sœurs jumelles, franco-cubaines, Naomi et Lisa-Kaindé Diaz. Leur musique est un superbe mélange entre des chants en anglais et en Yoruba, une langue tonale parlée notamment au Nigéria, qui voyagea avec l’esclavage vers Cuba dans les années 1700. Un son quelle qualifie de minimaliste, rythmé des instruments à percussion (le Cajon et le Batas), de Naomi et le piano de Lisa. Ibeyi ou «Ibeji», désigne les «jumeaux» dans la culture Yoruba. Une culture qu’elles portent pleinement en elles, tant leurs influences s’inscrivent profondément dans l’héritage musical Yoruba, que leur père, le percussionniste cubain Ange Diaz (membre du Buena Vista Social Club), leur a laissé. Des attaches fortes à une culture ancienne qui confère à leur musique une poésie sans pareille. Hébergées sous le prestigieux label XL Recordings de Londres, à a peine 19 ans les jumelles sont en passe de devenir l’une des révélations soul de cette décennie et confirme leur statut sur scène. Douceur, mélancolie, tendresse, mis en parallèle avec autant d’audace et de créativité que l’on peut exiger de la jeunesse musical actuelle. Sur scène rien de bien puissant, mais du reste, les filles imposent une belle présence scénique, dialoguant avec son public pour mieux l’apprivoiser. Entre timidité et discrétion Ibeyi réussit quand même a capter notre esprit pour 1h de poésie d’un autre monde. Merci.

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SKIP&DIE, Cata.Pirata (Godefroy Gordet)

Energie sud-af’

Fleuron de la scène musicale électro hip-hop sud-af’, SKIP&DIE avait envahi le paysage sonore international en 2012 avec Riots In The Jungle (publié chez Crammed Discs)un premier album hautement vibratoire qui n’a laissé personne de marbre. Monté par l’exubérante Catarina Aimée Dahms aka Cata.Pirata, une chanteuse et plasticienne sud-africaine, et le discret musicien/arrangeur hollandais Jori Collignon, le style SKIP&DIE s’étire entre hip-hop, baile funk, ragga, rock, dubstep, cumbia, bhangra, maloya, pop et électro. Avec leur style coloré, brûlant, provoc’ et explosif le groupe connaît un vif enthousiasme depuis la sortie de Cosmic Serpents qui tourne en boucle un peu partout. Sur scène, Skip&Die est en feu. Furieusement dompté par Cata, le groupe de musiciens est l’excellence même du show live. Un pur concert en son et lumière qui nous a réconcilier avec la froideur de cette scène gigantesque du milieu de la Pep’. Skip&Die se vit, mais pour cela il faudra attendre le retour de Cata, qui enceinte s’est vu annuler l’ensemble de sa tournée post NJP. Une chance pour nous d’avoir été à Nancy ce soir là.

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SKIP&DIE (Godefroy Gordet)

15.10.2015 / Izia x The Do

Energique, presque sauvage, l’ambiance à la Pép’ jeudi soir était pour le moins électrique. Du rock audacieux et effronté d’Izia, aux notes électro de The Do, le public, survolté, a bien kiffé. Ça tombe bien, car nous aussi. On te raconte…

Quelque part entre Joplin et Jagger

Véritable prestation enflammée que celle que nous a livré Izia. Rockeuse asthmatique comme elle l’a fait remarquer entre deux bouffées de Ventoline, on a craint le pire à certains moments tant la jeune femme ne s’arrête jamais. Mais vraiment jamais. Elle saute d’un bout à l’autre de la scène, danse, fait valdinguer le pied de son micro, secoue sa crinière ébouriffée, le tout perchée sur ses talons de 12, aux rythmes des guitares qui hurlent. Comme si Joplin rencontrait Mick Jagger.

Pourtant, son dernier album La Vague, plus calme et minimaliste que les précédents, voguant sur des sonorités pop-électro, nous laissait supposer que la chanteuse avait délaissé sa fougue post-adolescente pour quelque chose de plus adulte. Surement le fameux « album de la maturité ».

Heureusement pour nous, une fois sur scène, c’est bien à la Izia de Let me alone que nous avons à faire.

En tutu de princesse et perfecto, dès les premiers riffs, la tension monte d’un cran, puis très vite tout vole en éclat. Son tutu aussi par la même occasion. Laissant place à un micro-short davantage de circonstance.

