Saison 24/25 : une femme, des femmes, La femme…
Cet été, Bold décortique la saison à venir des institutions culturelles du Luxembourg et de la Grande Région et en dresse son best of thématique, pour un agenda culture bien curaté dès la rentrée. Cette semaine, la femme, sa liberté et ses combats sont sous les projecteurs…
Libre, engagée, outrée, bafouée ou en pleine possession de son destin : la femme se fait multiple et concentre une partie de la saison culturelle prochaine au Grand-Duché, notamment grâce à des focus particuliers à Esch-sur-Alzette et à Ettelbruck, mais aussi avec la venue de figures légendaires dans la capitale…
Au Escher Theater : la révolte, de la Grèce antique au Hip Hop d’aujourd’hui
La directrice des lieux Carole Lorang l’a annoncé dans son édito de saison et ne pourrait pas mieux présenter cette thématique forte pour la saison 24/25 : « La saison 24/25 s’ouvre avec le spectacle Électre des bas-fonds de Simon Abkarian, créé au Théâtre du Soleil: une réécriture sombre et festive du mythe des Atrides. C’est l’histoire d’une combattante du quotidien qui devient la porte-parole des outragées, dans une lutte de tous les instants pour la dignité humaine. Cette proposition marque le coup d’envoi d’une série de spectacles qui, tous, mettront en scène des personnages de femmes en révolte contre la société de leurs pères, bien décidées à faire entendre leur voix et contester la mainmise des hommes sur la politique. La révolte a différents visages… »
Et quoi de mieux, effectivement, que les héroïnes radicales et tragiques de la Grèce antique que sont Électre et Antigone pour débuter une saison de révolte féminine ? Début octobre pour la première, avec Électre des bas-fonds, ceux d’Argos. Prostituées, serveuses, esclaves, les femmes se préparent pour la fête des morts. Les meilleurs musiciens sont là. Électre, princesse déchue, projette d’y tuer sa mère Clytemnestre et son beau-père Égisthe. Et pour ce faire, elle espère le retour de son frère Oreste… Dans cette version rock du mythe antique des Atrides, autant qu’avec des mots, c’est en musiques, en danses et en chants que la tragédie nous est racontée. Héritier des grandes productions du Théâtre du Soleil, Simon Abkarian souhaite ici faire entendre la parole des laissées pour compte : des femmes qui – grecques ou pas, antiques ou pas – se font les porte-voix d’un même mouvement de libération…
Puis en Novembre, c’est Antigone qui débarque sur la scène eschoise. La fille d’Œdipe s’apprête une fois de plus à braver l’interdit du roi de Thèbes et accomplir les rites funéraires destinés à son frère, le paria Polynice. Pour ce geste, elle risque la mort… Du classique de Sophocle, Laurent Hatat et Emma Gustafsson signent une adaptation théâtrale neuve et forte, avec un texte plus direct, transposé dans notre réalité avec son cortège de discriminations. Cette Antigone-là résiste et n’est toujours pas femme à rentrer dans le rang. Dans nos démocraties dont on pourrait craindre la disparition, ce spectacle – qu’il s’adresse aux jeunes comme aux adultes – interroge notre rapport à la loi et pose la question : qu’est-ce qui fait notre humanité ?
Plus tard, début 2025, 12 femmes en colère seront au cœur de l’intrigue du Firmament. 1759, en pleine Angleterre rurale. Une jeune domestique est condamnée pour le meurtre d’une fillette. Quand elle prétend être enceinte – ce qui la sauverait de la pendaison – 12 femmes du peuple sont constituées en jury, face à elle, pour décider de son sort. À l’extérieur, la foule réclame du sang. À l’intérieur, les jurées se livrent à un combat acharné, où le diable n’est jamais loin… Justice, patriarcat, place des femmes, maternité, bonne conscience de la classe dominante : Lucy Kirkwood déploie une fresque judiciaire et sociale qui est aussi un véritable procès à suspens. Ces femmes aveugles, lâches, courageuses, humanistes ou « suivistes » résument, à elles seules, toute l’humanité aux prises avec la confusion des sentiments et de la raison, lorsqu’il s’agit de décider d’une vie… ou de deux.
