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Stephan Streker : «Zahira, c’est l’Antigone de 2017»

Interview: Raphaël Ferber
Photos: Tarantula Luxembourg/Jan de Groen
Video: Jour2Fête

Stephan Streker commence à très bien connaître la route entre la Belgique et le Luxembourg. Et pour cause: Noces, son troisième film après Michael Blanco et Le monde nous appartient, coproduit par Tarantula et à l’affiche dès aujourd’hui, a été intégralement tourné au Grand-Duché. Dans ce long-métrage, Zahira, une Belgo-Pakistanaise de dix-huit ans, est écartelée entre les exigences de ses parents, qui lui imposent un mariage traditionnel, et ses aspirations de liberté propres à son mode de vie occidental. Nous avons rencontré un réalisateur extrêmement enjoué (certainement l’effet des premières critiques très positives) autour d’un café et de quelques cacahuètes, sur l’une des banquettes du bar de l’Hôtel Alvisse.

Nederland, Rotterdam, 29-01-17, IFFR Premiere Photocall Schouwburg Grote Zaal, A Wedding (Noces) producer MichaÎl Goldberg, foto: Jan de Groen

Comment et pourquoi votre choix s’est-il porté sur Sébastien Houbani et Lina El Arabi, frère et sœur dans Noces?
Stephan Streker : Sébastien m’a été conseillé par une amie commune, qui m’en a parlé comme d’un acteur extraordinaire. On s’est parlé sur Skype. Je lui ai transmis le scenario. Et à la seconde où on a commencé les essais, je savais que c’était lui. C’est un acteur qui écoute énormément, qui s’abandonne… Je pense même que c’est l’un des meilleurs de sa génération. Je l’ai vu récemment au théâtre: j’en suis tombé de ma chaise. Lina, c’était autre chose. J’ai toujours dit que je voulais trouver l’actrice incarnant Zahira en premier, une Elizabeth Taylor pakistanaise, en quelque sorte. Finalement, je l’ai trouvé en dernier. Elle a un port de tête assez haut, ce qui m’a beaucoup séduit. Son rôle est très beau, très riche… Le décrocher est un miracle, je crois, pour une actrice qui débute.

L’ourdou (langue officielle du Pakistan), tout le monde a dû l’apprendre ?
Bien sûr, moi y compris. On est d’ailleurs hyper fiers car les Pakistanais qui produisent également le film nous ont dit qu’on retrouvait chez les acteurs ce petit accent francophone qu’on entend chez les binationaux, nés ici. C’est un détail qui renforce la crédibilité de leur personnage.

C’est difficile, quand on voit le film, d’avoir un avis très tranché, de prendre parti entre la position de Zahira et celle de sa famille, dans la mesure où l’on ressent une réelle souffrance de part et d’autre. Alors que dans l’absolu, le désir de liberté s’impose comme une évidence. C’est ce que vous vouliez ?
J’aime quand à la fin d’un film les gens se posent plus de questions qu’au début. La question ouvre, là où la réponse ferme. Là où je vous rejoins, c’est qu’a priori, la grille de lecture est évidente. Mais c’est en s’intéressant de plus près à l’histoire qu’on se rend compte des incroyables implications émotionnelles que ça inspire. Quand on pose un geste artistique, il est indispensable qu’on ait un point de vue. Sans ça, c’est impossible de faire un bon film. Mais le jugement moral appartient au spectateur. Souvent, le jugement du spectateur en dit plus sur lui, que sur le film.

Et quel est votre jugement moral, à vous?
Je comprends Zahira à 100%. Je suis Zahira! Mais, mon point de vue, c’est que ce problème «très 2017» va évoluer. La vie, c’est le changement, l’évolution. Rappelons-nous, au début du siècle passé, que le mariage n’était pas ce qu’il est aujourd’hui. Pour moi, Zahira est une héroïne. C’est l’Antigone de 2017.

J’ai voulu me passer de musique «tire-larme», pour ne susciter de l’émotion qu’à travers l’histoire et le jeu des acteurs

Cette fin a toujours été évidente, pour vous?
Oui car c’est une tragédie grecque et que je me suis basé sur une histoire vraie. Je ne pouvais pas faire de révisionnisme. Au festival de Toronto, quelqu’un m’a ainsi demandé si j’étais «désespéré». Mais c’est le contraire! Le propre d’une tragédie grecque est de mettre en scène une situation extrême, monstrueuse, et de générer une émotion à même de faire changer les choses. Qu’on soit croyant ou non, musulman, chrétien, athée, pakistanais, belge… quand on ressent une émotion très forte, on est prêt à faire évoluer les choses.

Il n’y a quasiment pas de musique dans Noces… Pourquoi?
Il n’y a pas de musique extradiégétique du tout. La seule qu’on entend, c’est celle que les personnages entendent. En fait, le film la rejetait. On a essayé d’en mettre. C’était magnifique mais j’ai fait un choix artistique. J’ai voulu me passer de musique «tire-larme», pour ne susciter de l’émotion qu’à travers l’histoire et le jeu des acteurs.

Qu’est-ce que le fait de tourner au Luxembourg a apporté au film?
En fait, c’était possible de le tourner n’importe où dans la mesure où le lieu de l’action, au fond, n’avait pas grande importance. Dans Michael Blanco, la ville de Los Angeles était un personnage, comme Bruxelles dans Le monde nous appartient. Ce n’est pas le cas dans Noces. Mais il y a eu un grand avantage à tourner ce film au Luxembourg: dans la mesure où tous les acteurs ne sont pas du pays, on a logé à l’hôtel et on a vécu comme une petite troupe de théâtre. Quand les gens travaillent proche de chez eux, ils regardent leur montre à la fin de la journée. Le lycée d’Esch-sur-Alzette a par exemple constitué un très bon décor. C’était exactement ce que je voulais.

Vous avez aussi dirigé des acteurs bien installés sur la scène luxembourgeoise. Vous les connaissiez?
Dieu sait si je le regrette, mais on a dû couper au montage la scène de Jérôme Varanfrain. Il donnait un cours de physique à Zahira et Aurore. Il a été très lucide, il m’a dit lui-même: «J’adore vraiment le scenario mais j’ai un problème: j’ai le sentiment que ma scène n’est pas indispensable, peut-être faudrait-il la couper.» J’avais répondu : «pas du tout», mais en fait, il avait raison. Le film est plus fort sans cette scène. Son talent d’acteur n’est pas en cause car il est formidable. On le voit légèrement quand même, mais pas autant que Hervé Sogne, qui lui aussi est un excellent acteur. Je l’ai vu tout de suite, dès le premier essai.

Comment parvenez-vous à jongler entre la réalisation de films et votre rôle de consultant du foot belge à la télé?
(Il rit) J’ai un double «dream job». Les deux ont toujours cohabité, j’ai été en même temps critique cinéma et journaliste sportif. Quand j’étais enfant, j’adorais jouer au foot mais je n’étais pas bon! Et j’avais un problème pour accepter la discipline. Souvent, pour se décider avec les potes, on se disait que s’il pleuvait, on irait au cinéma et que s’il ne pleuvait pas, on irait jouer. Et j’adorais quand il pleuvait.