Pride, assos, corpo : un ménage à trois réussi ?
Sujet de distension au sein de la communauté LGBTQIA+ depuis une bonne décennie, l’implication des grandes sociétés dans les différentes prides à travers le monde divise. Pure appropriation communautaire à des fins marketing ou réelle implication dans plus de tolérance et de diversité ? La « Place » luxembourgeoise est-elle pride friendly et inversement..?
Lorsqu’on se rend sur le site officiel de la pride luxembourgeoise et que l’on scroll un peu pour arriver à la dernière section, celle des sponsors, la question de l’implication de grandes sociétés dans son organisation ne fait pas de doute : en haut de la pyramide des contributeurs trônent une banque internationale et un grand cabinet d’avocats. La première, c’est ING, déjà bien connue pour son marathon annuel, qui se déroule quelques semaines avant la marche des fiertés grand-ducale et son programme pride cadre. Outre un sponsoring de la pride important et historique, c’est ainsi également par la course qu’ING entend affirmer encore plus son soutien à la communauté queer cette année, comme l’explique Christophe Rahier, Brand Management Expert au sein de l’institution bancaire : « Vu notre notoriété en matière de course à pied, nous nous sommes demandé pourquoi ne pas capitaliser dessus et proposer une version caritative, la Luxembourg Pride Run. Nous avons présenté un dossier à la Ville de Luxembourg, qui est notre partenaire privilégié depuis le début de l’ING Night Marathon Luxembourg, qui nous a assuré son soutien une fois de plus ».
Une présence d’un événement d’envergure dans la capitale donc, qui pourrait sembler anecdotique dans un autre pays, mais pas au Grand-Duché : en effet, depuis de nombreuses années, c’est dans la seconde ville du pays, Esch-sur-Alzette, que se concentre une grande partie des festivités et des événements associatifs et sociaux de la pride locale. Sans pour autant tempérer l’importance eschoise pour la communauté, l’asbl Rosa Lëtzebuerg, organisatrice principale de la pride luxembourgeoise, se félicite ainsi d’un programme étendu et encore plus varié pour cette édition 2023, impossible à mettre en place, selon elle, sans soutiens financiers : « Il faut savoir qu’une semaine de la Pride n’est pas réalisable sans soutien financier. Il a toujours été notre objectif de rendre accessibles tous les événements officiels que nous organisons pendant la Pride Week à toutes les personnes intéressées, ce qui nécessite un accès gratuit. Notre événement principal, le Street Festival, que nous utilisons d’une part comme plateforme politique pour communiquer nos demandes à un public aussi large que possible, est en même temps une plateforme pour les artistes queer qui n’ont peut-être pas autant d’opportunités de se produire, en raison du manque de bars queer, par exemple… Il faut des moyens pour cela. »
Des partenariats aussi nécessaires que travaillés
Des soutiens privés donc, mais avec lesquels il faut prendre des pincettes pour ne pas tomber dans le fameux « pinkwashing » redouté par les plus sceptiques – une ligne parfois ténue et dont Andy Maar, porte-parole de Rosa Lëtzebuerg, a bien conscience : « Nous sommes conscients de la crainte du pinkwashing, une crainte qui nous accompagne constamment, c’est pourquoi nous accordons une grande importance à une coopération étroite. Nous entretenons beaucoup de nos partenariats depuis de nombreuses années et connaissons nos interlocuteurs, qui sont souvent eux-mêmes membres de la communauté queer ou du moins considérés comme des alliés et donc particulièrement déterminés à ‘go the extra mile’ ! Chaque proposition de partenariat est examinée par nous dans des discussions avec les responsables ». Des partenaires historiques et fiables donc, qui respectent et connaissent les associations militantes et leurs points de vue : la clé du succès d’un soutien bienveillant et efficace à la communauté LGBTQIA+ ?