Quand La Vague devient tempête

Fidèle à sa réputation de chanteuse survoltée, l’effrontée nous embrase alors de sa voix rauque (Lola), nous hypnotise quand elle susurre parfois aussi (Tomber ; Hey), et nous fait bouger malgré nous lorsqu’elle s’emporte sur l’excellent Twenty Times a Day issu de son album So much trouble. Même La Vague, ondulante, qui tenait plus de l’écume que du raz-de-marée musical, en live, prend des allures de tempête tant le rythme devient soutenu et la voix intense.

Quand elle entame enfin Let me alone, sans doute sa chanson la plus emblématique, c’est toute la salle qui s’enflamme à son tour, reprenant à tue-tête son refrain énervé, tapant du pied, sautillant sur place. Solaire, déchaînée, Izia nous laisse complètement vidé. C’est surement ça, l’effet Izia : quelque chose de jouissif et d’électrifiant qui ne laisse définitivement pas indemne.

Féérie 3.0

Après le live incandescent d’Izia, le duo franco-finlandais de The Do vient achever notre nuit sur une note électro et féérique. Nouveau spectacle présenté pour la première fois, ambiance glaciaire soulignée par une grane chevelure blanche flottant dans les airs, The Do, de retour au NJP après un premier passage mémorable en 2011 voulait visiblement nous faire plaisir.

Synthés éparpillés et épaisse fumée, l’ambiance évoque une atmosphère onirique, à l’image du dernier album du duo, Shake Shooke Shaken.

Au premier abord plutôt minimaliste, composé de sonorités mécaniques et répétitives, le concert dégage de plus en plus de chaleur, Miracles libère les énergies présentes dans la salle, la chanteuse Olivia utilisant des samples sur scène pour accentuer une ambiance feutrée et intimiste. Les morceaux se succèdent, le rythme s’accélère, la tension monte : au moment de Despair Hangover and Ecstasy, le public explose, la communion réclamée plus tôt par Izia se réalise.

Un passage d’un peu plus d’une heure, monté progressivement en intensité, qui nous rappelle que The Do est un des meilleurs groupes français du moment!

16.10.15 / Orange Blossom x Amon Duul II

 

La qualité première du Nancy Jazz Pulsation vient de cette volonté de faire cohabiter, au sein d’un même évènement, toute la pluralité de la musique contemporaine. Pari tenu avec la nuit du 16 octobre à l’Autre Canal où se côtoyaient les effluves orientales d’Orange Blossom et les guitares psychédéliques d’Amon Duul II.

https://www.youtube.com/watch?v=z6gu_8GAt4s

Orient-Express

Après 9 ans d’absence, Orange Blossom présentait son dernier album, Under The Shade Of Violets, paru l’année dernière. Un métissage sophistiqué mêlant sonorités orientales et textures électroniques. L’égyptienne Hend Ahmed, qui remplace l’ancienne chanteuse Leila Bounous, dévoila un chant exotique qu’elle module au gré des compositions, alternant mélancolie, douceur et folie avec élégance. Le violoniste animait la scène de quelques soubresauts, enchaînant les riffs abrasifs. Des textures tout à fait psychédéliques se répandaient au travers des rythmiques fiévreuses. Une montée en pression qui se calma lors du solo au djembé. Le musicien plaisanta avec le public, l’invitant à suivre ses percussions sauvages, avant que tout le collectif ne reparte de plus belle, pour des mirages électroniques qui laissent rêveurs.

https://www.youtube.com/watch?v=qSAk1O0B6sg

Le rock n’a pas d’âge  

Instigateur du Krautrock, Amon Duul II est une formation devenue légendaire au fil des décennies, avec plus d’une quinzaine de disques à leur actif. Devant un public franco-allemand, les musiciens s’installent lentement. Après quelques démarrages ratés, leur show démarre enfin avec fracas, alternant des compositions solaires et ténébreuses. Le chant incantatoire de Renate Knaup appelle à la folie, à travers ses répétitions et ses cris. On atteint les 108-110 décibels lors des envolées frénétiques qui clôturent plusieurs morceaux. Le public semble même conquis par les interludes burlesques de la chanteuse. Elle s’allume une cigarette, déclare sa flamme à Nancy ou récite quelques chiffres en français. Les artistes naviguent avec aisance entre hard rock, psychédélisme et punk. Chris Karrer se laisse même aller à un solo de flamenco à la guitare sèche, avant de reprendre une électrique pour conclure en apothéose. Le groupe n’a même pas le temps de poser ses instruments que le public réclame une dernière danse. C’est alors que des claviers psychés résonnèrent dans l’espace. Un rock bruyant et salvateur agita une dernière fois les murs de l’Autre Canal. La mythologie rock’n’rollesque d’Amon Duul II pris fin pour cette nuit, dans la nuée bleuâtre des installations luminaires.