Samuel Levy : Formes, couleurs et paysages mentaux
Figure bien connue de la scène artistique luxembourgeoise, Samuel Levy a assassiné des dizaines de stylos billes, de pots de peinture et de feutres de couleurs au fil de sa carrière et de ses collaborations. Aujourd’hui, sa pratique évolue et son travail se métamorphose en une nouvelle entité, réfléchie, mature, mais toujours fondamentalement organique – et qui amène l’artiste à des projets nouveaux pour lui, comme lors de l’ouverture de la Biennale d’Esch-sur-Alzette…
Depuis tout petit, le dessin est à la fois une passion, mais aussi un refuge pour ce costaud gaillard qu’est devenu Samuel Levy. Il faut dire qu’une épilepsie, même épisodique et « légère », lui fait redouter l’extérieur et les interactions avec les jeunes de son âge, l’incitant plutôt à la quiétude de sa chambre – dans la campagne montoise – et de ses feuilles blanches. Une adolescence assez calme, voire ascète et sportive, mais pendant laquelle ses talents de dessinateurs, son « don inné pour les formes et les couleurs », sont repérés par le corps professoral de son lycée qui l’incite à continuer dans une filière d’arts plastiques. Il faut dire que déjà, le cubisme, l’expressionnisme allemand ou encore le mouvement Bauhaus font déjà partie de ses inspirations : « J’étais très attiré par tout ce qui était géométrie et couleur à l’époque, je construisais aussi beaucoup de maquettes avec ce qui me tombait sous la main, baguettes, épine de sapin ».
Le dessin, tu enseigneras
Direction donc l’Académie des Beaux-Arts de Mons pour laquelle il se prépare comme un marathonien – ou un gros nerd, au choix. Mais cette préparation s’avère inutile ou presque et le niveau attendu par l’artiste en herbe est loin de ce qu’il imagine, alors qu’on passe le milieu des années 90. Au point de lui faire quitter l’institution à l’issue de la première année. « Pas grave, on repart à zéro, on apprend et j’avais soif d’apprendre ». Il expose déjà un peu, chez Espace Art Galerie, tout en passant la frontière française pour se former à l’enseignement du dessin et des arts appliqués, « trois années un peu chaotiques, mais qui me permettent d’expérimenter et de me confronter à certaines visions différentes de la mienne ».
Nus, croquis et natures mortes vont permettre alors à Samuel de trouver son « trait », au-delà de la représentation réaliste des choses. Il observe Egon Schiele et d’autres artistes expressionnistes pour s’affirmer et s’épanouir dans ce « premier » style. Et il enseigne dans le secondaire, « un peu à contrecœur parce que je n’aime vraiment pas l’école », mais cela lui permet de mettre un peu de côté pour emménager à Bruxelles, où il travaille avec de jeunes galeries, expose dans des lieux bien connus comme le White Hotel, monte ses premières installations et fait fumer ses premiers stylos bille…
Histoire d’amour et d’amitié(s)…
L’année est 2010, la fille s’appelle Sophie. Avant d’être la mère de ses deux pré-ados et sa compagne depuis lors, elle est déjà installée au Luxembourg – ni une, ni deux, Samuel vient y poser ses valises lui aussi. Il commence à travailler avec Carole Badia et son comparse, le regretté Michel Miltgen et réalise ses premiers skulls, identitaires de sa vibe et de la tendance d’alors et qui deviennent très vite des best sellers.
Il rencontre aussi les figures incontournables du street art, à l’époque comme à présent, que sont Sumo, Sader et Thomas Iser. Tiens, incroyable : une bonne dizaine d’années plus tard, les loustics se retrouvent pour une exposition collective « A.D.N group show » (en compagnie de Kit Empire), organisée par Luc Schroeder dans sa galerie MOB-ART studio pendant tout le mois de mai dernier. Full circle moment. Parmi les réalisations emblématiques du travail de Samuel Levy au Grand-Duché ces dernières années, on retrouve par exemple un des murs d’artistes dans la boutique du Mudam ou encore le ciel coloré du Skybar au City Concorde de Bertrange.
Des projets collaboratifs qui l’enthousiasment, d’autant plus qu’on lui fait confiance et qu’il peut arriver sur un projet en mode page blanche. C’est le cas au Skybar : « Quand Christopher Rahme m’a proposé cette grande fresque sur le plafond de son nouvel établissement, je n’avais pas encore l’écriture que j’ai aujourd’hui ni la direction qu’a prise mon travail : on s’est concertés, j’ai réfléchi longuement à ce que je pourrais faire et on est arrivés à quelque chose qui nous a satisfaits tous les deux ». Ces fresques – en entreprises, au Luxembourg, à Bruxelles et ailleurs – sont un type de projet qui fait à présent partie intégrante de la réflexion de Samuel Levy et en représentent, évidemment, un volet rémunérateur indéniable.