Sans verser dans le sentimentalisme, il semble en effet que la fracture entre les milieux associatifs et corporate que l’on peut observer de manière assez flagrante aux États-Unis par exemple soit jonchée au Luxembourg de passerelles collaboratives n’ayant que peu, voire pas d’influence sur le message véhiculé par la Semaine de la Pride et son organisation, voire au-delà de celle-ci, tout au long de l’année. Andy confie ainsi : « Certains de nos sponsors, comme ING ou HSBC par exemple, organisent leurs propres événements Pride en interne. D’autres entreprises demandent également activement des formations par Rosa Lëtzebuerg et offrent un soutien par leurs propres services, comme des conseils juridiques, que l’on ne pourrait pas se permettre autrement. Il y a même dans certaines entreprises des regroupements de salariés queer et alliés qui se proposent comme bénévoles pendant la Pride »… Un cercle qui semble pérenne, évolutif et vertueux, confirmé notamment par un autre des sponsors corporate de la pride luxembourgeoise, Deloitte, qui nous explique : « Notre communauté LGBTQIA+, GLOBE, milite tout au long de l’année pour l’inclusion de la communauté queer chez Deloitte en la sensibilisant par le biais de différents formats tels que des apprentissages numériques dédiés, des vidéos et des témoignages. Par exemple, un collègue a partagé son expérience en tant que transgenre sur les médias sociaux. GLOBE est convaincu que le partage de nos expériences contribuera à promouvoir une meilleure inclusion pour tous ». Un effort non seulement local, mais aussi à l’échelle mondiale, comme son nom l’indique, puisque Globe est présente non seulement au Luxembourg, mais aussi dans d’autres bureaux de Deloitte à travers le monde. Par exemple, cette année, Deloitte Australie a été l’un des principaux sponsors de WorldPride, le plus grand événement LGBTQIA+ au monde qui se déroule à Sydney, et de nombreux autres cabinets Deloitte participent visiblement à la semaine de la fierté dans leurs régions respectives…
En local, « Deloitte Luxembourg est un partisan actif de l’inclusion et de la diversité. Nous soutenons et encourageons l’intégration de toutes les personnes LGBT et cherchons à favoriser un environnement sûr tant sur le lieu de travail que dans la vie quotidienne en dehors du bureau », nous confie ce grand employeur de la Place. Et sans verser dans l’outil marketing, cette sensibilisation, ce souci de l’inclusion sereine devient en effet un argument de ressources humaines, lorsqu’on connait le nombre croissant de new joiners dont les « BIG 4 » comme Deloitte ou PWC – qui possède lui aussi son programme international d’inclusion baptisé SHINE et très stimulé au Luxembourg. D’autres, comme EY, ont par contre une activité plus timorée quant à la communauté queer locale.
Travail de fond
L’implication de grandes sociétés dans la pride luxembourgeoise semble donc s’inscrire dans une certaine prise de conscience à plus long terme et dans une évolution des mentalités – somme toute récente. Andy Maar se souvient : « Lorsque je repense aux premières années lors desquelles j’ai aidé à organiser la Luxembourg Pride, c’était très différent. Nos demandes de soutien étaient généralement ignorées. Lorsque les entreprises répondaient, c’était généralement pour dire que les personnes queer ne correspondaient pas à l’image de marque ou au public cible souhaité, ou tout simplement qu’il n’y avait pas de budget pour un événement de niche. Mais cela a fondamentalement changé dans de nombreux domaines. La plupart des partenariats vont au-delà du simple soutien financier de notre Pride. Nous voyons que nos partenaires sont motivés par bien plus que cela. Nous sommes heureux que le sponsoring débouche sur une collaboration à long terme visant à améliorer les conditions de travail des employés sur place et le service à la clientèle… Cependant, comme cet intérêt et la collaboration qui en résulte ne sont pas toujours visibles à l’extérieur, je peux très bien comprendre que certaines personnes ne voient pas toujours d’un bon œil une collaboration entre la communauté queer et les entreprises. C’est pourquoi nous travaillons également à une offensive de transparence. Nous veillons déjà à ce que nos partenaires soient signataires de la Charte de la diversité – elle-même associée à la mise en œuvre d’une politique d’inclusion – ou, s’ils ne l’ont pas encore signée, à ce que ces entreprises remplissent au moins les mêmes critères. »
Un travail au long cours, mais qui peut faire bouger les choses, même dans des domaines d’activité parfois difficiles d’accès aux problématiques LGBTQIA+, comme en atteste Christophe Rahier, plus marathonien que sprinteur lorsqu’il s’agit de faire bien : « Lorsque l’organisation de la Luxembourg Pride Run a commencé à se dessiner, nous nous sommes bien sûr rapprochés des associations Rosa Lëtzebuerg et Cigale, ainsi que d’IMS Luxembourg qui rassemble tout de même l’ensemble des chartes de diversité au Luxembourg, avec ses plus de 400 sociétés membres. De cette concertation quant à un événement ponctuel a découlé une réflexion bien plus structurelle, notamment sur un travail de sensibilisation dans les milieux sportifs, traditionnellement assez hermétiques à ces sujets, via un programme d’ateliers élaboré avec soins et mis en place sur le long terme grâce aux fonds récoltés lors des inscriptions à la Luxembourg Pride Run… ».
Loin des stéréotypes sur le grand capitalisme pilleur de cultures pour ses belles campagnes « inclusives », l’écosystème créé entre les différents acteurs de la Semaine de la Pride luxembourgeoise semble donc non seulement faire que tout le monde s’y retrouve, mais donne également naissance à des projets encore plus encrés dans la vie quotidienne des générations à venir. Werk.
Tout le programme de la Semaine de la Pride luxembourgeoise est à retrouver sur www.luxembourgpride.lu
Ce format est également à retrouver dans le Bold Magazine #80, à lire en ligne ici!
Un concentré de news culture, de bons plans lifestyle, de reviews et d’exclus en une newsletter BOLD chaque mercredi ? C’est en un clic avec ce lien !