Nonkeen, The Gamble
Un sentiment irascible de plénitude et d’émerveillement traverse nos corps et nos esprits à l’écoute des oeuvres du pianiste électronique Nils Frahm. Depuis une dizaine d’années, celui-ci enchaîne les EPs et les albums en solo ou avec d’autres, sans jamais s’enterrer dans un genre trop souvent guindé. Il a su conquérir un public grâce à son ingéniosité dans la composition de nappes synthétiques à la fois éthérées, méditatives et aériennes qui suprennent et enivrent. Aujourd’hui, c’est une histoire de chance et d’amitié qui rassemble autour deux amis d’enfance à Nils Frahm autour d’un projet commun, initié il y a 10 ans mais écourté après la rupture d’un manège au-dessus d’une scène sur laquelle ils jouaient, blessant grièvement deux personnes. Très affectés, ils prennent la décision d’arrêter de jouer ensemble. Finalement, après plusieurs sessions il y a peu, Nils Frahm reforme le groupe de sa jeunesse, avec Frederic Gmeiner et Sepp Singwald, pour donner naissance à The Gamble, une série de premières prises qui dessine un voyage sensoriel d’envergure, à paraître le 5 février chez R&S Records.
https://www.youtube.com/watch?v=Wbjdzfo7R0c
Loin d’une forme aux restrictions multiples, Nonkeen possède une liberté inégalée, qui s’incarne dans une série d’improvisations dessinant les contours d’un voyage contemplatif et synthétique, en direction du futur, celui de la musique classique. The Invention Mother signe une introduction ambient en forme de montagnes russes qui se prolonge sur la beauté d’une piste d’électronica minimale baptisée Saddest Continent On Earth. C’est alors que l’auditeur quitte les ambiances cinématiques pour se laisser emporter par les bourrasques soniques de Ceramic People. Les sonorités tribales du titre Animal Farm procurent une sensation primitive tout à fait viscérale qui enivre. This Beatiful Mess prolonge ce ralentissement par une instrumentation inquiétante de cuivre et de corde qui se concrétise sur Capstan, une série de percussion étouffée nimbée par quelques notes aigus.
A cet endroit, une rupture semble avoir lieu, vu l’absence de raccord sonore entre le précédent titre et Chasing God Through Palmyra. Pour autant, la mélodie n’en est pas moins une résurgence des sonorités qu’Animal Farm développaient, avec une accélération du tempo autour d’un rythme lancinant à l’impulsation primaire. Pink Flirt s’engage vers un piano post-minimal déformé par quelques expérimentations sonores, avant de s’emporter dans un jeu mélancolique qui s’élance sans jamais parvenir à quitter la terre, paralysé par le filet de brume électrique qui le traverse. L’ensemble s’achève sur Re: Turn !, piste épurée et douce qui se détache des saturations survenues de temps à autre sur l’album. Ne reste finalement que quelques notes métronomiques, qui virevoltent çà et là dans un bain de lumière qui laisse rêveur.
Nils Frahm continu de briser les codes de son instrument. Il quitte l’esthétique sobre et romantique développée depuis plusieurs années, pour arpenter un territoire plus vaste. Nonkeen est une régénération, aussi bien musicale qu’humaine, entre trois esprits entretenant un fort lien émotionnel. The Gamble apparaît comme une fulgurance, qui se distingue dans l’oeuvre du pianiste par son habillage électronique plus dense. Les compositions sont épurées et se suivent sans se superposer, proposant des nappes fluides et raffinées, avec quelques élans plus sauvages. Frahm ne se laisse plus absorber par les instants de contemplations qui surviennent de l’improvisation, préférant poursuivre le visite audacieuse d’une matière sonore dense qui se réinvente au fur et à mesure.