Enfin, au printemps, il ne faudra pas manquer la danse d’Ousmane Sy avec One Shot. Figure mondiale de la scène hip hop, Ousmane Sy – subitement disparu en 2020 – s’est imprégné de la house dance découverte dans les clubs de New York et de Chicago. Comme Queen Blood ovationné la saison passée au Escher Theater, son ultime spectacle fait danser une équipée exclusivement féminine, propulsée cette fois en direct par les platines d’un DJ. Joueuses et combatives, confondantes de précision, ces femmes se lancent dans d’insolents solos ou font corps toutes ensemble. Avec l’énergie exaltante des battles, elles créent un espace de fête, d’expression de soi et de partage, dans une furieuse envie de vivre…
Au CAPE : des femmes formidables et leur musique
Femmes formidables, c’est tout d’abord le nom du spectacle qui clôturera la saison musicale du CAPE à Ettelbruck en juin 2025, avec une mise en lumière de 3 compositrices qui ont marqué leur temps : Fanny Mendelssohn-Hensel (Quatuor avec piano en la bémol majeur) ; Dora Pejacevic (Quatuor avec piano en ré mineur op. 25) et Mel Bonis (Quatuor avec piano en si bémol majeur op. 69). Pour interpréter ce triptyque féminin de choix, Le Fauré Quartett – qui s’est imposé comme l’un des plus brillants quatuors avec piano depuis sa fondation en 1995 à Karlsruhe. Son répertoire, qui sort des sentiers battus, témoigne de son approche visionnaire et de son goût pour les découvertes et les expérimentations. Il présente donc ici un programme composé uniquement par des « femmes formidables ». Les obstacles auxquels ces compositrices ont dû faire face tout au long de leur vie se reflètent dans des propos et des citations qui ne nécessitent aucun commentaire supplémentaire. Par exemple, Camille Saint-Saëns s’exclama après avoir entendu la musique de Mel Bonis : « Je n’aurais jamais cru qu’une femme fut capable d’écrire cela. Elle connaît toutes le roueries du métier ». Abraham Mendelssohn, père de Fanny et Felix, écrivait à sa fille : « La musique deviendra peut-être une profession pour lui [Felix], tandis qu’elle ne pourra et ne devra toujours être pour toi qu’un ornement, jamais la basse fondamentale de ton être et de ton agir ». Heureusement, ces trois compositrices ne se sont pas laissé décourager par de tels propos : leurs quatuors pour piano prouvent que leur musique est bien plus qu’un simple « ornement » ou qu’une copie des oeuvres de leurs contemporains masculins…
Mais avant cela, il serait bien dommage de ne pas se laisser porter par la maestria de l’inoubliable Cesaria Evora. Cette dernière était sans aucun doute la chanteuse la plus célèbre du Cap-Vert. Avec son timbre mélancolique si caractéristique et son style inimitable, elle a enchanté le public du monde entier, conquérant le coeur de millions de personnes. Afin de perpétuer l’héritage musical de la « diva aux pieds nus » et le style unique de la musique capverdienne, ses anciens musiciens ainsi que de grandes voix actuelles se sont réunis au sein du Cesária Évora Orchestra. Pour ce concert, l’ensemble instrumental est complété par Téofilo Chantre, compositeur de plusieurs tubes de Cesária, ainsi que par de talentueuses chanteuses cap-verdiennes : Elida Almeida, Ceuzany Pires et Lucibela !
Le mois suivant, Le Soweto Gospel Choir, lauréat de trois Grammy Awards, revient à Ettelbruck en apportant avec lui un brin d’espoir. Hope, c’est en effet le nom de son nouveau programme, qui rend hommage au mouvement de la liberté en Afrique du Sud et à celui des droits civiques aux États-Unis, dans un ensemble mixte où les voix féminines peuvent exprimer toute leur puissance et leur émotion. Conçu pour apporter de la joie à toutes et tous, il s’ouvre sur des chants de liberté sudafricains qui ont inspiré la « nation arc-en-ciel ». Le chœur entraînera ensuite le public vers les États-Unis avec de magnifiques interprétations évoquant les combats pour les droits civiques, comme certains titres des légendaires Billie Holiday, James Brown ou encore de l’inégalable Aretha Franklin !
En Ville : des artistes légendaires !
Les institutions culturelles de la capitale font elles aussi la part belle aux artistes féminines et le début de la saison prochaine verra la venue de têtes d’affiche à ne pas louper. Tout d’abord à la Philharmonie Luxembourg, qui accuillera la grande Cecila Bartoli. Cette dernière envoûtera sans nul doute non seulement Cerbère et la porte des Enfers, mais bien le public de la Philharmonie avec un Orfeo ed Euridice de Christoph Willibald Gluck proposé en version concert. Pour cette poignante quête gluckiste, la mezzo-soprano s’entoure de ses fidèles Musiciens du Prince-Monaco, ainsi que d’Il Canto di Orfeo, chœur qui n’aura jamais aussi bien porté son nom…
Mais c’est au Grand Théâtre qu’il faudra s’installer pour assister à l’une des prestations ayant fait couler le plus d’encre la saison dernière à Paris : celle de la tragédienne par excellence, Isabelle Huppert, dans le Bérénice de Roméo Castellucci. Ou plutôt : un monologue de Romeo Castellucci avec Isabelle Huppert librement inspiré par Bérénice de Jean Racine…
Au-delà du douloureux triangle amoureux et politique formé par la reine Bérénice, aimée par l’empereur de Rome Titus, mais qui la repousse pour des raisons politiques, et Antochius, l’enfant terrible de théâtre italien Romeo Castellucci met l’accent sur l’histoire d’une femme. Une femme qui sombre et qui souffre. Dans une atmosphère mystérieuse et spectrale, convoquée par des dispositifs sonores et plastiques extraordinaires, Bérénice déploie sur scène un univers fantasmagorique au centre duquel apparaît Isabelle Huppert telle une icône intemporelle. Pour Castellucci, l’inactualité de certaines pièces est précisément ce qui les rend contemporaines : un point de vue étonnant, paradoxal, puissamment sincère et nécessaire, qui confère toute sa radicalité à sa Bérénice.
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