Processus et coutumes
Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y insuffle pas tous les bienfaits que son art lui apporte au quotidien, un art qu’il imagine un peu de manière holistique, avec le processus de création comme point d’entrée, de focalisation et de pivot. « La genèse du travail et le processus sont absolument primordiaux dans ma démarche artistique. Mon travail des formes et des couleurs a toujours été thérapeutique pour moi, si j’arrive à transmettre ce sentiment à celles et ceux qui l’observent, alors j’ai réalisé ce que je souhaitais ». Un outil social, un « catalyseur » protéiforme donc, qui s’adapte aux envies de l’artiste, à la demande d’autrui pour devenir un point de jonction vertueux entre les deux.
En ce moment, par exemple, il a envie de voir les choses en grand – même s’il ne s’interdit absolument pas de continuer à travailler avec des galeries quand il le jugera pertinent : des fresques donc – qu’il réalise de toute façon et de manière concertée avec son galeriste Luc Schroeder ; mais aussi des projets plus niches, comme l’habillage ad hoc et unique d’une série de bateaux dont le design a été développé pendant huit ans par un passionné suisse, en cours de réalisation. Le projet, de longue haleine, est encore sous scellés, mais c’est assez fou, très niche, très à la croisée des chemins. On est loin du « spirographe » des débuts…
Inner Landscape
C’est le grand projet de Samuel jusqu’en 2025. L’affirmation et la future révélation de l’identité nouvelle de son travail artistique, née sous le nom d’Artificial Nature à la veille de la pandémie. Il s’acharne sur le trait, retrouve la base de son travail de dessin, trouve une écriture différente qui reçoit un accueil très positif de son entourage. Le paysage abstrait devient un paysage mental de manière organique, naturelle. « Ce côté intérieur-extérieur est très représentatif de mon processus de création, je crée un pont sensitif entre les gens et leur environnement extérieur naturel – forêt, milieu marin… Ce lien est très remarquable chez certaines personnes et réveiller ces émotions, c’est cela mon travail ».
Avant une présentation de grande envergure, « monumentale », d’Inner Landscape à la Galerie Schlassgoart de Nathalie Becker à Esch-sur-Alzette au printemps 2025, Samuel n’a pas le temps de se reposer sur ses lauriers. À Paris d’abord, au MAIF Social Club plus exactement, lieu de vie, d’expositions et d’expériences créé en 2016 par la MAIF et qui propose tout au long de l’année « une programmation engagée en faveur des valeurs d’inclusion, de solidarité, de vivre ensemble et de développement durable ». La structure, située rue de Turenne, a proposé à Samuel de réaliser une expo sur le cosmos et la roche, un sujet se prêtant particulièrement bien à son dessin et à l’évolution de ce dernier vers la matière, avec moins de « surcharge de couleur ».
Mais aussi au Luxembourg, avec une participation très intéressante à l’inauguration de la Biennale « Architectures » d’Esch-sur-Alzette. En effet, l’artiste a été sollicité dans le cadre de REESCH E’Vol #1, un des temps forts de ce lancement présenté le 18 mai dernier au Bâtiment 5. Fusionnant art contemporain et arts du cirque, ce spectacle ambitieux coproduit par Violeta Frank, sur un scénario original de Sean McKeown, explorait la métamorphose d’Esch-sur-Alzette, cité industrielle se transformant en capitale culturelle, avec une orchestration réussie par Crystal Manich et Mukhtar O. S Mukhtar et faisant intervenir des danseurs et acrobates à la réputation internationale, notamment issus du Cirque du Soleil…
Samuel est, lui, intervenu au niveau de l’habillage des performers : « J’avais déjà un pied dans la scène eschoise, notamment grâce à Ralph Waltmans et Loïc Clairet (respectivement Directeur des affaires culturelles de la ville et Directeur de la biennale ; ndlr) qui me met en relation avec Violeta. Le contact passe super bien, on s’entend à fond sur la collaboration.
Des photos et des fragments vidéo sont réalisés alors à mon atelier par l’équipe pro du spectacle afin de réaliser des costumes à partir de ce matériel artistique, mais je suis aussi inclus à tout le processus de création derrière ! Je rencontre des artistes venus du monde entier, excellant dans des disciplines très variées, mais tout est absolument limpide. Un grand plaisir de travailler comme ça, avec en plus beaucoup de chaleur humaine »… Lors du spectacle, Samuel prend conscience de l’envergure de cette collaboration et ne peut qu’être plus motivé que jamais pour ce qui arrive…
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