PASCAL ZIMMER, coupeur…
Judoka de haut niveau, développeur de projets immobiliers, habilleur/tailleur, Pascal Zimmer a plusieurs vies. Depuis 13 ans, il tient la boutique Basics and Bespoke, un tailleur à l’ancienne, qui recherche l’authenticité en se détournant du commercial et en retrouvant tradition et respect de l’artisanat. Passionné depuis son plus jeune âge par les tailleurs mythiques d’Europe, c’est lors de son parcours de Judoka que le Luxembourgeois va découvrir ce monde de l’artisanat vestimentaire, pour finalement décider de faire de cette passion une réalité, sa profession. Formé par le mythique “master-cutter” Alan Alexander, à la prestigieuse maison Henri Poole de Londres, il reçoit une formation de coupeur alliant recherche stylistique et respect de l’artisanat.
– Qu’est-ce qu’un coupeur?
Dans les maisons d’artisanat vestimentaire, il y a les coupeurs, ceux qui décident des coupes du costume, et les tailleurs, ceux qui montent le costume. J’ai toujours été intéressé par la façon dont le costume est coupé, si la ligne de taille est haute, basse, est-ce que les revers sont larges ou étroits, l’épaule tombante ou montante…
– Mais alors, qui signe le costume véritablement?
Chez nous on a trois approches pour le sur mesure. Il y a d’abord la petite mesure (made to mesure) On travaille avec un atelier qui est en Ecosse. Ensuite dans une approche plus prononcée en matière stylistique nous travaillons avec la maison Scabal (Bespoke). Chaque costume est dessiné individuellement par informatique. Puis dans une troisième approche, plus traditionnelle, le futur costume est dessiné individuellement à la craie (Fully Bespoke).
– C’est quoi les basics pour vous?
Pour nous c’est tout ce qu’un homme devrait avoir dans sa garde robe. Le caban, par exemple, a été rendu populaire par la marine américaine et les gens ont continué de le porter dans les années 50-60, et c’est resté. Nous proposons les «out of time», c’est à dire le caban d’époque, ou la veste Baracuta G9 qui est la première veste qui a été dessinée. Il y a dans notre démarche, un souci d’authenticité.
– Pouvez-vous nous expliquer l’origine du costume que l’on porte aux mariages?
Un costume 1 900 en bon état pourrait largement être porté aujourd’hui. Le costume qu’on porte aujourd’hui vient de l’époque Victorienne, à la fin du 19ème. A la mort du roi Albert, pour exprimer leur deuil, les gens ont commencé à s’habiller de façon très sombre. Edward, fils de la reine Victoria, a ensuite rendu le costume beaucoup plus léger et simple. C’est lui qui a installé le costume deux pièces, tel qu’on le connaît.
– Et au fil des années les tendances ont changé?
Oui. Pour donner quelques exemples: Dans les années 20-30, durant la prohibition, les hommes portaient des pantalons très amples et des vestes très cintrées. Dans les années 50-60, l’après guerre, les revers étaient relativement étroits, plus sérieux. Dans les années 70, pas forcément les plus glorieuses, on avait un pantalon très fité en haut, du fait de la libération sexuelle, et très ample en bas, type pattes d’eph’. Dans les années 80, Giorgio Armani mettait la ligne de taille très basse, à l’image de l’American Gigolo. Ce qui est intéressant c’est de voir à quel point on joue avec très peu de choses. Un costume reste un costume mais au fil des années on a joué avec des détails.
– Quelle différenciation entre costume et smoking…
Au début de la belle époque, les hommes avaient plusieurs tenues pour une journée. En soirée on revêtait une queue de pie, ce qu’on appelait le White Tie. Juste avant la seconde guerre mondiale, c’est Edward VIII qui a rendu le costume en queue de pie plus décontracte, en créant le smoking (Tuxedo aux USA, ndlr) pour se retirer dans le salon et fumer le cigare. Le smoking est un peu le jogging d’aujourd’hui, un costume très confortable.
– Quels sont les plus grands tailleurs au monde pour vous?
Pour moi la palme d’or revient clairement aux tailleurs londoniens de la savile row de Londres, véritable Mecque du costume sur mesure et berceau incontestable du «Bespoke». Je connais aussi beaucoup de tailleurs italiens que je respecte beaucoup, ils ont l’art et le goût des belles finitions mais il me semble qu’ils ont un peu moins la culture de la coupe des anglais. Les très grands tailleurs en France, comme Djay ou Cifonelli, ont l’art de la coupe à l’anglaise, avec le raffinement à la française, et le montage à l’italienne. En alliant les trois écoles, ils sont sûrement pour moi les tailleurs les plus complets. Mais il y a encore une autre école, celle qui habillait les frères Kennedy: l’américaine de la côte Est, le «Boston Style» champion incontestable du chic plus décontracté.
– Vous travaillez avec l’atelier Daniel Mare à Paris, et Henri Poole à Londres, à quoi reconnaît-on un grand atelier?
Un beau costume sur mesure se base sur plusieurs choses. D’abord, il faut prendre les bonnes mesures, ce qui est relativement simple. Après, on privilégiera un montage à l’ancienne, non thermo collé. Puis, on relèvera l’allure que le costume donne à la personne. Et pour finir, le soucis des détails.
– Que conseillerez-vous comme coupe et couleur, pour un futur marié?
Il faut choisir un costume qui est conforme aux codes vestimentaires et en relation avec la morphologie de la personne. Ça peut être un costume sur mesure, mais ça peut ne pas l’être aussi. Idéalement, le choisir en bleu foncé, dans un tissu léger et basta! Un gentleman reste humble et élégant à côté de sa dame lors du mariage.
– Quelles sont les erreurs à ne pas faire?
Premièrement, il ne faut jamais mettre un col cassé avec un smoking et si l’on veut porter un nœud papillon, il faut toujours le faire soi-même. Ensuite, les manches ne doivent pas être trop longues, il faut qu’on aperçoive 2,2 cm du blanc de la chemise dépasser. Pour finir, pour un mariage, toujours porter des chaussures noires sobres et minimalistes.
– Dans le spectre de ce marché, beaucoup se font faire leurs costumes pour bien moins cher en Inde ou en Thaïlande. Quel est l’avenir du costume sur mesure?
J’ai vu des costumes qui viennent de ces pays-là qui sont plutôt bien montés. Mais pour le moment, ces pays n’ont pas encore la culture des tailleurs. Les coupes sont souvent décevantes. Le futur du costume est dans les technologies modernes, pour les coupes essentiellement, mais paradoxalement je ne crois pas au scanner pour la prise de mesure, rien n’équivaut l’œil du tailleur… Pour aller de l’avant dans le «sur mesure», il faudra prendre le meilleur de l’éventail des 200 ans d’histoire du costume.