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Prix de l’immobilier au Luxembourg : une bombe sur le point d’exploser

Texte : Fabien Grasser

Le rêve d’un pays de propriétaires tourne au cauchemar. Les chiffres publiés le 8 avril par le Statec et l’Observatoire de l’Habitat sont sans appel : en 2020, les prix de l’immobilier ont grimpé de 14,5% au Luxembourg. Des biens recherchés, comme les appartements neufs de 50 m2, atteignent désormais 9 999 euros du mètre carré ! Cette hausse record suit celles, également sans précédent, de 2019 (+10,1%), 2018 (+7,1%), 2017 (+5,6) et 2016 (+6%). 

La litanie des chiffres témoigne d’une spirale infernale que les politiques publiques sont incapables d’enrayer. L’envolée des prix à l’achat et des loyers transforme la quête d’un logement en casse-tête insoluble pour les revenus les plus modestes et en défi pour la quasi-totalité de la classe moyenne. Les salaires ne sont plus en adéquation avec les tarifs de l’immobilier quand il faut débourser un million d’euros pour l’achat d’une maison ou en moyenne 1.611 euros par mois pour la location d’un appartement. Pour les ménages les plus vulnérables, le coût du loyer représente jusqu’à 60% du revenu. 

Spéculation foncière et immobilière, hausse démographique, crédit facile, culte de la maison individuelle seraient autant de facteurs à l’origine du phénomène. L’offre ne suit plus la demande comme le montre les chiffres de l’année 2018 où 3.033 logements sortaient de terre tandis que la population augmentait de plus de 35.000 personnes. 

« En réalité, il est difficile d’expliquer cette flambée car nous manquons de données officielles sur le logement », déplore Jean-Michel Campanella, président de l’ASBL Mieterschutz. Avec une vingtaine d’autres organisations, son association, dédiée à la défense des locataires, a fondé l’an dernier la coalition Wunnrecht. A deux reprises, ces six derniers mois, ils ont rassemblé au centre de la capitale plusieurs centaines de manifestants défilant sous le slogan « Un toit c’est un droit », alors que la question du logement s’apparente de plus en plus à une bombe sociale sur le point d’exploser. 

Reprise des expulsions

Lors de la dernière manifestation, le 27 mars, les organisateurs ont enjoint le gouvernement à déclarer un moratoire sur les expulsions de locataires en retard de paiement. Suspendues en 2020 en raison de l’épidémie de Covid-19, les expulsions ont repris le 1er avril de cette année, date de fin de la trêve hivernale. Mais les conséquences économiques de la crise sanitaire sont loin d’être estompées et se sont même aggravées pour nombre de ménages. Dans le cortège, des mères élevant seules leurs enfants ont témoigné de leur angoisse de se retrouver à la rue dans les semaines à venir. 

Il est néanmoins difficile de savoir combien de familles sont menacées, car « contrairement à la plupart des pays, il n’y a quasiment aucune statistique sur le sujet au Luxembourg et nous prenons connaissance des problèmes au cas par cas », regrette une nouvelle fois Jean-Michel Campanella. Le ministre du Logement, Henri Kox, reconnaît ce déficit de données, pourtant indispensables à l’élaboration d’une politique du logement pertinente. Le 3 avril, quelques jours après la manifestation, il a défendu son action sur les ondes de 100.7, égrenant des mesures essentiellement incitatives en direction des propriétaires et des communes. L’intervention du ministre écologiste a surtout été remarquée par son refus d’engager l’Etat dans des mesures plus coercitives en faveur du logement abordable ou social. « Le foncier appartient à des privés. Nous sommes dans un État de droit. Et je suis fier qu’on vive dans un État de droit sans diktats. La liberté de commerce est inscrite dans notre constitution », a déclaré Henri Kox. 

Mixité sociale contre ghettos

« Cette apologie du droit du commerce montre que le blocage est idéologique », déduit le président de Mieterschutz. Dans sa liste de revendications, la coalition Wunnrecht exige la construction de 30.000 logements accessibles aux personnes à revenu modeste, la construction d’urgence de 3.000 à 4.000 logements sociaux ou encore une interdiction d’augmenter les loyers. « L’incitatif ne fonctionne pas, il faut passer à autre chose, constate Jean-Michel Campanella. Il ne suffit pas qu’une seule commune investisse dans des projets mixtes comme le fait actuellement Differdange. Ca doit être une obligation pour toutes les communes et la mixité sociale est essentielle si on ne veut pas créer de ghettos. » 

Les gros promoteurs immobiliers privilégiant les projets prestigieux, la faiblesse ou l’absence de taxation des successions immobilières en ligne direct sont d’autres points sur lesquels les associations demandent à l’Etat d’intervenir.  « Pendant des décennies, les gouvernements ont poussé les gens à devenir propriétaires et ça a plutôt bien marché », poursuit Jean-Michel Campanella. Mais les responsables politiques n’ont pas toujours conscience que les choses ont changé. Ils sont parfois très étonnés d’apprendre que le modèle de l’immigré qui rachetait à faible prix une maison à retaper ne fonctionne plus. Et en ce qui concerne le marché locatif, il y a une indifférence car l’écrasante majorité des locataires sont des étrangers qui ne votent pas. »